Archives de catégorie : Ressorties et Compilations

The Beatles – With The Beatles (1963)

Album numéro 2, With The Beatles et son titre kitschissime ne fera que confirmer la légende. Il détrôna Please Please Me des charts anglais pour lui même s’y installer pendant 21 semaines, portant les Beatles pendant presque un an au sommet. Pourtant, c’est probablement le moins bon album du groupe, le plus faible. Enregistré et sorti rapidement pour capitaliser sur leur immense succès, il reprend le même concept que son prédécesseur : six reprises (RnB/Motown) et huit originaux, dont, pour la première fois, un morceau de George Harrison (le dispensable Don’t Bother Me).

On ne s’y attardera donc pas trop, même s’il comprend tout de même quelques passages intéressants, dont le mémorable All My Loving, montrant déjà le sens inné de la mélodie qui sera la marque de Paul McCartney pour les années à venir. En fin d’album, le superbe And I Love Her préfigure un certain Yesterday, et on notera aussi le méconnu Not a Second Time. Sinon, on remarque vite que l’album a été conçu comme photocopie de Please Please Me, avec Roll Over Beethoven pour « faire » Twist and Shout, par exemple.

Mais il faut tenir compte du fait que c’est tout de même le second album du groupe en six mois et qu’à l’époque, on alternait albums et singles : les Beatles venaient de sortir l’excellent She Loves You, alors que le non moins fantastique I Wanna Hold Your Hand allait suivre un mois après. On reparlera des morceaux non-albums lorsqu’on parlera des Past Masters, bien sûr. With The Beatles restera toujours connu comme le second album des Beatles, sans doute le moins intéressant, mais la rampe de lancement vers l’album qui définira la Beatlemania, A Hard Day’s Night.

The Beatles – Please Please Me (1963)


And so it begins… La série, qui s’entame donc aujourd’hui, de chroniques des albums remasterisés des Beatles n’est pas censée (ré)écrire l’histoire des quatre de Liverpool, mais sera simplement un point de vue très subjectif. L’oeuvre des Beatles est profondément ancrée dans son époque, c’est pourquoi je ne peux que conseiller la lecture du fantastique Revolution In My Head, de Ian Macdonald, qui non seulement analyse chaque morceau du groupe, mais replace le tout dans son contexte.

En quelques mots, le contexte de Please Please Me est simple. L’industrie du disque est fort différente de maintenant, et voulait à l’époque capitaliser sur un jeune groupe qui créait des vagues, notamment grâce à leurs shows en résidence au Cavern Club de Liverpool. C’est donc tout naturellement que l’album correspond à leur setlist de l’époque, et qu’il a été largement enregistré live en studio. Le succès est immense : trente semaines numéro 1 des charts britanniques, et le point de départ d’une légende, qui est aujourd’hui remise à neuf grâce aux remasters mono et stereo.

Au risque de commetre un blasphème, je ne suis pas un grand amateur des premiers albums. Please Please Me semble être reconnu comme le meilleur de la période « rock ‘n roll » du groupe, et c’est vrai qu’il est intéressant à plusieurs égards. Mais il est très très loin d’attendre l’invraisemblable brillance que le Fab Four atteindra à plusieurs reprises quelques années plus tard. En fait, la principale qualité de l’album n’est même pas musicale, c’est ce qu’il représente : pour la première fois, un groupe de musiciens « pop » sort un album sur lequel ils chantent (tous, même), jouent de leurs propres instruments (avec notamment une section rythmique McCartney/Starr très solide) et composent une majorité de morceaux (huit sur quatorze). Ce qui n’était pas évident du tout à l’époque.

Parlons tout de même un peu de musique. Forcément, c’est brut et primitif, on est tout de même en 1963. Et même s’il ne faudra que quelques années pour que les Beatles (et certains de leurs pairs, n’oublions pas) révolutionnent la musique populaire, ici, c’est le début. On sent un groupe qui se cherche, notamment au niveau des voix : les cinq premiers morceaux voient quatre lead vocalistes différents se succéder. Quatre vocalistes qui d’ailleurs, chantent juste. De même, les contraintes de production et de marketing font que les compositions personnelles ne doivent pas s’éloigner trop des reprises. Il n’empêche que les toutes premières compositions estampillées Lennon/McCartney (pas encore de compos de Harrison) sont souvent meilleures que les reprises, et comprennent déjà quelques éclairs de génie, comme la ligne de piano de Misery, ou le rythme probablement indécent de Love Me Do (batterie jouée par Andy White, la version Ringo étant encore plus puissante).

I Saw Her Standing There et Please Please Me sont sans doute les deux autres originaux qui sortent du lot, mais c’est la reprise finale qui restera le morceau de choix de l’album. Enregistré en toute fin de session, Twist and Shout est électrique, et aussi puissant qu’un morceau pop pouvait être à l’époque. La voix de John Lennon, qui était préservée jusque là, se rapproche de la rupture, et montre à quel point ces quatre-là possédaient des talents complémentaires hors pair. On n’avait encore rien vu.

Blur – Midlife : A Beginner’s Guide to Blur

Lors de la première vie de Blur, avant le récent et sensationnel retour de Graham Coxon, un Best Of était sorti, en 2000. Il avait été sévèrement critiqué, voire ridiculisé, car il ne comprenait que les gros succès du groupe, étant ainsi plus proche d’un Greatest Hits, et omettant ainsi énormément d’excellents morceaux d’album. Midlife (évidemment une opportunité d’encaisser du pognon sur le dos de leur tournée estivale, mais c’est comme ça que le business fonctionne, maintenant) corrige le tir, en modifiant drastiquement la liste des chansons.

Non seulement Midlife ajoute une quinzaine de morceaux, mais il en retire aussi sept, ce qui peut sembler étonnant. Néanmoins, malgré leur succès commercial, Country House et Charmless Man ne constituent pas vraiment des morceaux de choix, contrairement à To The End ou No Distance Left To Run, mais il fallait faire des choix. De même, pas d’inédits. On aurait sans doute pu racler les fonds de tiroirs, mais non, on a ici simplement 25 extraits déjà connus (et quelques versions alternatives). Enfin, les modifications ont sans doute aussi un but commercial, le pauvre gars qui avait déjà The Best Of a quelques bonnes raisons d’acquérir celui-ci. Même s’il est probable qu’il a depuis chopé d’une manière ou d’une autre la discographie du meilleur groupe anglais des années 90. L’album valant totalement la peine qu’on s’arrête à chaque morceau, voici donc le premier track-by-track de l’histoire de Music Box.

Beetlebum entame les affaires, avec un riff étonnant, même après 30 000 écoutes. Graham Coxon, je l’ai déjà dit maintes fois, est un guitariste absolument exceptionnel, et le prouve d’entrée, avec donc ce riff mais aussi un anti-solo époustouflant. Il est ici juxtaposé au premier gros succès du groupe, Girls and Boys, qui n’est finalement qu’un fantastique tube ironique qui explicite très bien un des thèmes dominants de Blur (même si cela concerne surtout leurs quatre premiers albums), une observation de la société qui n’a sans doute d’équivalent que chez Morrissey. For Tomorrow tombe d’ailleurs exactement dans le thème, on regrettera juste qu’il est présent dans une version alternative un peu traînaillante.

Retour au Royaume de Saint Coxon, avec Coffee + TV, single qu’il chante lui-même. C’est non seulement un moment important dans sa carrière (ses albums solo le prouvaient, et le prouveront encore ensuite) mais aussi le morceau le plus catchy et accessible de 13. Est-ce la peine de dire que son solo de guitare, qui rappelle J Mascis et Thurston Moore, est impeccable? Le final a maintenant un goût particulier : « We can start all over again ». Ensuite, Out of Time est justement un des deux morceaux sans Coxon, extrait de Think Tank. Coxon avait quitté (avec fracas) le groupe pendant l’enregistrement de celui-ci, avant de revenir au bercail cette année. Influencé par les expériences africaines de Damon Albarn, Out of Time a totalement sa place sur l’album.

Un des grands intérêts de Midlife, c’est d’inclure des extraits d’albums, et pas seulement des singles. Premier exemple, Blue Jeans, un des meilleurs extraits de Modern Life Is Rubbish, dont le refrain est exactement parfait. Désolé de remettre de l’huile sur ce vieux truc, mais le jour où un Gallagher fera ça… Song 2. Gimmick, mais tellement efficace. Bon exemple du jeu de basse d’Alex James, parce qu’aussi étrangement que cela puisse paraître, le boom du refrain vient principalement de la « lead bass ». Pas leur plus grand morceau mais peut-être leur plus connu, surtout aux USA. Ben oui, 2 minutes d’attention,et tout ça, ça marchait super bien aux matches de hockey. L’album est vraiment bien compilé, car après Song 2 arrive Bugman, aux paroles tout aussi obliques et à la disto puissante, cette fois sur la guitare. Excellente illustration de l’expérimentation de 13, je ne m’attendais pas à le trouver ici, surtout qu’après trois minutes, le morceau part dans tous les sens sans jamais revenir à la mélodie de départ.

Autre surprise, He Thought of Cars. The Great Escape, malgré son succès, est le mal aimé dans la disco de Blur. Trop cohérent (!), trop proche de Parklife (leur précédent, et premier gros succès), et sans doute pas assez mémorable. La compile réussit pourtant à extraire trois morceaux excellents, dont celui-ci, parfait représentant du ton tragico-mélancolique de l’album. Gros choc sur le morceau suivant. Death of a Party montrait le début de la phase expérience de Blur, qui allait connaître son paroxysme avec 13. Le morceau est non seulement compris ici (autre surprise) mais dans une version différente, encore plus étrange et supérieure à la version sur Blur. Fantastique morceau, et jusqu’ici, Midlife fait un sans faute.

L’ambiance change de nouveau avec la mégaballade The Universal, qui rappelle à jamais son clip ambiance Orange Mécanique. Une des plus délicates oeuvres jamais mises en musique, The Universal donne envie de rire et de pleurer en même temps, ce qui, vu le thème, est exactement ce qui était voulu. It really, really could happen. And it did happen, si l’on continue la relecture des paroles. Toujours sans transition, on passe à un extrait (le premier, et un des deux) de Leisure, le premier album. Sing, qui se trouve aussi sur la BO du très 90s Trainspotting montre la face shoegaze des débuts d’un groupe qui se cherchait. Pas exactement convaincant, mais il fallait l’inclure, au moins pour le refrain déjà très albarnesque. Enfin, le premier cd se termine avec l’emblématique This Is A Low, candidat classique au titre de meilleur chanson de Blur ou des 90s en général. Des paroles romantiques sur une Angleterre qui ne subissait pas encore Pete Doherty, et surtout, un solo de guitare totalement légendaire. Ainsi se clôture la première moitié de Midlife, probablement le disque le plus exceptionnel qu’il m’ait été donné d’entendre. Tout simplement.

La seconde partie est moins percutante, c’est vrai. Mais elle ne comprend évidemment pas de mauvais morceaux, même si on commence à regretter l’une ou l’autre absence…

Tender. Premier extrait de 13, et single totalement bizarre pour le Blur de l’époque, même si Blur aurait du nous mettre sur la voie. Choeurs gospel, backing vocals à fleur de peau de Coxon, c’est une superbe intro pour 13, et aussi pour ce disque. She’s So High est le tout premier single du groupe, et dès les premiers accords, on pouvait déjà déceler que quelque chose de spécial allait se passer. C’est aussi le dernier extrait de Leisure, puisque There’s No Other Way n’a pas été repris. Ensuite arrive un nouvel extrait de Modern Life Is Rubbish, Chemical World. Même si le morceau est assez bien considéré, je ne l’ai jamais trop apprécié. Mais c’est vraiment une question de détails. Un autre extrait de Think Tank (le second sans Coxon, donc) suit, et c’est le très sympathique Good Song. Excellent morceau, mais on sent que depuis Tender, le niveau a peut-être un peu diminué. Mais Albarn n’a sans doute jamais chanté aussi bien (« you seem very beautiful to me… »). Coxon ou pas, Think Tank, quand il est bon, est vraiment bon. Parklife, pour moi, n’a jamais été autre chose qu’un morceau gimmick, une suralbionisation Britpop racontée par Phil Daniels. Il devait être sur l’album, clairement, mais ce n’est pas leur morceau le plus glorieux.

Les apparitions successives d’Advert (Modern Life Is Rubbish) et Popscene (standalone single entre les deux premiers albums) attirent l’attention sur ce qui est un (petit) défaut de Midlife : il ne donne pas assez d’exemples de morceaux punk/rapides/funs dont Blur truffait ses albums. Les exemples ne manquaient pourtant pas : Bank Holiday, Chinese Bombs, Movin’ On, B.L.U.R.E.M.I., … Peut-être pas les meilleurs morceaux du groupe, mais un de plus aurait été bienvenu (et n’aurait pas occupé beaucoup de place). Mais mention spéciale pour avoir pensé à inclure le sautillant Popscene, dont c’est la première apparition sur un cd facilement accessible. Stereotypes conclut de belle manière la trilogie The Great Escape avec un morceau sympa, grâce au riff crunchy de Coxon.

On arrive petit à petit à la fin de l’album, et les quatre derniers morceaux sont tous des album tracks, aucun single. Etonnant, mais Midlife prend quelques risques, et c’est très bien comme ça. Trimm Trabb est un des morceaux les plus accessibles de 13, et gagne facilement sa place. Empruntant son nom à des vieilles shoes Adidas, il était parfois préfacé par Albarn chantonnant l’acronyme bien connu « All Day I Dream About Sex ». Un des meilleurs extraits de ce qui est sans doute mon album préféré de Blur. Riff entêtant qui se développe lentement, sans avoir peur de faire du bruit. Bad Head est une autre surprise, extrait peu connu mais méritant de Parklife, alors que c’est Strange News From Another Star qui termine de représenter Blur. Très étonnant, mais justifiable. Enfin, Battery In Your Leg, seul Think Tank sur lequel a joué Coxon termine de magnifique manière l’album, tout en prouvant à quel point il est inimitable. Au début, je me demandais pourquoi No Distance Left To Run ne le faisait pas, mais BIYL est plus intéressant, et surtout nettement moins sinistre : comme le titre de la compilation le laisse entendre, les jeux ne sont pas finis pour Blur, on se devait donc de terminer par une note optimiste.

Vous l’aurez compris, Midlife est une merveille totale, et j’aurais vraiment envie d’être la personne qui découvre Blur via cet album, le beginner du sous-titre, qui va ensuite écouter chaque album, et trouver son ou ses préférés. En écoutant Midlife, malgré ses petits défauts (dont un second disque un peu en deçà), on a envie de considérer Blur comme le meilleur groupe anglais des années 90. Et je pense qu’on aurait même raison.

Faith No More – The Very Best Definitive Ultimate Greatest Hits Collection

Cette année, nouveauté : en plus des traditionnelles compiles de Noël, on doit aussi se taper celles des groupes récemment reformés qui tournent cet été. Les deux gros noms sont Blur, avec le double Midlife, qui sort la semaine prochaine et qui est nettement, nettement supérieur au Best Of et Faith No More, qui nous sort ici une sixième compile en 10 ans, d’où le titre auto-ironique.

Même si Blur (on reviendra sur la compile, bien sûr) a souvent été considéré comme un groupe de singles, nombre de leurs meilleurs morceaux se trouvaient cachés entre deux hits. Faith No More n’a pas vraiment eu de hits majeurs, de plus, leurs albums étant généralement tellement éclatés et carrément bizarres que sortir des extraits d’un tout semble incongru. C’est sans doute pour cela que malgré les efforts (six compiles, donc), aucune n’est vraiment satisfaisante.

Celle-ci n’est pas la pire, comprenant dix-huit (excellents, évidemment) morceaux dans un ordre vaguement chronologique. On se demande bien où se trouve The Gentle Art of Making Enemies, mais bizarrement, il manquait déjà à l’appel de la triple anthologie The Works. On conseillera donc au néophyte d’essayer cette compile ou les deux autres décentes (Who Cares A Lot? ou This Is It, les deux restantes étant absolument à éviter), et ensuite d’aller vers les albums studio, seuls témoins valables du caractère exceptionnel de Faith No More.

Petite déception, par contre, pour le second cd, de « raretés ». En effet, la majeure partie de celui-ci est constitué de faces B et morceau live qui se trouvaient déjà sur le second cd de Who Cares a Lot. Les deux seules nouveautés sont Sweet Emotion et New Improved Song, jusqu’ici inédite sur sortie commerciale. Il n’empêche, ces morceaux restent tous excellents (mention spéciale à Absolute Zero) et Das Schutzenfest est toujours aussi fantastiquement ridicule.

Une compilation obligatoire, vu le retour du groupe, mais si elle peut servir à aiguiller le plus de monde possible vers les albums, alors, tant mieux : Faith No More le mérite amplement.

Pearl Jam – 1990-1992 (Ten Collectors Edition)

Il y a de ça presque deux ans, j’ai écrit une rétrospective de Pearl Jam en commençant, forcément, par le premier album : Ten. Dans l’article, j’ai mis en évidence une production souvent critiquée. Le groupe lui même s’en est rendu compte, à tel point que presque vingt ans après, l’album ressort en version évidemment spéciale et remasterisée, mais surtout accompagnée d’une toute nouvelle version de Ten, remixée par Brendan O’Brien.

Dans cet article, je ne vais pas revenir sur l’album en tant que tel, mais sur la valeur ajoutée du coffret collector, qui vaut largement qu’on lui dévoue quelques lignes. D’abord, sa composition : l’album original, produit par le très zeitgeist Rick Parashar et remasterisé en 2009 et la nouvelle version, remixée par O’Brien en forment la pierre angulaire. La version que tout le monde connaît ne change pas, même si le son est fatalement plus puissant, triste conséquence de la loudness war. La version O’Brien, par contre, est stupéfiante. On retrouve des guitares dont on ignorait l’existence, le son est plus clair, plus proche de ce que le groupe fait en concert. C’est surtout les morceaux plus lents qui bénéficient le mieux du traitement de BOB : Oceans (sans l’infâme reverb), Garden, Release et évidemment Black sont intenses de pureté et totalement captivantes. Les emblématiques Alive, Even Flow et Jeremy changent moins (même si le final de ce dernier est étonnament modifié) mais c’est surtout Porch qui impressionne par sa force et la rage d’un jeune Eddie Vedder.

La question à 110€ (le prix minimum du box) est la suivante : est-ce pertinent de vouloir réécrire l’histoire? Est-ce une bonne idée de décontextualiser un album qui est, par définition, un produit de son époque? J’imagine que c’est pour ne pas devoir répondre à cette question que les deux versions de l’album sont comprises dans le coffret. Personnellement, je détestais écouter Ten, justement à cause de cette production. Je préfère la nouvelle version, même si on ne peut pas, pour des raisons historiques, la substituer à la première et seule version légitime. Mais ce n’est pas la seule nouveauté, car le « nouveau » Ten (appelé Ten Redux) ajoute six morceaux bonus.

2,000 Mile Blues est, comme son nom le laisse penser, une impro blues en studio, pendant que le guitariste Stone Gossard était chez le dentiste. Anecdotique, mais comprenant un très bon solo de Mike McCready. Evil Little Goat est plus une blague qu’autre chose, un morceau qui aurait sans doute gagné à etre caché quelque part. On retrouve aussi deux versions alternatives de State Of Love And Trust et Breath (de la BO de Singles). Les versions sont assez brutes et primitives, on ne doit donc pas s’attendre à des versions aussi abouties que celles qu’on connaît. Enfin,les deux morceaux restants sont les plus intéressants. Brother et Just A Girl sont deux morceaux mythiques du groupe, ayant été joués en concert au début de leur carrière, mais ne s’étant jamais retrouvé sur disque (sauf la version instru de Brother sur Lost Dogs). Des versions studio pouvaient être trouvées sur le web, mais c’est ici la première fois qu’ils sont disponibles officiellement. Just A Girl est mon préféré, d’ailleurs un de mes morceaux préférés de cette période, alors que Brother m’a étonné, car les paroles ne sont pas les mêmes que les versions connues. De toute façon, ces deux morceaux sont clairement un des points positifs principaux du coffret, mais représentent aussi la porte d’entrée à ce qui est peut-être sa principale critique.

Comme on peut le remarquer, le nom officiel du coffret est « Pearl Jam 1990-1992 ». Le groupe a aussi annoncé son intention de ressortir chaque album de son catalogue, pour en faire une sorte d’anthologie jusqu’en 2011 et son 20ème anniversaire. Bonne idée, mais le problème, c’est qu’une anthologie, par définition, est censée contenir les meilleurs morceaux. Pour que la boîte soit complète, il eut fallu inclure les faces B, qui sont certes connues, soit via les singles correspondants ou la compile Lost Dogs, mais qui sont absolument cruciaux pour cerner ce qu’était PJ entre 90 et 92. Yellow Ledbetter, pour ne prendre qu’un exemple, est un morceau qui finit traditionnellement les concerts du groupe, et est donc un de leurs morceaux-clés. Forcément, n’importe qui pourrait le graver, ce disque manquant, mais je ne peux m’empêcher de penser que l’occasion était bonne. Tout comme je ne peux m’empêcher de croire qu’il devait bien y avoir autre chose de plus intéressant que deux faux inédits, deux démos et deux morceaux boîteux comme « inédits ».

On peut ensuite continuer l’exploration de la boîte, avec les deux mêmes albums (sans les morceaux bonus, pour une question de place) en vinyl 180 grammes. Forcément, il faut avoir le matériel (une bête platine fait déjà la différence), mais quand c’est le cas, les versions cd deviennent superflues : comme c’est souvent le cas avec de bons vinyls, le son est nettement meilleur, sans volume assourdissant. Le marché étant bien plus réduit, pas de loudness war pour le vinyl, qui est donc préférable au cd.

Ce n’est pas fini, loin de là. Le coffret comprend aussi le DVD de la mythique session MTV Unplugged, qui montre un Eddie Vedder compètement habité et surtout la mode de l’époque, sacré Jeff Ament. Je n’ai jamais été un fan de leur Unplugged, parce qu’il est arrivé trop tôt dans leur carrière : ils n’avaient pas encore assez de morceaux qui pouvaient se prêter au concept, contrairement à Nirvana ou Alice in Chains dont l’Unplugged est phénoménal. Il reste toutefois intéressant de le regarder, même si le Rockin’ in a Free World final manque à l’appel, probablement pour des raisons légales.

Suit encore un double vinyl (mais avec un code permettant de télécharger les mp3 en 256 kb/s) d’un concert légendaire, « Drop In The Park », à Seattle. Une fois de plus, c’est encore Porch qui vole la vedette, avec une reinterprétation passionnée de Tearing, du Rollins Band. Malheureusement, deux morceaux manquent encore à l’appel (Sonic Reducer et Rockin’ In The Free World), de plus, le concert est tronqué par la suppression des interventions parlées du groupe, remplacées par de très vilains fade outs.

On terminera la partie audio/video du box avec une véritable curiosité cette fois véritablement inédite : la reproduction de la cassette comprenant les tous premiers enregistrements d’Eddie Vedder comme chanteur de Pearl Jam. Stone Gossard et Jeff Ament avaient envoyé trois instrumentaux à Vedder, qui a écrit ses paroles et ajouté sa voix sur ce qui allait devenir Alive, Once et Footsteps, trois morceaux connus sous le nom de Momma-Son – ou Mamasan – Trilogy (voir l’article original pour explication). Les trois morceaux sont intéressants, surtout quand on les compare aux versions définitives : Alive est nettement plus lent, Footsteps comprend l’harmonica virée de la version du single de Jeremy mais rajoutée sur Lost Dogs ; quant à Once, c’est la version la plus différente, avec des couplets carrément funk. Note amusante : Pearl Jam n’ayant pas encore de batteur à l’époque, c’est Matt Cameron, alors batteur de Soundgarden, qui joue sur les trois morceaux. Une dizaine d’années après, il allait rejoindre le groupe pour de bon.

On l’aura compris, ce coffret est rempli à ras bord de musique. Mais le côté graphique a aussi été soigné, car on y retrouve des cartes postales, des répliques de ticket de concert, de pass backstage entre autres, mais aussi et surtout un carnet de 80 pages rempli de photos et souvenirs en tout genre.

Malgré les quelques points négatifs relevés ci-dessus, Pearl Jam 1990-1992 est un objet assez extraordinaire, digne témoignage de son époque. Beaucoup de soin et d’efforts ont été fournis pour arriver à un résultat fantastique, qui peut expliquer son prix relativement élevé. Il reste maintenant à voir comment le groupe va suivre ce coffret, vu que la même chose est attendue pour les autres albums, à commencer par Vs. La barre est placée très haut.