Mais même si on ne tarira pas d’éloges sur l’importance de ce que Reznor fait au niveau des nouveaux modes de distribution, il faut garder un certain recul quand à la qualité du matériel sorti. Pour quelqu’un qui avait l’habitude de laisser couler de longues années entre deux sorties, est-ce possible de sortir deux albums en trois mois sans que la qualité ne s’en ressente?
Après une courte introduction instrumentale, 1,000,000 entame les débats avec une intro à la batterie étrangement empruntée à Pearl Jam (Last Exit). Mais après cette référence amusante, on se rend vite compte que Reznor n’avait plus sonné aussi organique depuis un bon paquet d’années. Assez loin des considérations électro de Year Zero, on se rapproche plus de With Teeth, même si l’esprit nous ramène encore plus loin, aux premières années de Nine Inch Nails. D’ailleurs, en parlant d’organique, il est intéressant de constater que, contrairement aux habitudes où Reznor fait tout, les musiciens qui accompagnent NIN en tournée (Alessandro Cortini, Robin Finck, Josh Freese) jouent sur cet album, lui conférant ainsi un son plus live. Ceci dit, on regarde les repères classiques, c’est clairement du NIN : les paroles, le chant, la disto, le son, tout est là.
Letting You continue dans ce thème, étant carrément agressif et bruyant, jusque dans le fltre qui modifie la voix de Reznor. Rien de totalement nouveau, certes, mais, je le répète, on pouvait croire qu’on avait perdu cette facette de Nine Inch Nails, il semble qu’elle était simplement en veilleuse. On peut chercher pourquoi Reznor est partiellement revenu à ses premières amours, mais cela n’aurait pas beaucoup d’intérêt. De toute façon, maintenant que l’on sait qu’il contrôle chaque étape de la création artistique, on sait qu’il est exactement là où il veut être. Et cela inclut le premier extrait radio (ben oui, single ne veut plus dire grand chose), Discipline, qui est pop sans aucune honte. Avan de crier à la trahison, il serait intéressant de s’y intéresser un peu plus, les parties discrètes de piano (merci, Ghosts) lui offrant un niveau d’écoute supplémentaire. Sinon, et c’est un grand classique, les singles de NIN sont rarement les meilleurs morceaux.
La première partie de The Slip est presque l’antithèse de Year Zero. Les guitares dominent, souvent (mal)traitées. Echoplex tient sur un riff répétitif mais progressivement mutant, et inclut quelques lignes typiques de Reznor, qui exemplifient le manque de contrôle et de relevance (“my voice just echoes off these walls”), ce qui est évidemment un comble, vu le contexte de la sortie de l’album. Mais même si les guitares se font sentir, c’est évidemment le tout qui fait le son NIN, basse, programmation de beats, batterie, claviers, et tout le bricolage sonore qui les entoure. Head Down persiste et signe niveau sonore, jusque dans la confrontation (“hey, what you’re lookin’ at?”), tempérée par une explication dans le refrain, étonnamment mélodique. Un grand moment, assurément, d’un album jusqu’ici étonnant, inattendu et vraiment très bon.
C’est bien méconnaître Reznor que de croire qu’il va continuer longtemps comme ça : la fin de Head Down semble nous emmener vers une autre direction, qu’emprunte Lights In The Sky, dont la discrète intro piano/murmures nous renvoie directement au chef d’oeuvre de Trent Reznor, The Fragile. Alors que l’album était jusqu’ici assez accessible (enfin, tout est relatif), les sept minutes instrumentales de Corona Radiata changent la donne. Tout en ambiance, il n’a strictement rien à voir avec ce qu’on a entendu jusque maintenant, graĉe à sa multitude d’effets sonores très discrets (The Slip est un album à écouter avec un bon casque, si possible). Serait-ce cela, le concept The Slip : des morceaux directs et puissants, avant un glissement vers quelque chose de tangent, d’étrange? Il reste deux morceaux pour le savoir, mais Corona Radiata est, malgré tout, la pièce centrale de l’album, et un morceau d’une intensité remarquable, qui touche au sublime.
The Four Of Us Are Dying semble confirmer la théorie. Également instrumental, il est plus rythmé mais reste tout aussi intense, comme le titre peut le laisser sous entendre. Comme ses cousins lointains de Ghosts, on pourrait l’utiliser dans un film, mais alors pour conclure quelque chose de terrible. Demon Seed remonte la moyenne de BPM, et offre une ligne de basse peu rassurante. On est en effet au plus fort de la menace, avec Reznor murmurant littéralement au creux de l’oreille. Des nappes de guitares fortement filtrées semblent vouloir clôturer le morceau, dans le danger et l’incertitude la plus totale.