Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Ash – A-Z Volume 2

Ash a donc terminé l’expérience A-Z, à savoir sortir un nouveau single toutes les deux semaines pendant un an. Les vinyls se sont vendus comme des petits pains, et il semble que l’opération fut un relatif succès commercial. Ce Volume 2 est donc la seconde compilation, reprenant les treize morceaux singles et trois morceaux bonus, histoire de ne pas flouer les fans, et les pousser à la consommation quand même.

Qu’en penser? Forcément, sortir un morceau tous les quinze jours n’est pas nécessairement une garantie de qualité. En gros, on peut sortir plus ou moins n’importe quoi, surtout qu’ils ne se sont pas arrêté à 26 : pour éviter/limiter le piratage, le groupe a envoyé à leurs abonnés une dizaine de morceaux supplémentaires, et quand on ajoute à tout cela les morceaux bonus des deux compiles, et les éditions japonaises, on arrive carrément à un grand total de 48 morceaux, presque un par semaine, donc.

Pourtant, la qualité est bien souvent au rendez-vous. Ash aura réussi, avec ce projet, à casser leur image de groupe à deux morceaux : la ballade à briquets (ok, iPhones) et le poppunk légèrement furieux. Ils ont rajouté le morceau électro. Ok, je suis un peu vache : même si l’ossature du trio est toujours basé sur cette dynamique quiet/loud, leur palette a été un peu élargie, comme on peut l’entendre, notamment, sur l’instrumental de dix minutes Sky Burial. Sortir les morceaux individuellement à permis au groupe de se lâcher, et ne pas réaliser d’album vaguement thématique comme auparavant. Ce qui fait que la compile est assez incohérente, si on l’écoute en tant qu’album, mais ce n’en est de toute façon pas un. Rien n’est véritablement à jeter, il semble même que ce volume 2 soit meilleur que le premier. On retiendra surtout le riffage post-punk d’Insects, le dancy Binary, le Foo Fighters-rencontre-Queen Embers ou encore le punky Digital World, tout en regrettant les habituels défauts d’Ash, comme la propension de Tim Wheeler à faire rimer chaque ligne, ce qui est vite fatigant.

Même si je suis assez vieux jeu en restant attaché au concept d’album, il faut constater qu’Ash a mené le projet à son terme, et avec d’excellents résultats. Ash n’a pas fait de déclaration quant à leurs projets futurs, mais après avoir mené une telle initiative, il sera difficile de faire plus fort, et on peut imaginer qu’un album classique soit l’étape suivante. Ils auront en tout cas défriché le terrain pour d’autres initatives du genre. En attendant la suite, Ash a mérité de conserver son titre d’un des meilleurs single bands du rock UK, et ceci depuis de longues années.

Spotify : Ash – A-Z Volume 2

Harlem – Hippies

A voir les tops de fin d’année, on peut se poser une question : Mais où est le fun? Qu’importe les évolutions musicales, et la grande fragmentation de 2010, on aura toujours besoin de trois types qui jouent n’importe comment dans un garage des mélodies à mourir. Cette année, c’est Harlem. Leur premier album, fantastiquement appelé Hippies, est loin d’être parfait : la formule est Ramonesquement basique, et après seize morceaux commençait sérieusement à tourner en rond. De même, leur musique est bien trop fainéante pour se laisser classer quelque part : pas assez lente pour faire partie des chéris de 2010, pas assez roots pour se la jouer Black Keys, pas assez punky pour faire mal aux oreilles.

Qu’importe, Hippies comporte suffisamment de morceaux sympas pour passer un bon moment : Tila and I devrait être un tube avec une bonne production, Three Legged Dog sonne comme un slow de prom des années 60, Torture Me rappelle Nirvana même s’il est probable que les membres d’Harlem ont à peine connu Nevermind, et Someday Soon, avec son refrain qui dure trois minutes, est un de mes préférés de l’année, fun, rock, mélodique et sensiblement marrant (« Someday soon you’ll be on fire / And you’ll ask me for a glass of water / And I’ll say no you can just let that shit burn).

Le rock ‘n roll n’est évidemment pas mort, il est juste moins facile à trouver qu’avant. Pour le moment.

Spotify : Harlem – Hippies

Sleigh Bells – Treats

Gros coup de poing dans le ventre, quand même. Improbable collaboration entre une chanteuse teenpop et l’ex-guitariste de Poison the Well, Sleigh Bells frappe très fort, avec une alliance eau/feu entre gros beats, guitares hardcore et voix pop mielleuse. Derek E. Miller avait déjà produit un des rares morceaux écoutables du dernier M.I.A., et il fait ici équipe avec Alexis Krauss, dont la voix (généralement) angélique est découpée, refaçonnée, étalée en couches et généralement assez (mal)traitée.

Treats commence très fort, avec la rafale de beats AK-47 de Tell ‘Em, dont l’intro sorte de mix entre l’hymne national US de Jimi Hendrix et Refuse/Resist de Sepultura, avant que Krauss ne pose une voix aussi pop que n’importe quel bête groupe teenage interchangeable. Mais il y a évidemment quelque chose derrière tout ça, derrière une alliance apparemment contre nature, et qui fonctionne pourtant très bien. Car Miller ne laisse aucune concession : les morceaux sont durs, très produits, et loin des passages évidents à la radio. Malgré tout cela, on y retrouve une veritable recherche mélodique, et une construction souvent complexe même si on ne cherche pas à être bizarre juste pour être bizarre. Guitares et voix sont accompagnés par toutes sortes d’artifices de studio, comme synthés et boîtes à rythmes, mais sauf exception, c’est la guitare qui domine comme instrument majeur. Cependant, les beats n’ont rien à envier à je ne sais quel producteur hip-hop en vogue dans notre damnée époque.

On passe de « cinglé » à « totalement dingue », comme on le remarque dans la ligne de guitare de Riot Rhythm, et la voix de Krauss qui la suit : l’art du single efficace n’est pas perdu pour tout le monde, dans le monde de l’indie US. Infinity Guitars a besoin de rilatine pour calmer ses pulsions, alors que Run the Heart, plutôt basé synthé, est une sorte de shoegaze du 21ème siècle.

Autre bonne idée : les morceaux sont courts, l’album aussi : pas le temps de s’ennuyer, ou de seulement penser que la formule commence à se répéter. Rill Rill, d’ailleurs, tente de casser le moule, en apportant une sensibilité plus pop, plus douce, avec un sample de Funkadelic, d’ailleurs. Mais l’album reste délirant de bout, comme si on avait laissé deux gosses affamés dans un magasin de jouets avec un McDonalds au sous-sol. Straight As se la joue carrément hardcore tandis que A/B Machines pousse l’expérimentation à son paroxysme, et est le genre de morceau qui, si joué en club, pourrait même presque me faire sortir. Imaginez seulement. Le morceau-titre conclut l’album, avec des gimmicks exubérants (mais c’est un peu le cas partout), des cloches de Noël (clin d’oeil à leur nom) et des effets sonore tordus.

Si on devait trouver un défaut, ce serait justement que Sleigh Bells sonne très fort comme un groupe de studio. Là où d’autres duos (ceux qui ont une couleur dans leur nom) arrivent à assurer sur scène avec peu de moyens, Miller et Krauss n’ont pas la même dynamique, et il serait fort intéressant de voir ce que ça donne sur scène. Mais même s’ils sont à chier, Treats est un des albums les plus originaux et intéressants de 2010, année fragmentée s’il en est. Ils sont aussi une mise à jour contemporaine du mariage entre sensibilité pop et musique plus dure, une sorte de Ramones du vingt-et-unième siècle. Ce qui est une très bonne chose.

Spotify : Sleigh Bells – Treats

Michael Jackson – Michael

On y est. Le premier des sept albums posthumes qui sortiront ces dix prochaines années, après une demi-douzaine de sorties depuis l’assassinat suicide accidentel de la plus grande pop star de tous les temps. Seulement, la plus grande pop star de tous les temps, elle n’avait plus sorti grand chose de valable depuis la fin de la décennie précédente. HiStory marquait le début de la fin, Blood on the Dancefloor comprenait quelques chouettes choses, mais Invicible était juste mauvais. Qu’attendre de ces « inédits »? Probablement pas grand chose sur un plan artistique, mais beaucoup sur celui de la controverse.

Quand Will.I.Am des Black Eyed Peas vous fait un speech sur le manque d’intégrité, ça veut quand même dire que vous êtes vachement dans la merde. Rappelant fort justement le perfectionnisme de MJ, il mit en évidence le fait qu’il n’aurait jamais voulu que ces morceaux sortent, pire, qu’il ne les a simplement pas finis. Ce qui laisse les coudées franches à quelques producteurs peu scrupuleux pour autotuner le bazar, commander une pochette hideuse, et encaisser la monnaie. Passe encore : les inédits des Beatles fin des années 90 ont aussi été fort retravaillés a posteriori. Mais la controverse n’allait pas s’arrêter là : quelques voix concordantes, notamment issues de la famille du défunt, s’accordent à dire que ce n’est simplement pas lui qui chante à certains moments. Et force est de constater que parfois, la voix ne ressemble pas à ce qu’on connaît d’un homme au style vocal éclectique mais toujours reconnaissable. On ne connaîtra peut-être jamais la vérité, mais ce qu’on peut toujours faire, c’est écouter et juger Michael selon ses mérites. Ce qui n’est vraiment pas terrible non plus.

Michael n’est évidemment pas un album cohérent : deux morceaux sortiraient des sessions de Thriller alors qu’un autre aurait été le tout dernier enregistrement de MJ avant sa mort. Ce qui est cohérent, par contre, c’est une production lourdingue : Teddy Riley était à la mode en 1987, et encore. On ne compte plus les tics vocaux encore plus irritants que d’habitude, les choeurs démultipliés et les nappes de synthés dégoulinants de pas si bonnes intentions. Certains morceaux sont tellement pauvres mélodiquement qu’on n’a rien trouvé de mieux que répéter le refrain ad nauseam, histoire de, quand même, tenter (en vain) de le retenir. I Like The Way You Love Me (insert pedo joke here) commence avec MJ qui téléphone la mélodie : on aurait du laisser l’enregistrement d’origine.

Les trois morceaux qui ne seraient pas entièrement chantés par Jackson peuvent effectivement (partiellement) prêter à confusion : soit Jackson a changé de voix pour on ne sait quelle raison, en plein milieu du même morceau, soit Sony n’a pas été foutu de trouver un bon imitateur. On s’en fiche un peu, tant ils sont insipides et anecdotiques. Breaking News pousse même le vice jusqu’à reprendre des extraits sonores de bulletins infos qui relatent quelques scandales ayant impliqué MJ. Original, non? Michael Jackson parle de lui à la troisième personne, mais il semble vraiment probable que ce ne soit pas lui. Sony prend vraiment, vraiment ses fans pour des cons.

Bizarrement, les trois morceaux les plus intéressants clôturent l’album : I Can’t Make It Another Day a été écrit par Lenny Kravitz et utilisé sur son album Baptism. La version orginale apparaît ici, et contiendrait une performance à la batterie d’un certain Dave Grohl (qui sonne comme une boîte à rythme). Pas le meilleur morceau rock de Jackson, mais un break salvateur dans cette bouillie sonore. Michael se clôture avec deux outtakes de Thriller, album déjà ressorti deux fois auparavant, mais sans ces inédits : on pouvait décemment douter de leur qualité. Behind the Mask est pourtant facilement le meilleur morceau ici, une réinterprétation des japonais Yellow Magic Orchestra qui prouve que Jackson était (était) un performer vocal exceptionnel. Le solo de saxophone rappelle le mauvais goût de l’époque, mais bon, on restera indulgent. Le McCartnesque Much Too Soon sombre un peu trop dans la saccharose, mais est tout aussi superbement chanté. Faut juste supporter l’accordéon.

Michael est donc un album inégal au mieux, comprenant un ou deux morceaux décents et d’autres qui n’auraient pas passé le cap d’Invincible. Mais malheureusement, il marque le début d’une période de surexploitation commercial de l’artiste le plus exploité de tous les temps. Si les morceaux ici sont les meilleurs du lot, le pire reste à venir.

Si vous aimez Michael Jackson, ou la musique en général, n’achetez pas ceci. Ne le volez même pas, ça lui donnerait une justification imméritée. Allez écouter Off the Wall à la place.

Spotify : Michael Jackson – Michael

Alain Johannes – Spark

Alain Johannes est l’exemple parfait d’un excellentissime musicien, connu et reconnu dans un cercle relativement restreint, mais pas du grand public. Qu’importe, un rapide coup d’oeil sur sa page Wikipedia nous apprend que son cv est presque aussi long que la discographie de Buckethead. D’abord un groupe qui allait engendrer les Red Hot Chili Peppers, puis l’influenciel Eleven, mais surtout des longues et fructueuses collaborations avec Josh Homme, au sein de Queens of the Stone Age, Eagles of Death Metal, le groupe de Brody Dalle Spinnerette mais aussi les enregistrements des (regrettées) Desert Sessions (il est aussi ingénieur du son), et plus récemment Them Crooked Vultures, où il jouait un rôle tout aussi important que les mégastars avec qui il partageait la scène.

Johannes est aussi passé par une terrible tragédie : le décès, suite à un cancer, de sa partenaire de longue date, tant amoureuse que musicale, Natasha Shneider. C’est pour lui rendre hommage qu’il organisa un concert, qui fut le point de départ de cet album : son premier morceau, l’émouvant Endless Eyes, fut écrit pour l’occasion. Alain Johannes a réussi à transcender une horrible expérience en morceau limpide de beauté et d’espoir. Multi-instrumentaliste, Johannes a privilégié ici la cigarbox guitar, en y ajoutant parfois l’étrangeté intemporelle du thérémin. Folk, oui, mais une étiquette serait tellement réductrice. Le tout est chanté avec une voix méconnue, mais sous-estimée : pour rester dans la famille, on y trouve tant du Homme que du Lanegan, comme sur le superbe Make God Jealous.

Spark est varié tout en restant fidèle à un univers à part. Spider comprend des subtiles influences orientales, Return to You des harmonies vocales d’un autre temps. Spark n’a pas l’intention d’être immédiat, ni de connaitre un quelconque succès commercial : si Johannes l’avait voulu, il aurait pu composer douze hits (Hanging Tree, c’est lui) et engager quelques uns de ses potes (la dernière fois que j’ai vu Johannes sur scène, il jouait Kick Out The Jams avec Pearl Jam et Dave Grohl). Le surnaturellement éthéré Unfinished Plan clôture un album court (huit morceaux, une bonne demi-heure), mais que seul un battement d’aile d’ange sépare de la perfection.

Après une telle expérience, je regrette d’être cyniquement athée : j’aimerais imaginer que quelque part, dans un endroit nécessairement meilleur, Natasha regarde ici-bas, en paix, les yeux emplis de fierté. Elle le peut : Spark est un chef d’oeuvre.

En écoute sur Spotify : Alain Johannes – Spark