Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Isobel Campbell & Mark Lanegan – Hawk

On ne l’aurait sans doute pas cru il y a quatre ans, mais Hawk marque la troisième collaboration entre Isobel Campbell et Mark Lanegan, après Ballad of the Broken Seas (2006) et Sunday at Devil Dirt (2008). On a donc largement eu le temps de sortir les clichés Belle/Bête ou Hazelwood/Sinatra, autant se concentrer sur la musique.

D’abord, un constat. Ces trois albums appartiennent à Isobel Campbell. L’Ecossaise a presque tout écrit, produit et arrangé les trois albums. Ce sont plutôt des albums solo sur lesquels Mark Lanegan apparaît régulièrement. Certes. Mais alors, pourquoi est-ce que Campbell se met quasi systématiquement en retrait? Presque chaque duo est dominé par Lanegan, qui ne le fait pourtant pas exprès : la voix d’Isobel est enfouie dans le mix (au mieux), réduite à des coeurs quasi insignifiants (au pire).

Heureusement, les morceaux sont là : We Die and See Beauty Reign et Come Undone sont facilement l’égal des meilleurs moments des albums précédents, alors que Get Behind Me et You Won’t Let Me Down Again apporte un peu plus de rock ‘n roll au duo. Time of the Season est sans doute la meilleure collaboration de l’album, pour une fois, les deux voix se font parfaitement entendre. Mais pour un album de duos, on a quand même quelques surprises, notamment des morceaux solos (le typique Sunrise pour Isobel, le gospel Lately pour Mark) ou encore l’instrumental Hawk, et ses cuivres. La plus grande curiosité est la présence de Willy Mason, qui remplace Lanegan sur deux reprises de Townes Van Zandt. Malgré ses 25 ans, Mason chante comme un vieux bluesman enfumé, et son ton apporte un changement intéressant par rapport à la voix grave de Lanegan. Un album entier entre eux deux serait certainement une idée à suivre.

Hawk reste un bon album, que ce ne soit que grâce aux talents multiples d’Isobel Campbell. Mais on regrette sa discrétion légendaire, qui la conduit à faire de la figuration sur son propre album. Cependant, s’ils veulent encore en sortir un, c’est quand ils veulent.

En écoute sur Spotify.

Korn – III : Remember Who You Are

Ils n’ont pas de chance, Korn. On ne compte plus les groupes des années 90 qui se reforment, et qui finissent même pas avoir plus de succès que dans leur première vie, Faith No More étant un excellent exemple. Korn, eux, n’ont pas eu le bon goût de s’arrêter, quelque part entre Issues (1999) et le départ du guitariste Brian « Head » Welch (2004). S’ils l’avaient fait à l’époque, ils auraient pu se reformer, faire une tournée triomphale, des têtes d’affiche de festival, et un nouvel album revigoré. Au lieu de cela, on aura eu quatre albums certes non dénués de qualité, mais généralement décevants, entre « réinvention » (des synthés partout) et « retour aux sources » (moins de synthés mais pas de bonnes chansons). Bref, Korn devenait embarrassant, malgré les services rendus à la musique rock des nineties.

Probablement conscients de tout cela, le groupe a décidé d’effectuer un switch radical pour leur neuvième album. Ils ont engagé Ray Luzier comme batteur full time après l’expérience avortée Terry Bozzio qui fit suite au départ du fondateur David Silveria, ont pris leur temps (plus de trois ans depuis le dernier album, un record) et surtout, ils ose sont offert les services de Ross Robinson, qui fut le producteur des premiers albums de neo-metal (Korn, Deftones, Limp Bizkit, Slipknot). Tout ça pour tenter de retrouver leur gloire d’antan, ce qui s’exprime dans le titre de l’album, le « III » explicant qu’il s’agit de leur troisième album « brut », après Korn et Life Is Peachy, avant la starification et les Ferrari explosées.

On pouvait facilement le prédire, cela n’a pas vraiment marché. Oh, on ne pourra pas dire qu’ils n’auront pas essayé. Contrairement aux précédents albums, III est très peu produit : pas de synthés, pas de sons bizarres, juste les musiciens et la seule voix de Jonathan Davis, sur une seule piste, et non trafiquée. Ross Robinson a réussi à faire sortir le groupede sa zone de confort, et à de ce fait produit un album brut, qu’on n’attendait plus de Korn. Malheureusement, ce concept a mis le groupe à nu : sans aucun artifice, il fallait juste assurer, et les morceaux ne suivent pas. En gros, on a l’impression d’entendre onze fois la même chose, riffs sales désaccordés, gros groove hiphop du bassiste Fieldy et voix mi-rageuse mi-plaintive de Jon Davis.

Le single Oildale sort du lot, tout comme les riffs très méchants de Pop a Pill et Are You Ready To Live, mais le tout est généralement plombé par Davis, qui est encore plus insupportable que d’habitude, avec des pleurnicheries infinies du genre « are you ready to live, are you ready to die », etc etc… Davis ne sait clairement plus hurler comme avant, et vu que Robinson a banni Pro-tools du studio, il a bien fallu que le Robert Smith du metal (pour le double menton) trouve une manière de chanter pas trop faux, donc il se plaint. Leave me alone, et tout ça.

Toutefois, comme concept, c’est très courageux. Il est rare d’entendre un album si réel, surtout de la part d’un groupe tant associé à la surproduction. Oui, Davis chante souvent à côté de la plaque, mais combien de vocalistes de grands groupes le feraient aussi, sans les habituels artifices de production? La guitare de Munky est aussi fort limitée, même s’il tente de trouver d’autres chemins, via des passages mélodiques et même une sorte de solo de guitare, ce qui confirme une fois de plus que le vrai talent de compositeur, c’était Head qui l’avait (et qu’il a méchamment perdu depuis, d’ailleurs). Cependant, le courage ne fait pas tout, et Remember Who You Are n’est pas un bon album du tout, et, malgré l’attente due au retour de Robinson, on se met presque à regretter le Korn ambitieux, qui ne trouvait pas son chemin, mais au moins le cherchait. Ici, on est face à un groupe qui, malgré un album pas mauvais en soi, vient de brûler sa dernière cartouche, et qui n’a vraiment plus aucun avenir. Dommage qu’ils ne s’en soient pas rendu compte plus tôt.

Blip.fm : Pop a Pill, Are You Ready To Live, Let The Guilt Go

Spotify : Korn III : Remember Who You Are

Stone Temple Pilots – Stone Temple Pilots

Bon, on est à plus de la moitié de l’année, les sorties se font plutôt rares, et ma pile virtuelle de trucs à écrire, elle, ne diminue pas. Il faut donc que je parle des Stone Temple Pilots, d’abord parce que c’est un groupe que j’ai l’habitude de suivre depuis des années, et aussi parce qu’on me l’a demandé sur Facebook. Les Pilots s’étaient séparés il y a quelques années, suite aux frasques incessantes du chanteur Scott Weiland. Les trois musiciens ont formé l’assez médiocre Army of Anyone avec Robert Patrick, alors que Weiland s’acoquinait avec les ex-Guns dans Velver Revolver. L’histoire se répétant souvent, Weiland s’est fait virer, les STP restants l’ont repris parce qu’il faut bien manger, quand même. Cet album sans titre est leur sixième, et même si on n’en attendait pas grand chose, on pouvait quand même avoir un petit espoir de brillance de la part d’artistes qui en ont parfois eu un peu quand même.

Bilan : gros bof. Le single, premier morceau et seul futur classique du groupe sonne daté, emprunte méchamment à Nirvana (un comble, quand on sait que les Pilots furent ridiculisés au début de leur carrière parce qu’ils sonnaient plus Vedder que Pearl Jam) et compte des paroles totalement abyssales, même pour Weiland : « you were always my favorite drug / even when we used to take drugs ». Et c’est le refrain. La suite est généralement peu inspirée, malgré un Weiland qui fait quand même quelques efforts, qu’on mettra sur le compte de boissons énergisantes et d’auto-tune. Le reste du groupe tient la baraque sans génie, mais bon, ils n’en ont jamais vraiment eu, de génie. L’album est relativement varié, et est assez éloigné des débuts grunge du groupe, allant parfois vers le glam ou le « hard rock » classiquement vulgaire (Huckleberry Crumble, Peacoat) qui aide à expliquer pourquoi ils ont tourné avec Aerosmith cet été. Ailleurs, Weiland prend des accents bizarres (Johnny Rotten sur Hickory Dichotomy), mais cela frôle juste le ridicule, en fait. Enfin, les évidentes ballades (First Kiss On Mars étant un peu meilleure que son titre) n’arrivent pas vraiment à faire décoller un album inutile d’un groupe que personne ne regrettait vraiment, et qui ne laisse aucune doute sur ses véritables motivations, Weiland n’a même pas enregistré avec les autres membres.

Mais il ne faut pas exagérer non plus, le paysage musical contemporain compte suffisamment de médiocrité comme ça, cet album n’est pas mauvais. Cinnamon est une chouette chanson d’été, aussi vite appréciée qu’oubliée, et les frangins DeLeo savent toujours écrire des mélodies sympas, comme Hazy Daze ou le Beatlesque Dare If You Dare. Mais l’album est finalement plombé par une certaine lourdeur, des solos de guitares trop appuyés à un chanteur omniprésent, cherchant en vain une gloire passée. Juste un album de plus…

Blip.fm : Hickory Dichotomy, Cinnamon, Between The Lines

Cypress Hill – Rise Up

Il aura fallu bien longtemps pour que Cypress Hill sorte la suite de Till Death Do Us Part, notamment à cause de problèmes de contrats. Six ans et quelques tonnes de marijuana plus tard, le quatuor californien, le groupe hip-hop le plus apprécié du monde rock, revient avec un Rise Up justement censé plaire à ce public élargi qui fait la particularité de Cypress Hill, toujours très à l’aise en festival rock, voire metal.

Autant le dire directement : ça ne marche pas à chaque fois. Niveau strictly hip-hop, c’est franchement limite. Muggs, qui est quand même un des hall of famers de l’histoire du hip-hop, quand une telle chose existera, ne produit que deux morceaux sur tout l’album, et n’accompagne même pas le groupe en tournée. De plus, les deux morceaux en question (Pass That Dutch et Take My Pain avec le fidèle Everlast) sont largement les deux meilleurs cuts hip-hop de l’album, nous faisant regretter sa faible participation. Pour les crossovers, les californiens se sont lancé dans le latino, avec le très médiocre Armada Latina. Mauvaise idée, comme le trip reggae d’il y a quelques années.

Niveau rock, les invités sont de marque. D’abord, Tom Morello, pour deux morceaux dont le single Rise Up. Sympa, guitare impeccable, mais cela sonne quand même toujours comme un Rage light, mais hey, c’est pas le dernier Lil Wayne non plus. Mike Shinoda vient nous rappeler que Linkin Park nous revient en septembre, avec une ballade pourrie et un refrain sirupeux à souhait. Enfin, Daron Malakian a la très bonne idée de ne pas chanter, et d’envoyer quelques bons riffs à la SOAD. Ok, mais il manque quand même le grain de folie de Serj.

Bilan mitigé, mais d’un autre côté, Cypress Hill n’a plus vraiment besoin de révolutionner le genre, ils l’ont déjà fait. On peut toutefois se demander ce qu’il va advenir d’un groupe apparemment amputé de sa principale force créatrice, et qui sort un album plutôt porté par ses invités. Rise Up apporte en tout cas quelques morceaux supplémentaires à la légende d’un des plus grands groupes de hip-hop de tous les temps, et un des plus fédérateurs.