Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

The Raveonettes – In And Out Of Control


Avec My Bloody Valentine qui revient en force et de nouveaux groupes comme A Place To Bury Strangers pour renouveler la flamme, le shoegaze ne se porte pas trop mal, pour un mouvement mort. Lust Lust Lust, le précédent album des Raveonettes était plus fuzzy qu’une usine de Big Muff, mais arrivait à y allier une recherche mélodique quasi surannée. Il était aussi surpuissant et sans concession, à un point tel qu’il était impossible pour le duo Danois de continuer dans cette veine. Alors, ils ont allégé la musique, repris les habitudes des albums précédents, et poli la production : l’aiguille est maintenant plutôt dans la zone pop.

Pop with a twist, évidemment. Parfois des gros beats un peu bourrins (Bang, Suicide) mais souvent une jolie recherche mélodique, qui va de pair avec la voix de Sharin Foo. Bien sûr, le bruit et le feedback ne sont jamais bien loin (Gone Forever), mais ils ne sont plus la caractéristique principale de leur son. Last Dance renoue même avec les tubes à la Attack of The Ghost Riders. Mais que dire des paroles… Je ne l’ai remarqué que vers la fin : In and Out of Control est une sorte d’album-concept sur la violence, notamment la violence conjugale. Quand on s’y attache, c’est vraiment bizarre, surtout que les thèmes sont en contrepoids total avec la musique éthérée et aérienne. Il est par exemple quasi impossible de ne pas avoir en tête le refrain-titre de … Boys Who Rape (Should All Be Destroyed). Franchement embarassant. Autre exemple, Oh I Buried You Today fait penser à la pop des 50s, à Nancy Sinatra (et son Bang Bang) mais est empreint d’un malaise prégnant.

On perd d’ailleurs assez facilement le fil de cet album, qui ressemble plus à une collections de morceaux pas très soignés, alors que le but (producteur + studio alors que Lust Lust Lust était autoproduit at home) était sans doute différent. On retiendra toute fois le fantastique Heart of Stone, même si son riff lorgne un peu trop vers le Lateralus de Tool et Break Up Girls, seul morceau où Sune Rose Wagner se lâche enfin un peu sur les pédales. Sinon, In and Out of Control reste un bon album, mais trop impersonnel, et bien trop loin du précédent. Il fallait peut-être cela pour repartir de l’avant, reculer pour mieux sauter. On le verra dans deux ans.

Alice In Chains – Black Gives Way To Blue

Autant commencer directement : non, je ne suis pas satisfait que, contrairement à leurs promesses, le groupe s’appelle toujours Alice in Chains. La voix de Layne Staley faisait partie intégrale du son Alice in Chains, c’était peut-être même sa principale particularité. Enlever Layne (enfin, façon de parler) et le remplacer par un autre chanteur, aussi bon soit-il, devrait nécessiter un changement de nom. Queen n’a pas été foutu de le faire, le résultat a été catastrophique. Mais même sous un autre nom, il aurait été catastrophique. Finalement, c’est juste un nom. Et les contre-arguments ne manquent pas d’intérêt. Le cerveau d’Alice in Chains, c’est et cela a toujours été Jerry Cantrell. Il a presque tout composé (paroles et musique) et chantait parfois plus que de raison quand Staley était incapable de le faire. De toute façon, qu’on le veuille ou non, c’est fait. Black Gives Way To Blue sera classé sous « Alice In Chains », quatorze ans après Alice In Chains, et sept après la mort de Layne Staley. Et passer à côté serait une grosse erreur. Parce que l’album est bon, et dépasse toute espérance.

C’est simple, il suffit d’une seconde de All Secrets Known pour se rendre compte d’une évidence : Alice is back, et le son de Cantrell n’a pas pris une ride, même si personne n’a plus fait ce genre de musique depuis… quatorze ans. C’est lourd, très lourd, et lent, avec un riff dévastateur et un autre, monumental après 2″25. Clairement plus dans la continuité d’Alice in Chains que Dirt, l’album est presque stoner, se rapprochant des Sabbath les plus terrifiants. Sludgy as fuck. Cantrell chante, de sa voix inimitable (et assez proche de Staley, mais ce n’est pas nouveau) « a new beginning, time to start living », et il a tout à fait raison. Evidemment, on aura tendance à analyser chaque texte à la lumière de la destinée de Staley, mais on aurait probablement tort : Check My Brain parle de la vie de Cantrell, lorsqu’il est passé de Seattle à LA, et les morceaux écrits par le nouveau chanteur n’ont sans doute rien à voir avec son glorieux prédecesseur.

Parlons-en, du nouveau chanteur. William DuVall, de Comes With The Fall, qui ne ressemble ni physiquement ni vocalement à Staley. Cantrell a touché dans le mille, car il est totalement impossible de le critiquer pour cela : il apporte littéralement une nouvelle voix à Alice in Chains. On l’aimera ou pas, mais elle est là. Mais il ne chante pas tant que ça : Cantrell se charge de la majorité des morceaux, réduisant parfois DuVall aux harmonies que Cantrell avait auparavant l’habitude de faire, et qui constituent un autre grand élément du son AiC. Mais quand DuVall prend le lead, on est assez impressionné par sa voix, unique et parfois inspirée de quelqu’un qui avait déjà chanté avec AiC post-Staley : Maynard James Keenan. On pourrait faire pire, comme comparaison. L’excellent Last of My Kind le démontre assez bien.

Bien sûr, on est clairement en train de bouffer une madeleine. Je n’ai pas la moindre idée comment l’album serait perçu par quelqu’un qui n’a pas vécu cette époque. Mais je suis comme je suis, et je n’ai jamais eu la prétention (et la stupidité) d’être objectif en ces pages. Plus personne ne sonne/chante/joue de la guitare comme ça, maintenant. Mais on a déjà vu énormément de tentatives avortées de recapture de gloires passées : ce n’est pas le cas ici, BGWTB n’a pas a rougir de la concurrence des autres albums du groupe, ou de la période. Son gros défaut, mais aussi sa grande qualité, c’est de sortir en 2009. L’exemple le plus évident sont les ballades : on est en plein dans le (légendaire) Unplugged de 1996. Mais quand les morceaux (Your Decision, When The Sun Rose Again) sont si bons, peut-on vraiment se plaindre? Ou juste plonger tête la première?

Black Gives Way To Blue n’est pas sans défaut. Le tempo reste constant sur toute la longueur (20 minutes de plus que Backspacer, pour le même nombre de morceaux), et quand les compos deviennent moins percutantes, quand l’effet de surprise s’envole, on peut être un peu déçu par Lesson Learned, Take Me Out, Private Hell. Mais les sept minutes apocalyptiques de A Looking In View ou le break metal de Acid Bubble relèvent facilement le niveau. On pouvait le prévoir, mais c’est sur une chanson optimiste et introspective (avec Elton John au piano!) que se termine l’album. « Black gives way to blue (…) I remember you ». Même si je n’aime pas interpréter, cela me semble clair.

Alice in Chains est de retour, et de quelle manière. Ils possèdent un catalogue fantastique, et maintenant sortent un album de classe identique, qui montre qu’ils sont là pour durer. Pearl Jam ne sont plus les seuls survivants du big four, et même si Alice n’a pas évolué comme le groupe d’Eddie Vedder, ils sont toujours aussi bons, et ça, c’est vraiment incroyable. Pendant ce temps, Chris Cornell…

Pearl Jam – Backspacer

Drôle d’animal que ce Backspacer. Neuvième album de Pearl Jam, il surprend avant même d’être écouté. Dix minutes plus court que leur précédent album le plus court (36 minutes, 11 morceaux), il est aussi leur plus accessible. Le premier single, The Fixer, a surpris par sa simplicité et ses paroles positives, ce qui est assez rare chez le parolier Eddie Vedder (un journaliste du NME avait un jour dit que se plaindre que Vedder est morose, c’est comme reprocher à Johnny Cash qu’il s’habillait de noir). Bush viré, Obama (The Fixer – le Réparateur?) installé, le groupe peut enfin se détendre, et au lieu de faire du Pearl Jam (comme leur précédent album), être le Pearl Jam de 2009.

Malheureusement, cela ne marche qu’à moitié. Backspacer (en référence à la touche du clavier qui permet de revenir en arrière, sans doute pour mieux avancer après) commence vite et fort : quatre morceaux rock, punky, enlevés en 11 minutes. On commence par Gonna See My Friend et son riff très rock ‘n roll, l’opener le plus rock depuis Go (Vs, 1993), puis Got Some, plus ancré dans la bonne partie des 80s. McCready et Gossard y envoient des guitares un peu partout alors que Vedder est aussi frénétique que possible. On l’a déjà dit, mais on peut le répéter : la section rythmique Ament/Cameron est une des meilleures du rock actuel, surtout que Cameron s’est enfin installé confortablement dans un fauteuil qu’il occupe maintenant depuis dix ans. The Fixer continue la série, single mineur mais morceau quand même sympathique. Johnny Guitar étonne par son phrasé bizarre et une histoire fort légère. On doit s’y faire, PJ 09 est assez ensoleillé. Ce qui n’excuse pas les très vilains fade out des deux derniers morceaux.

Just Breathe nous ramène à la BO de Into The Wild, composée et interprétée par Vedder. Elle a permis de lui faire gagner un Grammy, d’entreprendre trois petites tournées solo et de carrément faire une OPA sur cet album : la moitié des compos (et toutes les paroles) sont signées par Eddie. Pour Just Breathe, cela passe, parce que le morceau est splendide et touchant, malgré des paroles parfois maladroites. Mais Speed of Sound et Unthought Known, deux morceaux débutés solo par Vedder durant sa dernière tournée, on se demande carrément ce qu’elles foutent là. Le dernier pourrait, avec son clavier craie sur tableau noir, être un morceau de Coldplay. Si. Si vous saviez comme j’ai mal, juste d’écrire ça. Speed of Sound, quant à lui, est heureusement sauvé par un refrain poignant. Vedder reste un artiste extraordinaire, mais je pense qu’il aurait du aller faire un vrai album solo plutôt que d’imposer ses vues au groupe, dont les autres membres ont fourni les deux meilleurs morceaux de Backspacer : Jeff Ament a écrit Got Some et McCready a notamment Force of Nature, qui bénéficie en outre d’un superbe texte de Vedder. Le groupe est de toute façon suffisamment bon, et la passion de Vedder toujours intacte pour truffer les morceaux de passages brillants, sans compter que certains prennent parfois une dimension inattendue, après plusieurs écoutes.

La seconde partie de l’album sera quand même sauvée par Supersonic, brûlot punky composé par Gossard (qui a aussi offert le trop classique Amongst The Waves) qui se transforme en impro bluesy avant de repartir en pleine vitesse, le fantastique Force of Nature déjà mentionné et enfin The End, terrible morceau qui ne colle pas, mais alors là pas du tout avec l’ambiance générale de l’album. The End, autre morceau 100% Vedder, ne compte même pas d’autre membre du groupe. Mais Eddie, sa voix, sa guitare, un quatuor à cordes et des instruments à vent. L’orchestration est touchante, et la voix légèrement craquante de Vedder convient parfaitement à cette triste histoire de père de famille, que je préfère ne pas interpréter. Le morceau se termine net, abruptement, dans ce qui est peut-être le seul moment de grâce de Backspacer.

Backspacer est une expérience intéressante, un album court et délibérément incohérent. Malheureusement, il est aussi plombé par une production fort peu subtile de Brendan O’Brien, qu’on a déjà connu bien plus inspiré. A croire que ses récents travaux avec Incubus et AC/DC lui ont fait oublier le concept même de subtilité. Ses claviers sont souvent lourds, et les gimmicks qu’il place un peu partout fatiguent vite. Mais, comme c’est l’album positif de Pearl Jam, voyons les choses du bon côté. Comme le groupe ne s’est jamais répété (et après neuf albums, chapeau quand même), il semble assuré que lorsqu’ils remettront l’ouvrage sur le métier, ce sera avec cette expérience mitigée en plus. Et gageons qu’ils sauront encore nous surprendre. Reste à espérer qu’ils arriveront aussi à convaincre.

Muse – The Resistance

Battre le fer tant qu’il est chaud, c’est ce que fait Muse depuis dix ans. Tournées incessantes, passages répétés en festival, cinq singles par album, et donc cinq albums studio (+ les dvd live) en dix ans. Grâce à tout cela, Muse est devenu probablement le plus gros groupe UK, et un des plus grands du monde (le monde, évidemment, ne comprend pas la grande île au large de l’Atlantique). Malheureusement, et c’est souvent le cas (voir récemment Kings of Leon), le succès populaire va de pair avec une méchante chute de qualité et de créativité. Black Holes and Revelations, l’album de la consécration, était probablement le moins bon, et les moments sympas (le surprenant comeback single Supermassive Black Hole) étaient dominés par le grand n’importe quoi (Knights of Cydonia) ou pire, le vraiment horrible (Starlight).

On ne pouvait donc pas s’attendre à grand chose de ce Resistance, surtout que les titres et le concept ne poussaient pas vraiment à l’optimisme, la parano politique du guitariste-miauleur Matthew Bellamy étant vite lassante. Les deux morceaux avant-coureurs n’ont pas aidé : United States of Eurasia commence comme une bête ballade, avant de « s’inspirer », une fois de plus, de Queen, alors que Uprising fait encore plus fort, plagiant facilement une dizaine de morceaux connus, une habitude chez Muse. Mais bon, si on est de bonne humeur, on peut aller chercher quelques éléments sympas, comme le refrain étonnant et très catchy du morceau-titre, l’intro musclée de Unnatural Selection (la suite est moins fun) ou l’assez carré MK Ultra.

Malheureusement, The Resistance est surtout le véhicule de l’ego de Bellamy, guitariste hors pair qui néglige ses guitares pour se focaliser ici sur le piano et le pompeux. Undisclosed Desires est totalement infâme, sorte de saloperie RnB rejetée par Boyz II Men en 1995 alors que I Belong To You (avec son piano cabaret parisien) se termine par un Bellamy qui ne trouve rien de mieux que de chanter un bout du Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, en français. Ce qui donne, en gros, « riiiiipooooonza ma tendwessseeeeuuu ». C’est mignon. L’album se termine avec la fameuse symphonie dont Bellamy parle depuis des années, et qu’il a eu la funeste idée de terminer. Enfin, soyons honnêtes : ce n’est pas mauvais, l’orchestre assure, mais on ne voit pas trop l’intérêt de ces dix minutes qui ne vont nulle part, et qui sont loin d’être le morceau épique promis.

Difficile de haïr The Resistance, qui est plus plat que le précédent. Au moins, il était très facile de détester Starlight ou Invincible, ici, on écoute une fois, on soupire et on passe son chemin. Vraiment dommage pour un groupe qui était prometteur, qui a sorti un très bon album, mais qui se perd en chemin depuis maintenant trop longtemps.