Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Dizzee Rascal – Maths And English

Le gouffre dans lequel le hip-hop est tombé semble sans fond. Oh, les artistes ne manquent pas, mais il n’ont aucune manière de se faire entendre s’ils ne rentrent pas dans les canons du genre, définis par quelques personnalités parfois talentueuses (Pharrell, Timbaland, Jay-Z) mais qui ont nettement plus le sens des affaires que de l’art (Sean « P « Puff Daddy » Diddy » Combs, qui devrait passer sur la chaise electrique pour crime contre la musique). Quand Dizzee Rascal a débuté, on était, du moins ceux qui ont trouvé un moyen d’entendre Boy In Da Corner, littéralement sur le cul. Beats d’avant-garde, dépourvu de tout attentat nécrophile (pardon, « sample »), et flow d’une rapidité inégalée, à un tel point qu’on a rarement idée de ce qu’il raconte.

Maths And English, le troisième album du Londonien, n’arrive pas à ce niveau de génie, mais tente de s’y rapprocher. Malheureusement, à chaque pas fait dans cette direction, Dizzee en fait un autre vers la face douteuse du hip-hop, celle du bling, du fric et du néant total. Car maintenant, on comprend ce qu’il dit, et on le regrette assez vite. Quand il donne ses conseils aux jeunes qui veulent débuter (Hard Back), il ne parle quasi que de fric. Et dans le charmant Suck My Dick, il clame clairement être le meilleur, avec une verve lyrique époustouflante (« I don’t care cos I’m the shit you can all just suck my dick »). Décevant, parce qu’on le savait capable de tellement mieux.

Il n’y a pas que du mauvais sur l’album, au contraire. Le début est excellent, avec le très sombre (et assez Wu-Tang) World Outside, l’hymne rave Sirens, qui rappelle ses coups de génie I Luv U et Fix up Look Sharp ou le violent Pussy ‘Ole. Mais ensuite, ça devient très dispensable, jusqu’aux trois derniers morceaux. D’abord, sa version du Temptation Greets You Like A Naughty Friend d’Arctic Monkeys (ici plus sobrement nommé Temptation), ensuite, un duo sympa avec Lily Allen, qui nargue Dizzee sur ses atouts en plaqué or, et un dernier morceau du niveau des premiers.

On prend le début, la fin et on jette le reste. Dommage, mais il est à craindre que le Dizzee Rascal qu’on connaissait soit perdu pour la cause. Le fric a encore gagné.

Korn – Untitled

Depuis le temps que j’écris sur ce site, j’ai déjà parlé de Korn à maintes reprises, vu leur rythme assez rapproché de sorties. Inutile donc de reparler de leur évolution, et de leur envie constante de se séparer du passé, en tentant d’ouvrir de nouveaux chemins inexplorés, avec plus ou moins de réussite. Les derniers temps ont été durs, avec le départ public du guitariste Head, un Unplugged raté, et, pour les sessions de cet album, les abandons successifs du batteur Terry Bozzio (remplaçant momentanément David Silveria) et des producteurs/compositeurs The Matrix.

On ne s’attendait pas vraiment à grand chose concernant cet album, qui n’a pas de titre (comme leur premier), et qui est quand même leur huitième. Disons le tout de go : il n’est pas aussi mauvais qu’on aurait pu le croire, mais il prouve que les diverses expérimentations du groupe, aussi courageuses soient-elles, ne sont pas franchement convaincantes. Comme pour See You On The Other Side, Korn reprend à son compte des rythmes instrumentaux proches de Trent Reznor, mais place encore plus la guitare en retrait, tout en ajoutant un clavier full time.

Clavier qui domine l’intro de l’album, qui semblerait avoir été écrite pour un film imaginaire de Rob Zombie, qui se passerait dans une fête foraine et où des zombies nains terroriseraient l’armée de l’antéchrist. Ou quelque chose comme ça. Standing Over est ensuite un bon exemple du « nouveau » Korn, tout en atmosphères lourdes, effets electro (plus discrets qu’auparavant), et un Jonathan Davis chantant bien plus qu’avant. Il chante assez juste, même si on regrette parfois ses bizarreries vocales, et aussi le fait qu’on comprend ce qu’il raconte, ce qui n’est pas toujours une bonne chose. Head en prend plein dans la tronche, accusé (sans doute avec raison) de gagner du fric facile sur le dos du groupe, grâce à un livre récent. On veut bien laisser passer, même si un ou deux morceaux à ce sujet auraient été suffisants. Aussi, appeler une chanson Bitch We Got A Problem, c’est trop. Même si la ligne de basse très groove est assez chouette. C’est sans doute le gros défaut de, euh, Untitled. Pas mal d’idées, certaines très bonnes, mais mal arrangées. Les refrains sont souvent grandiloquants, élevés pas un Davis multi-tracké. Korn ne vendra plus jamais autant d’albums qu’avant, ce n’est pas vraiment la peine d’essayer. De même, les passages pop sont presques indécents, même s’ils sont nettement moins nombreux que sur SYOTOS.

L’album est, comme prévu, très varié : on passera le médiocre single Evolution pour s’arrêter à Kiss, dont le mellotron fait évidemment penser à Strawberry Fields Forever, ce qui est quand même censé être hors de propos. Les tâtonnements d’Untouchables semblent enfin aboutir. De même, Ever Be se termine sur un final énorme, batterie étourdissante et claviers all over the place. Je serais même impressionné. Mais ce sont les deux morceaux suivants qui sortent du lot (Korn a toujours eu l’idée étrange de caser quelques uns de leurs meilleurs en fin de deuxième tiers, comme Predictable, Counting ou Wake Up Hate) : Innocent Bystander (guitar solo!) et l’excellent Killing, peut-être leur meilleur morceau depuis des années, et un des rares à ne pas pâtir de la production. I Will Protect You résume et termine bien l’album : clairement bien joué, il souffre d’une grosse production déplacée et d’un solo de batterie surdimensionné. Terry Bozzio n’avait clairement rien à y faire.

Untitled est plus cohérent que SYOTOS, et confirme que Korn, malgré les défauts de l’album, sont toujours capables de faire du très bon. Il reste à espérer que la prochaine orientation du groupe gardera l’ambition, mais diminuera les moyens. C’est avec pas grand chose que Korn a popularisé le nu metal, et sorti un des grands classiques des années 90. Ils ont encore un album comme celui-là dans les doigts, le tout est de le sortir.

Reuben – In Nothing We Trust

On parle souvent, à tort, de « scène anglaise » (en voulant dire britannique), en nommant Arctic Monkeys, Kaiser Chiefs, ou encore Franz Ferdinand. Sans vouloir critiquer ces groupes (sauf Kaiser Chiefs, mais c’est trop facile), on aurait plutôt tendance à oublier qu’il y a d’autres groupes qui n’ont pas forcément été nourris à coups de Stone Roses, Oasis et Libertines selon les générations. On a évidemment des groupes clairement metal, comme Million Dead, Raging Speedhorn ou les énormes Architects, et puis, sans doute les plus intéressants, ceux qui se trouvent entre les deux. On peut parler de Biffy Clyro, même si le dernier album s’éloigne encore un peu plus des grosses guitares saturées, mais aussi de Reuben, qui sort ces jours-ci son troisième album. Si on voulait les rapprocher de Biffy, on pourrait, mais alors plus du côté metal : ils virent carrément dans le hardcore.

Dès l’ouverture, et Cities On Fire, on est aux prises avec une bête aux multiples têtes, qui chante, qui crie, qui hurle, avec une schizophrénie aussi inquétante qu’exaltante. La dynamique classique quiet/loud est en application, mais quand ils sont loud, ils sont très, très forts. Comme pour les écossais mentionnés ci-dessus (ce sera Biffy, pas Franz), leurs morceaux fourmillent d’idées, comme brillamment démontré sur We’re All Going Home In An Ambulance, qui ne sait pas où elle va, mais y arrive très vite. Enfin, vite, tout est relatif : le groupe a développé un amour pour les longs morceaux, qui se développent patiemment mais toujours là où on ne les attend pas. On parlerait bien de prog rock, mais il ne faut pas, c’est mal.

Ceci dit, les sept minutes de Suffocation Of The Soul sont aussi user-friendly que le titre, mais la brillance est présente tout au long du morceau. Tout aussi surprenant, Deadly Lethal Ninja Assassin est complètement différent, ultra mélodique au point de rappeler les meilleures heures de Weezer. Avant d’emprunter des méandres encore plus intrigants que l’esprit de Rivers Cuomo. Plus loin, Reuben se lance dans la ballade acoustique caustique, aidé pour cela de la voix angélique d’Hannah Clark. « This is goodbye, I hope you die ». Hmm, ok, merci.

Mais ce ne sera qu’une tout petite parenthèse calme dans un album qui n’est pas pour autant bruitiste : la recherche sonore prend le pas sur celle du bruit, comme on peut le remarquer dans le long Three Hail Marys. Enfin, l’album se clôture en style, avec l’ambitieux A Short History Of Nearly Everything, qui non seulement survit facilement à son titre, mais qui offre à l’album une fin ad hoc.

On savait Reuben capable de bonnes choses, mais avec In Nothing We Trust, ils offrent leur opus le plus complet et le plus ambitieux à ce jour, sans pour autant renier leur style et leur nature. Les déçus de Puzzle y trouveront sans doute leur compte, mais tout le monde peut s’y jeter à corps perdu. Attention : on ne garantit pas l’état dans lequel vous ressortirez.

Unsane – Visqueen

Profitons de l’actualité musicale en vacances pour parler d’albums oubliés pour une raison ou un autre lors de leur sortie plus tôt dans l’année. C’est le cas de Visqueen, qui est déjà un prétendant universal comme album metal de l’année. Enfin, metal, tout est relatif, et comme je déteste 1) les récompenses et 2) la compartimentalisation de la musique, je m’en fous de toute façon. On dira heavy, pour dire quelque chose.

Bref, Visqueen, dernier album des pionniers new yorkais d’Unsane (20 ans de carrière, quand même), est stupéfiant du début à la fin. Étonnant, parce qu’il ne semble pas obéir aux formules connues. Même si la musique du groupe est lourde, parfois carrément violente, elle ne recherche jamais la sauvagerie, préférant l’intensité à la vitesse. Les rythmes sont parfois fatalement comparables à Black Sabbath, mais tout groupe heavy qui ne joue pas comme Cannibal Corpse finit tôt ou tard par être comparé à Sabbath. Ceci dit, les bases sont foncièrement hardcore, par essence : le groupe joue tel qu’il l’entend (ou ne l’entend pas, tant la basse est surpuissante) et le vocaliste ne chante pas, n’hurle pas, mais vit ses paroles, sans trop se soucier des sons qui en sortent.

Peu de compromis sur l’album, qui ne commence pas pour rien par Against The Grain (référence à Pantera? Peut-être). Pas non plus de structure classique, de refrains reconnaissables, ou de démonstrations techniques. Non, Unsane font juste ce qu’ils ont envie de faire, et contrairement au boss de leur label (Ipecac, donc Mike Patton, qui a parfois tendance à diluer ses talents), le font très très bien, avec passion et talent. Mais forcément, Visqueen n’est pas une écoute facile, vous l’aurez compris. L’album est très heavy, et le dernier morceau pourrait sans problème servir d’accompagnement sonore au film d’horreur le plus effrayant de tous les temps. En dépit de ce climat peu user-friendly, Visqueen est une réussite éclatante, la preuve définitive que le rock heavy ne mourra jamais, tant qu’il y en aura pour pousser de plus en plus loin ses limites, si limites il y a.

Beatallica – Sgt Hetfield’s Motorbreath Pub Band

L’art du pastiche est aussi méconnu que difficile. À ne pas confondre avec la parodie (imitation comique ou ridicule), le pastiche est défini comme l »‘imitation d’un style, d’une forme d’art ». Dans le monde du rock, quelques personnalités ont brillamment réussi dans cette discipline, citons Frank Zappa ou Weird Al Jankovic (qui a lui-même superbement pastiché Zappa). Sum 41 aussi, mais ils ne l’ont pas fait exprès.

Ce qui nous amène à Beatallica, qui, comme leur nom l’indique très bien, se spécialisent en reprises des Beatles dans le style de Metallica. Décrire ne sert pas à grand chose, il faut vraiment l’entendre pour comprendre. Le groupe est actif depuis le début de la décénnie, et a déjà sorti deux EP, distibués à l’époque gratuitement sur leur site Internet, et créant un phénomène online. Des problèmes juridiques sont apparus, provenant des représentants des Beatles qui n’ont pas apprécié le traitement de l’oeuvre. Les membres survivants des deux groupes ont supporté le groupe, qui en a même tiré une certaine publicité, ce qui leur permet de sortir aujourd’hui leur premier album physique.

Dès le titre de l’album (qui est aussi le premier morceau), on comprend leurs intentions, et chacune des treize (comme sur Sgt’s Pepper!) pistes suivent la même logique : bases de paroles des Beatles, modifiées avec des clins d’oeil à Metallica et au métal en général et pimentées par des tonnes de musicales à Metallica. Revol-Oooh-Tion est une version trash de Revolution et je vais juste citer quelques titres, ce qui sera plus clair : Blackened The USSR, Helvester of Skelter, Leper Madonna, And Justice For All My Loving, Sandman (Enter Sandman + Taxman). Et encore, Everybody’s Got Something To Hide Except for Me and My Lightning et I Wanna Choke your Band n’ont pas été repris ici.

C’est excellent, et pas seulement d’un point du vue humoristique : le chanteur reprend les tics vocaux d’Hetfield a la perfection, mais sans exagération; musicalement, tout est très bien exécuté, c’est plus du travail de pro que de potaches à la recherche d’un quart d’heure de gloire youtubesque. Certains morceaux arrivent même à atteindre des niveaux étonnants : Ktulu (He’s So Heavy) traîne sa carcasse pendant presque huit minutes, créant un morceau de bravoure très intéressant, et qui ne pâlit pas en comparaison aux immenses modèles, tandis que Hey Dude arrive à faire l’impossible : rendre Hey Jude et Nothing Else Matters intéressants, avec des paroles hilarantes.

Pour cela, et pour la liberté d’expression au sens large, Beatallica est extraordinaire, et alors qu’on attend toujours les remasters officiels des Beatles et un le premier album non pourri de Metallica en dix ans, on écoutera ça avec un large sourire.