Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Bloodhound Gang – Hefty Fine

Qu’on les aime (supporte ?) ou pas, on ne peut pas nier la détermination du Bloodhound Gang. Il semble qu’après chaque album, ils perdent leur contrat, et doivent ramer pendant des années afin d’en obtenir un nouveau, et de pouvoir sortir leur musique. De nouveau, cinq ans séparent Hefty Fine du précédent Hooray For Boobies, et il a fallu l’intervention du très louche Bam Margera (qui montre sa tête dans leur dernier clip) pour que le groupe puisse se faire entendre.

Il aurait probablement mieux fait de se taire.

Pourtant, j’aimais encore bien le groupe, surtout leur album One Fierce Beer Coaster, et son mélange assez frais (à l’époque) de rap et de rock, le tout servi par des paroles recherchées dans le genre douzième degré graveleux (exemple ? allez, « You came twice last year like a Sears Catalogue, extrait du très explicite Kiss Me Where It Smells Funny »).

Malheureusement, Hefty Fine semble être l’album de trop. Rien sur cet album n’arrive à la cheville de ce que le groupe a pu produire auparavant. Balls Out, le morceau d’ouverture, est tellement nu-metal que j’ai du vérifier la date actuelle, « Foxtrot Uniform Charlie Kilo » a une chouette mélodie et quelques bon jeux de mots, mais le concept est dépassé depuis environ 50 ans, tout comme les références aux Simpson (« Ralph Wiggum »). Ce qui semble vaguement original ne ressemble à rien (« Farting With A Walkman On », c’est cela, oui), et en fin d’album, quand le groupe tente de retrouver le succès de Bad Touch (Uhn Tiss), on est déjà parti de toute façon.

Restent encore quelques paroles bien écrites, mais qui ne forceront pas plus qu’un sourire. On se demande vraiment ce que le groupe a fait pendant ces cinq ans, mais maintenant on sait ce qu’ils n’ont pas pu faire.

Oceansize – Everyone into Position

L’an dernier, au Pukkelpop, Oceansize passait le temps entre deux morceaux à insulter d’autres groupes, à l’affiche ou pas (Muse, Placebo, The Darkness). Arrogance caractérisée, mais eux, au moins, ont les morceaux pour appuyer leurs dires. Everyone Into Position est leur second album, fait suite au EP Music For Nurses (2004) et est, clairement, un des meilleurs albums de 2005.

Si Charm Offensive, le premier morceau de l’album, était humain, on l’aurait enfermé dans un asile et mis sous lithium. La musique, simple de prime abord, devient un maelström de prog rock non prétentieux, et la voix passe de doucerette, à mélodique et à complètement schizo comme personne n’a su le faire depuis Mike Patton. Et on se met à se souvenir de Faith No More, qui un jour devra bien être considéré comme un des groupes des plus influents du rock comtemporain.

La folie qui habite Oceansize est effectivement très pattonienne, on retrouve même un peu de Fantômas par-ci par-là. A Homage to a Shame résume bien tout ça, un morceaux complètement à la masse, mais qui laisse pantois quant à la vision musicale du groupe de Manchester, qui s’approche du génie. Heaven Alive est le morceau calme choisi comme single, soit, il reste un des morceaux les plus cinglés qu’on peut écouter en radio.

Et quand Oceansize se calme, ça devient Music for a Nurse, où le groupe quitte provisoirement ses tendances schizometal pour embrasser le fantôme de Sigur Rós, et avec lui celui de Kevin Shields. La dynamique quiet/loud revient au galop plus loin sur l’album, et c’est alors les Pixies (qui, soit dit en passant, feraient peut-être mieux de disparaître de nouveau, avant qu’ils ne viennent jouer à la foire aux puces de Ciney) qui se rappellent à notre souvenir, avec, tiens, un autre chanteur un peu déjanté sur les bords.

Ceci dit, Oceansize réussit l’exploit d’être accessible tout en étant très ambitieux. Leur musique est aboutie, complexe sans être opaque, et on peut espérer que le groupe persévèrera dans cette voie, en sachant que le succès commercial ne sera sans doute jamais au rendez-vous. Bon, j’y retourne, car cet album n’a définitivement pas dévoilé tous ses secrets. Fabuleux.

Institute – Distort Yourself

En 1994, le grunge était mort. Tous ses illustres représentants allaient progressivement s’en éloigner, laissant la place à quelques petits malin, qui vont tenter de secouer la cadavre de Kurt Cobain jusqu’à ce qu’il s’effrite totalement. Bush était de ceux-là. Un des rares groupes anglais à avoir connu un grand succès aux States, Bush a copieusement copié les formules classiques quiet/loud, ce qui, couplé à la gueule d’ange du chanteur Gavin Rossdale, leur a permis d’atteindre une étonnante renommée. Après quatre albums pénibles, et aussi originaux qu’un best of de Creed, Bush se sépare, Gavin Rossdale se marie avec la future megastar Gwen Stefani, et se retrouve sans job (si ce n’est quelques seconds rôles ciné amusants).

Mais bon, Gavin s’est sans doute dit qu’il fallait bien faire quelque chose de son temps, et a téléphoné à son copain Page Hamilton (Helmet), pour lui proposer ses services.

Et voilà le (moins) beau Gavin de retour, avec Institute, qui possède un line-up assez intéressant sur papier : Chris Traynor (Helmet, Orange 9mm) à la guitare, Cache Tolman (CIV, Rival Schools) à la basse et donc Page Hamilton derrière la console. Comme tous les « supergroupes » récents, la question est : plus Bush ou plus Helmet ?

Clairement, les premiers morceaux ne laissent aucun doute : les riffs lancinants mid-tempo de Traynor et la basse dominante de Tolman (qui a sans doute pas mal écouté Sunn O))) )se réfèrent à Helmet, plus qu’au grunge-pop de Bush (qui, soit dit en passant, avec un nom pareil, à quand même bien fait de se séparer). La voix de Rossdale fonctionne bien, du moins si on réussit à la dissocier de son ancien groupe, et on se rend compte que Distort Yourself n’a pas l’air mauvais du tout. Bon, les paroles ne sont pas bien terribles, les huit premiers morceaux sont basés sur le même tempo (mais Helmet, universellement reconnu, a basé tout leur carrière sur ce tempo), mais ça aurait pu être bien pire (comme la couverture le pressentait).

Le groupe ose même les ballades, avec plus ou moins de réussite, mais au moins elles ont le mérite de ne pas tout foutre en l’air. Gwen Stefani aurait pu rester dans le studio de Pharrell, ses backing vocals sur Ambulance n’étant pas très crédibles.

Ceci dit, l’album souffre d’un sérieux manque d’intérêt dans sa seconde moitié, mais je le répète, c’est bien mieux qu’on n’aurait pu le penser. Espérons qu’ils vont évoluer comme un vrai groupe, ils pourraient vraiment devenir intéressants.

dEUS – Pocket Revolution

dEUS. Un jour, on parlera peut-être du groupe (si ce n’est déjà fait) comme le plus grand de l’histoire de Belgique. Premier groupe belge (avec Channel Zero, sans doute) a avoir été reconnu internationalement, plus même que dans son propre pays, dEUS et ses multiples side-projects ont écrit le plus gros chapitre de l’histoire du rock en Belgique. Dead Man Ray, Zita Swoon, Vive la Fête, Magnus, Anyway The Wind Blows (le film du maître de dEUS, Tom Barman) ont tous connu un membre du groupe à un moment ou un autre.

Worst Case Scenario, In A Bar Under The Sea et The Ideal Crash sont tous trois des albums extraordinaires même si parfois inégaux, mais qui a permis à dEUS d’approcher le statut de groupe mythique, à la Radiohead.

Mais voilà, Tom Barman n’a pas l’air d’être quelqu’un de facile à vivre… Il y a certainement des raisons pour lesquelles les musiciens qui l’entourent ne restent jamais bien longtemps, et d’autres raisons qui ont fait qu’il a fallu attendre plus de six ans entre Ideal Crash et ce Pocket Revolution. Cette période a vu quasi la totalité du groupe partir, dont le guitariste écossais Craig Ward, remplacé par l’ex-Evil Superstars Mauro Pawlowski, une compilation de singles sortir, quelques festivals et beaucoup de doutes sur un nouvel album.

Pourtant le voilà, avec autant de questions que de réponses. La plus importante : est-ce le groupe (= Barman ?) peut de nouveau produire, après une si longue absence, un album du même calibre que Ideal Crash ? Évidemment, la réponse est non.

Malgré tout, ce long hiatus n’a pas été inutile. Les différents projets de Barman ont largement influencés PR, comme on peut entendre dans les passages teintés de soul et de jazz (un morceau s’appelle carrément Sun Ra). Peut-être motivé par l’attente, Barman n’a peur de rien, et sa voix est mise en avant quasi à chaque opportunité, comme en témoigne le premier morceau, commençant par un feedback lancinant et s’achevant par un crescendo qui pourrait rappeler Instant Street. Mais après 7 bonnes minutes, on commençait à s’ennuyer.

Le single 7 Days 7 Weeks est symptomatique : le morceau est calme, mélancolique, bien exécuté, mais finalement peu intéressant à la longue. La suite de l’album ne démentira hélas pas cette tendance : des musiciens compétents, un chef d’orchestre autoritaire, mais des morceaux en demi-teinte, comme si, finalement, l’album n’était pas terminé.

Oh, bien sûr, on retrouve des moments de brillance, comme le funk très Magnus de Cold Sun of Circumstance, ou la très belle ballade-comptine Include Me Out, mais on a l’impression que la motivation de faire un bon album n’était même pas là.

Le comble : deux morceaux (If You don’t Get What You Want et Nothing Really Ends) étaient déjà connus depuis des années (même si c’était dans des versions différentes), jusqu’à 5 ans pour ce dernier, déjà inclus dans leur maigre best of.

On est donc déçu, et pas sans raison. Pocket Revolution n’est pas mauvais, mais c’est sans trop de doutes le moins bon dEUS, et pire, on se demande vraiment si Barman ne s’est pas senti obligé (contrat ?) de sortir un nouveau dEUS, quel que soir le résultat final. On aurait préféré que le hiatus se prolonge jusqu’à ce que le génie de Barman reprenne vigueur, même si ça présupposait un split du groupe. Better to burn out than fade away…

Sigur Rós – Takk

L’Islande est un pays assez curieux. 296 000 habitants à peine, un climat peu commode, un paysage tout à fait extraordinaire, une langue qui a très peu évolué depuis les Vikings. Tout cela a certainement inspiré les nombreux musiciens y provenant, on ne citera que deux noms (mais quels noms), Björk et donc, Sigur Rós.

Contrairement à l’exubérance parfois irritante de la première, Sigur Rós joue plus la carte de la discrétion. Il faut dire que leur musique éthérée, parfois glaciale (impossible d’échapper aux poncifs islandais, désolé) n’est peu peu propice à la rotation radio et tv (même si leurs rares vidéos valent le déplacement).

Mais parmi ceux qui ont un jour abandonné leurs sens à Sigur Rós, rares sont ceux qui en ressortent indemnes. Dans mon cas, c’était lors de la première partie de Radiohead, à Werchter, un peu avant la sortie de Kid A. Quatre musiciens pieds nus, un chanteur au timbre de voix inouï, un guitariste qui joue avec un archet, et une musique absolument extraordinaire. Takk est leur quatrième album (même si les sorties du groupe sont assez difficiles à comptabiliser), faisant suite au fabuleux Agaetis Byrjun et au très mystérieux (), album sans titre comprenant 8 morceaux, sans titre aussi. Même la langue dans laquelle le groupe s’exprime est étrange : Takk est apparemment entièrement en islandais (qui est déjà assez étrange comme ça), mais les précédents étaient chantés dans une langue de leur invention, baptisée « hopelandic ». Tout ça crée évidemment une mystique, qui aide à fabriquer l’image de marque du groupe.

Car finalement, tel est le (seul ?) problème de Sigur Rós en général, et de Takk en particulier. L’originalité du groupe est établie, leur genre musical à part aussi. Comment peut-on encore réussir à surprendre dans ces conditions ?

Disons-le de suite, Takk est un excellent album, et un digne successeur aux précédents. L’espace stéréophonique est rempli, par des cordes rêveuses, une basse parfois énorme, les guitares habituelles, et parfois un très gros son comme seuls Mogwai ou GSY!BE peuvent produire. Les influences postrock/shoegaze sont indéniables, mais le tout reste éminemment original et maîtrisé, l’album atteignant son paroxysme sur l’extraordinaire Saeglopur, merveille de retenue et de puissance.

On regrettera peut-être, outre le très relatif manque d’originalité, quelques petites longuers ça et là, et aussi des inégalités, qui sont malheureusement inhérentes à ce type d’œuvre.

Sigur Rós est un groupe à part, et le restera sans doute toujours. Et même s’ils n’arrivent pas toujours à transporter l’auditeur sur disque comme ils le font sur scène, ils restent un des groupes les plus particuliers, originaux et intéressants actuellement.