Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Rolling Stones – A Bigger Bang

Le monde n’a sans doute plus besoin des Rolling Stones, mais ils sont toujours là, pour on ne sait quelle raison. Au moins, ils vieillissent avec grâce et classe, nous offrent des top-modèles qui ont plus en leur faveur que leur nom de famille (Jade Jagger, Theodora Richards) et marquent de leur empreinte le plus gros film Disney de ces 10 dernières années (le personnage de Johnny Depp dans Pirates of the Caribbean est tellement inspiré de Keith Richards que ce dernier va jouer son père dans la suite, prévue l’an prochain).

Mais depuis Tattoo You (1981), ils n’ont sorti aucun bon album. Oh, ça n’a pas empêché les albums live, les tournées sold out hors de prix, le best of, les dvd et les remix des Neptunes. Mais on avait carrément arrêté de se demander si Jagger et Richards avaient autre chose à nous proposer que leurs querelles de vieux couple, tant la réponse semblait évidente.

C’était jusqu’à A Bigger Bang. Attention quand même, ce n’est pas Exile On Main Street, mais non seulement c’est le meilleur Stones en 20 ans, mais en plus, c’est un bon album tout court.

Il faut dire qu’il commence fort : Rough Justice est un brûlot rock n roll qui poussera probablement Jet au suicide (quel dommage, vraiment), emmené (comme tout l’album) par un Keith Richards inventif, créatif et parfois on fire, la slide graisseuse de Ron Wood, et évidemment par Charlie Watts, qui fait peine avec sa petite batterie, mais franchement, qui a besoin de plus ? Mick Jagger rajoute sa touche inimitable, avec de paroles pleine de sous-entendus, ou comment chanter “Once upon a time I was your little rooster / But am I just one of your cocks? ” à 65 ans sans paraître ridicule.

En fait, tout l’album est appréciable, pour diverses raisons. Parfois un riff de Keef, ou une ligne terrible de Mick, qui investit une personnalité de vieux bourgeois bougon, mais qui lui va si bien. Look What The Cat Dragged In le voir râler parce qu’il ne sait plus lire son journal en paix, Sweet Neo Con attaque très directement George W Bush (« hypocrite », « crock of shit ») et quand la politique locale et internationale l’ennuie, Sir Mick reprend sa bonne vieille voix de lion en rut (« She saw me coming », ce titre !!!). De plus, Keith prend le micro deux fois, dont une chanson d’amour touchante de sincérité (« Come on, bare your breasts and make me feel at home »).

L’album est sans doute trop long (16 morceaux), et on pourrait vivre avec deux-trois morceaux en moins, mais le choix serait difficile. Disons, pour être exact, que si les Stones avaient l’habitude de sortir de bons albums tous les 5 ans, on serait plus critique, mais bon, on sera indulgent. Streets of Love est horrible, ceci dit, on dirait presque une ballade d’Aerosmith. Mais le single n’est en rien représentatif, heureusement.

Bravo donc, pour avoir sorti un bon album, enraciné dans le blues et le RnB (dont le glissement sémantique est la pire chose qui soit arrivée ces dix dernières années) mais porté par d’excellents morceaux, et un talent musical qui était à redémontrer, c’est maintenant chose faite. Á dans six ans.

Black Rebel Motorcycle Club – Howl

Black Rebel Motorcycle Club s’était fait connaître il y a quelques années d’ici, avec un bon mais inégal premier album éponyme et l’imparable single Whatever Happened To My Rock n Roll. Le second album était malheureusement beaucoup moins mémorable, et le groupe semblait fini : plus de contrat, et un batteur qui semblait oublier de se rendre à ses concerts.

Un troisième album semblait donc assez improbable, mais le voilà, et quelle surprise. BRMC, pour ceux qui ne connaissent pas, alliaient l’attitude d’Oasis avec un son puissant plus qu’inspiré de Jesus And Mary Chain. Et les voilà maintenant avec une collection de morceaux country/blues/gospel ancrés dans l’Amérique très profonde. Pas un seul accord bruyant de guitare électrique, pas de pédale fuzz. Ici règnent la slide guitar, le rythme sec, l’harmonica et l’introspection.

Les deux premiers morceaux donnent le ton, avec ces paroles : « Time won’t save our souls », suivi un peu plus tard de « I don’t wanna be saved ».

Howl, dont le titre (et beaucoup plus) est inspiré d’Allen Ginsberg possède une âme. La même que celle qu’on retrouve dans les meilleurs albums de Johnny Cash, celle d’artistes dont les instruments sont le prolongement de leurs corps, dont la voix exprime ce que l’homme n’ose pas dire.

Même si tout le monde sera surpris par cet album, il est très difficile d’être déçu, même sans repères dans la monde de la country, et de Jesus of Americana. Howl est émouvant, bien exécuté, et jamais ennuyeux. On se surprend même à se demander pourquoi le groupe n’a pas fait ce genre de musique depuis le début, tellement ils sont à l’aise dans ce style, original même si très influencé (Complicated Situation évoque très fort Dylan).

Howl ne plaira pas à tout le monde, et risque d’en décevoir certains, mais sa pure beauté en fait un incontournable, et un exemple magistral de réinvention musicale.

Babyshambles – Fuck Forever EP

Moins on parle de la vie privée de Pete Doherty, mieux c’est. Mais quand il annule à la dernière seconde son concert au Pukkelpop tout en jouant les festivals avant et après celui-là, c’est quand même pas très pro.

Fuck Forever est un taster de l’album de Baby Shambles, qui est censé montrer au monde que le meilleur songwriter des Libertines, c’était lui.

Le morceau éponyme est évidemment très brouillon, mais plein de bonnes intentions, même si ce n’est pas vraiment la meilleure version. La terreur Mick Jones, guitariste de génie au sein des Clash mais producteur incompétent, a encore frappé. Que les choses soient claires, je n’ai absolument rien contre un album qui sonne pur, dur et vrai, bien au contraire. Up The Bracket est un putain de bon album, et il sonne comme s’il avait été enregistré dans un garage. Avec la porte ouverte. Mais ici, ça va trop loin. Fuck Forever et Monkey Casion, ça va encore. Gang of Gin est assez subtil et agréable, mais le réenregistrement de Babyshambles ne ressemble à rien, si ce n’est à son auteur, un énorme gâchis.

J’espère toujours que l’album sera meilleur que tout ça, mais quand on compare les version « finies » aux démos offertes par Pete sur son site, on ne peut qu’être déçu. What a waster, what a fucking waster, he pissed it all up the wall….

Supergrass – Road To Rouen

Il a fallu quatre albums pour que Blur se défasse de son étiquette de groupe populaire pour passer la vitesse supérieure, avec leur excellent album éponyme. Blur faisait suite au fameux The Great Escape, pas mauvais en soi mais trop proche de leur précédent, Parklife.

Supergrass a un peu déçu avec Life On Other Planets, album plein de bonnes intentions et mélodies mais trop formaté, trop proche de leur production habituelle. Difficile à dire si le groupe a suivi l’exemple de Blur, mais Road To Rouen marque définitivement une grosse cassure pour le groupe, juste après leur compilation anniversaire Supergrass is 10. C’est d’ailleurs la seule comparaison valable entre les deux groupes : là ou Blur lorgna vers l’indie US (surtout Pavement), Supergrass revisite les atmosphères psychédéliques, entre Pink Floyd et The Beatles.

L’étrangement titré Tales Of Endurance Part 4, 5 and 6 semble bizarre a la première écoute, mais très vite, on se rend compte qu’il s’agit ni plus ni moins qu’un des meilleurs morceaux jamais joués par le groupe. Faisant irrémédiablement penser aux guitares traînantes de Wish You Were Here, le morceau s’articule autour d’une superbe ligne mélodique, qui se découvre peu à peu, se fait oublier avant de revenir en force.

St Petersburg est de loin le single le plus mélancolique, néanmoins battu par le superbe Roxy, ballade emmenée par un mellotron évidemment très Beatles. Le tout est très subtil, mais semble parfois un peu brouillon, comme démonté dans Road To Rouen, aux influences bizarrement Talking Heads. Kick In The Teeth est la seule concession au son classique Supergrass, alors que les deux morceaux de fin (Low C et Fin) terminent un album court, mais qui n’a sans doute pas fini de dévoiler toutes ses surprises.

Supergrass surprend, encore plus qu’avec leur troisième cd (Supergrass). C’est sans doute une bonne chose, même si on ne sent pas toujours le groupe très à l’aise par rapport à leur nouvelle incarnation. Gaz Coombes, quant à lui, montre que sa voix est vraiment superbe, et le groupe a progressé en tant que musiciens, mais on n’est pas convaincus à 100% du résultat. Ceci dit, il faut une grosse dose de courage pour évoluer de la sorte, et ce n’est pas donné à tout le monde de réussi une réinvention avec brio. On se demande ce qui va se passer maintenant, ce qui est sans doute la chose la plus excitante apportée par Road To Rouen (le jeu de mots craint, ceci dit).

Dogs – Turn Against The Land

Les sorties d’album pendant les mois d’été sont assez rares, raison de plus pour s’intéresser à un nouveau groupe, dont le premier album n’a pas été si hypé qu’il aurait pu être. Comme la filière NME ne sait pas parler de musique sans faire des tonnes de comparaison, on va bien devoir les associer avec Razorlight : la voix du chanteur est relativement semblable (faut pas pousser non plus), et on retrouve aussi chez Dogs une certaine intensité. Maintenant, ça s’arrête là : Razorlight sont quand même bien gentils et assez inoffensifs, alors que Dogs est plus abrasif, plus violent, pour turbulent. Et, disons-le, meilleur.

Pourtant, Turn Against The Land commence relativement calmement, avec l’intro de London Bridge. Mais c’est avant que Johnny Cooke n’éructe le refrain avec le sneer de Johnny Rotten : pretty n’avait plus sonné aussi naughty depuis Pretty Vacant. L’intensité, caractéristique principale de cet album, ne descendra plus : Selfish Ways continue le thème récurrent de l’album (les relations amoureuses foireuses), avec quelques rimes phénoménales (« selfish ways / elvish face » ?), et autant de détours mélodiques qu’un morceau de Biffy Clyro (commence comme un bon Strokes et traverse un refrain de punk pur); Donkey est un brûlot à thème sentimental (« Shed your load / Your donkey’s come home ») ; End of an Era aussi, mais avec un autre thème (« What a wanker! / What a wanker! / I’m getting away from here! ») ; It’s Not Right est violent sans être inutilement bruyant ; alors que She’s Got a Reason se finit avec le fabuleux refrain I like you better when you liked as well).

La seconde partie de l’album surprend moins : la recette est maintenant connue. Tarred and Feathered et Tuned to a Different Station sont moins biscornus, alors que l’album se finit plus calmement, avec l’épique Red et une piste cachée acoustique.

Contrairement à Razorlight, la voix ne devient pas vite fatigante, mais c’est sans doute dû aux excellents musiciens : la section rythmique est irréprochable et le double jeu de guitare est très inventif, techniquement splendide et bourré d’idées.

Finalement, plus que la qualité musicale indéniable, c’est l’état d’esprit de groupe qui saute aux yeux : ils en veulent. Aucun d’eux n’est accro à l’héro, ne sort avec Kate Moss, mais ils sont bien plus rock n roll que cette pauvre épave de Pete Doherty.

Évidemment, TATL est un premier album est n’est donc pas exempt de reproches ; le principal étant effectivement un certain sentiment de répétition. Mais Dogs semble bourré de talent, et l’album sera définitivement un des meilleurs de l’année.