Archives de catégorie : Chroniques

Part Chimp – Thriller

Certains groupes n’ont vraiment pas envie de jouer le jeu du show business classique. Certains utilisent des canaux de distribution alternatifs, d’autres se concentrent plutôt sur le fond. Après avoir appelé un disque Chart Pimp, les anglais de Part Chimp sortent Thriller, l’année du décès de Michael Jackson. Thriller comporte neuf morceaux aux titres évocateurs (Today 2, Today 3, FFFFF, Star Piss, etc.) et aux durées variables (de 3 à 9 minutes). Autrement dit, c’est un peu n’importe quoi, et il fallait des âmes compréhensives pour sortir cette chose, ce qui fut fait grâce au label de Mogwai, Rock Action. Parce que, évidemment, la musique n’est pas très simple non plus, et encore moins facile d’accès.


Trad entame les affaires, et comporte les différents trademarks du groupe : une voix mixée assez loin, des guitares overdrivées, un son assez crade, une batterie assommante et cette fois, une basse qui se fait très présente. Ca fait très mal, mais c’est aussi très bon : un seul riff se répète avec quelques variations, une seconde guitare qui va et vient, une intensité indéniable. FFFFF fait preuve d’une attitude punk dans la voix, alors que l’intro lourdissime enchaîne sur un Dirty Sun qui aurait pu faire plier Black Sabbath sous son poids. C’est lourd et ça cogne.


Part Chimp pourrait ne faire que dans le bruit, et ajouter quelques drones histoire de faire groupe culte inécoutable, mais leur sens propre de la mélodie reprend parfois le dessus : Sweet T voit une des guitares reprendre la ligne de chant (ou le contraire) et la lead guitare de Today 2 pourrait presque être celle de Jack White s’il empruntait la Jazzmaster de Thurston Moore. Today 2 qui se transforme en Today 3, brûlot d’une violence sonore inouïe, encore plus fort et plus puissant que ce que Mogwai pouvait faire (en parlant de Mogwai, Tomorrow Midnite est assez inspiré des Écossais), avec un feedback signalant la fin du morceau? Non, ça repart encore plus fort, pour laisser une impression énorme dans les oreilles, ou plutôt dans la bouillie qui se trouve entre elles.


Bien entendu, Part Chimp prend ensuite tout le monde à contrepied, avec l’intro Mogwaiesque (+ voix) de Super Moody. Vu le titre, on pouvait s’attendre à un sérieux changement d’humeur, et il arrive en plein milieu du titre, une nouvelle attaque de bruit aussi impressionnante que superbement contrôlée : on peut imaginer le groupe quasi immobile, annihilant l’espace sonore autour de lui d’une simple pression du pied. Les neuf minutes finales de Star Piss composent un joyeux bordel, assez différent du reste de l’album, plus cohérent. Mais à partir de trois minutes, la basse reprend le contrôle du morceau pour l’emmener très loin dans les sommets du postrocknoisesludgemachin pour les friands d’étiquettes vides de sens.


Le rock est fait pour être viscéral et crasseux : Part Chimp fait tout ça, et bien plus.

The Horrors – Primary Colours

Comme 2009 s’achève à grands pas, il était temps d’enfin écouter un des albums de l’année, selon moults websites et magazines, histoire de voir si cela en vaut vraiment la peine (contrairement à Animal Collective ou Grizzly Bear, dont je peine vraiment à voir l’intérêt). The Horrors, c’était un groupe garage assez protopunk, mais maintenant, ils ont découvert Joy Division. Leur second album, Primary Colors, est donc censé nous renvoyer direct à l’époque de Tony Wilson, de l’Haçienda, de Factory. En avait-on besoin?


Non, mais cela n’empêche pas qu’on a toujours besoin d’un bon album. Primary Colors est définitivement de ceux-là. Mirror’s Image commence discrètement, avec un motif lancinant répété pendant presque cinq minutes. Mais c’est le mix synthés/basse/batterie qui emmène Three Decades qui donne l’illusion : The Horrors est totalement sous influence, oui, mais sous bonne influence. Après deux morceaux relativement tranquilles, la basse fuzz et les synthés très dreamy de Who Can Say ne laissent plus aucun doute : si c’est un pastiche, il est vraiment bon. Autant se détendre, et laisser son esprit critique, pour une fois, au vestiaire. C’est aussi un peu de Jesus and Mary Chain que les Anglais rappellent ici, il semble probable que leur collection musicale n’a jamais connu l’avènement du mp3. On pourra quand même regretter la quasi-grandiloquence d’un groupe qui, clairement, ne se prend pas pour n’importe qui, surtout dans le chef du vocaliste, vite irritant. On tentera aussi bien que possible de leur pardonner, surtout si leurs guitares sont toujours aussi mybloodyvalentinesques.


En parlant de la joyeuse troupe de Kevin Shields, Do You Remember pourrait faire penser à un Only Shallow un peu moins cinglé, mais avec le même genre de motif insidieux. On se demande pourquoi, et comment, mais bizarrement, ça marche. New Ice Age apporte même un peu d’arrogance punk et de rythme dans un album qui pouvait parfois menacer de se traîner : il n’en n’est rien, The Horrors ont nettement plus de trucs dans leur manche qu’on aurait pu le croire. Ils vont même « emprunter » le Come Together de Spiritualized pour I Can’t Control Myself, et rappeler Echo & The Bunnymen juste après (Primary Colours). Ce sont les huit minutes du premier single Sea Within a Sea qui clôturent l’album, et qui constituent le morceau de bravoure de l’album.


Un rythme progressif, organique, l’arrivée de claviers et/ou de guitares en feedback, la voix, d’abord lointaine : le morceau débute assez tranquillement, et ne semble pas vraiment évoluer en presque trois minutes. Pourtant, des nappes de synthés suivies d’une basse seule signalent un renversement du morceau, qui acquiert des éléments acidhouse en chemin pour partir dans un fête électro-organique qui pourrait presque rappeler MGMT dans leurs moments les plus classieux (s’il y en a). Replacé dans son contexte, à savoir le premier morceau d’un groupe qui était encore connu comme une bande de corbeaux à la Cramps, il garde son caractère impressionnant, et résume assez bien un album qui devrait être considéré comme un premier album d’un groupe étonnant, dont l’évolution est imprévisible. Album de l’année comme le dit le NME, peut-être pas (même si on peut facilement voir pourquoi le magazine anglocentré les a choisi), mais Primary Colours vaut quand même la peine de se retrouver dans les sempiternelles listes de décembre.

The XX – XX

The XX, pourquoi personne n’avait pense à ce nom auparavant? Simple, efficace, et tellement facile à retenir qu’ils n’ont pas été plus loin pour le titre de leur premier album, un des débuts les plus étonnants de 2009. Entièrement réalisés par deux mecs et deux filles d’une vingtaine d’années, amis d’enfance (toutefois, la claviériste vient de quitter le navire), XX est surprenant par son originalité. Oh, ce ne sont pas des sons venus d’ailleurs comme le Mirrored de Battles, mais cette musique ne semble pas appartenir à 2009 non plus, sans qu’on sache, d’ailleurs, d’où et de quand elle provienne.

Clavier, guitare, basse et boîte à rythme, rien d’extraordinaire à première vue, mais ce qui rend The XX très spécial, c’est la manière dont ils s’en servent. La production (faite maison) se caractérise par une grande économie sonore, laissant la part belle aux arpèges et atmosphères, au silence et à l’ambiance. Les morceaux peuvent ainsi se dérouler lentement, insidieusement, jusqu’à ce que la voix soyeuse, légèrement éraillée de Romy Madley Croft ne provoque une autre surprise. Croft n’est pas une grande chanteuse, elle n’a pas vraiment de technique vocale, mais sa voix est simplement parfaite, et s’insère parfaitement dans les morceaux. De plus, elle est se complète par la voix du bassiste Oliver Sim qui, lui, ne sait pas chanter du tout. Et pourtant, ça marche, son détachement vocal apportant un contrepoids parfait à la sensualité extrême de Croft (« Can I make it better with the lights turned on? »).

Islands, VCR, Crystalised pourraient tous être des tubes discrets, fondus dans un moule étonnant de précision, de beats chirurgicaux et de basse/guitare apportant une touche organique bienvenue. C’est dans les détails qu’on trouve les plus grands albums, et on trouve quelques exemples fabuleux. L’intro de Crystalised, étonnante de variété et de précision, qui semble s’arrêter pour laisser la place aux deux voix, avant de repartir, d’offrir un refrain très catchy et de se terminer par une variation de vitesse parfaitement maîtrisée (« go slow »). Heart Skipped A Beat voit les deux vocalistes se répondre « sometimes I still need you », alors que sur Infinity, ils s’échangent un déchirant « Give it up – I can’t give it up ». Et que dire du beat d’Islands, digne des meilleurs productions RnB du début de la décade, quand Timbaland était intéressant, et que Kayne West n’existait pas.

Alors, oui, le tempo des morceaux est peut-être similaire, et les voix peuvent rebuter. De même, deux ou trois morceaux sont un peu en deça du reste. Le minimalisme est aussi assez étonnant, mais il est difficile de ne pas être admiratif devant un album peu inspiré par ce qui s’écoute de nos jours, et surtout entièrement réalisé par quatre anglais d’une vingtaine d’années, qui ont quelques belles années devant eux, s’ils arrivent à gérer la pression qui a déjà eu raison d’un de leurs membres. Quoi qu’il arrive, XX restera un excellent album, surprenant et fabuleusement rafraîchissant.

Them Crooked Vultures – Them Crooked Vultures

Quelle immense déception. J’ai écouté cet album dès que j’ai pu, et pourtant… Des milliards de personnes souffrent encore de la faim dans le monde, les Israéliens et Palestiniens ne s’aiment toujours pas beaucoup, l’armée US continue à s’entretuer et Creed existe toujours. Them Crooked Vultures a donc échoué dans sa quête de changer le monde pour toujours.
Non, mais sans rire, je sais que la critique est aisée, et que pas mal de gens ont la grande ambition de voir le reste du monde se planter, mais j’ai beaucoup de mal à comprendre les critiques négatives adressées à Them Crooked Vultures qui est un groupe composé de Josh Homme (Kyuss, Queens of the Stone Age), Dave Grohl (Nirvana, Foo Fighters) et John Paul Jones (Led Zeppelin). Vu les antécédents des trois membres (rejoints en concert par Alain Johannes), il était évident que les attentes seraient grandes. Mais il faut être un tantinet réaliste, it’s only rock ‘n roll and you should like it.
On a dit que la musique de Them Crooked Vultures ressemblait à Queens of the Stone Age. Vu qu’il est chanteur et guitariste, il est probable que Josh Homme soit le compositeur principal du groupe, et effectivement, pas mal de riffs peuvent faire penser à son « autre » groupe. Mais de toute façon, si c’est le cas, cet album comprend les meilleurs morceaux de Josh Homme depuis Songs for the Deaf, album-clé des années 2000 sur lequel apparaissait déjà un certain Dave Grohl.
Dave Grohl, on le sait, est un personnage qui peut rendre dubitatif. Son job principal en tant que leader des Foo Fighters n’aura jamais été vraiment satisfaisant, le succès du groupe étant inversement proportionnel à son intérêt. Par contre, dès qu’il se place derrière une batterie, on ne peut être qu’impressionné par sa rythmique et son expression : Dave Grohl (qui, après le Live in Reading de Nirvana et le Greatest Hits des Foo Fighters, sort trois albums en deux semaines) peut être un chanteur, un guitariste et un compositeur tout à fait décent, il est surtout un excellent batteur, et l’alchimie qui le lie à John Paul Jones est très impressionnante. Il suffisait de le voir lors des premiers concerts du groupe (j’ai assisté à leur troisième, au Pukkelpop) pour lire la joie sur son visage et le sourire d’une oreille à l’autre à l’idée de jouer avec son idole.
Et la musique, dans tout ça? Avec un tel pedigree, les trois vautours tordus auraient pu sortir un excellent album hard rock, fait de riffs perçants, de beats puissants et de basse ronflante. Ils l’ont fait, mais seulement en partie : l’album est clairement une récréation, 66 minutes pendant lesquelles les trois membres ont fait tout ce qu’ils voulaient. Alors que ce genre de trip égocentrique est généralement une très mauvaise idée, ici, ça marche quasi à chaque fois. No One Loves Me (And Neither Do I) commence l’album bizarrement et discrètement mais la voix étonnamment aiguë d’Homme laisse place à un riff tout droit sorti des doigts de Jimmy Page, évidemment. Ca fait très mal, et le duo Grohl-Jones ne font déjà plus qu’un.

Les premiers morceaux de l’album sont relativement classiques, emmenés par des riffs énormes, notamment celui (ou ceux) de Dead End Friends. Combien de musiciens vendraient leur carrière pour ce que Homme est capable de faire les yeux bandés, en dormant. Josh Homme est le personnage le plus important de cette décade de rock, avec Jack White. Mais au fur et à mesure que l’album (et les morceaux) avancent, le tout devient plus complexe. Personne ne fait d’égotrip en envoyant un interminable solo de basse/batterie, mais au contraire, l’expérience et le talent des musiciens permettent de faire évoluer les mélodies dans des recoins insoupçonnés. Elephants le montre parfaitement, avec plus d’idées en 7 minutes que dans la plupart des albums de la décennie presque écoulée.

C’est d’ailleurs dans ce foisonnement d’idées qu’on pourrait – pourrait – trouver des reproches à l’album. Parfois, on a l’impression d’écouter trois gars qui font plus ou moins ce qu’ils veulent, et des morceaux peuvent donner l’impression d’aller nulle part. Question de point de vue, tout dépend de ce que l’on recherche quand on l’écoute, ce n’est pas Weezer, non plus. Homme, par exemple, varie nettement plus sa voix que d’habitude, chantant parfois très haut (le phénoménal Scumbag Blues) ou tellement bas qu’on jurerait entendre Mark Lanegan (Bandoliers, qui l’est tout autant). De même, alors que Homme et Grohl se cantonnent à leurs instruments de prédilection, Jones utilise plus ou moins tout ce qui passe devant lui, mandoline, claviers (Scumbag Blues, encore), slide, voire une sorte de keytar étrange alliant slide et kaoss pad. L’élément de folie du groupe est un mec de 63 ans.

Le groupe se fait donc plaisir, et heureusement, nous fait plaisir aussi. Bandoliers, un des tout grands moments de l’album, commence par un riff tellement évident qu’on croit l’avoir déjà entendu mille fois, avant que Jones ne domine le morceau avec une instrumentation vaguement Europe de l’Est, et carrément bizarre. C’est seulement maintenant que Them Crooked Vultures devient carrément étrange. Reptiles et sa slide guitar, mais surtout Interlude With Ludes, qui semble n’avoir aucun autre but que de faire un peu n’importe quoi. Pour une raison indescriptible, ça marche. Enfin, le quatuor final mérite toute notre attention.

Warsaw or the First Breath After You Give Up est un mégalithe de huit minutes à la rythmique imparable, marqué par un crescendo fantastique de Grohl et Jones, accompagné par la guitare de Homme, montrant que, malgré l’étiquette évident de supergroupe, TCV est vraiment un groupe (qui pense d’ailleurs déjà au second album) qui fonctionne comme tel. Ses membres sont juste plus expérimentés et talentueux que la moyenne, et surtout, ils n’ont pas d’objectif commercial pour un album qui, de toute façon, se vendra bien grâce à leur réputation. Le coquin Caligulove (Caligulove!) emmène encore plus l’album du côté de la folie, avec un solo de synthé assez dingue de JPJ. Gunman ne fait qu’enfoncer le clou, étant un morceau carrément dance, avec la voix de Homme trempée de reverb, et Grohl qui se prend pour une boîte à rythme technoïde. enfin, Spinning In Daffodils conclut l’album de manière intense et époustouflante de maîtrise.

66 minutes, c’est long, pas toujours justifié, mais il serait vraiment mal venu de se plaindre, tant l’album est excellent de bout en bout. Non, ce n’est pas un album révolutionnaire. Mais tant mieux : le rock n’est déjà pas en excellent état, alors, si la révolution devait venir d’un groupe dont les membres ont 36, 43 et 63 ans, on serait vraiment dans la merde. Them Crooked Vultures est fun, et ne veut pas inventer le futur. Ils se contentent d’en faire partie.