Archives de catégorie : Chroniques

The Black Crowes – Warpaint

Sept ans se sont écoulés depuis la sortie de Lions. Depuis, ils ont changé de membres, le chanteur Chris Robinson a connu les pages des tabloïds suite à sa relation avec Kate Hudson, et retrouvent une petite polémique avec la récente affaire Maxim. Maxim, magazine “masculin”, a récemment publié une chronique de Warpaint alors que le rédacteur n’avait pas écouté l’album. Pris sur le fait, il a refusé de s’excuser, s’est confondu en explications foireuses (certaines personnes à la DH vont sans doute s’en inspirer pour leurs prochaines tromperies) et a été assez justement ridiculisé par le groupe lui-même.

Ceci dit, on peut voir où Maxim voulait en venir : ils pensaient que l’album serait tellement facile à prédire qu’on ne serait même pas obligé de l’écouter. Ils n’avaient pas entièrement tort… Warpaint est un bon album, bien exécuté, surtout au niveau de la guitare de Rich Robinson. Maintenant, il faut s’en rendre compte, Warpaint aurait pu sortir dans les années 70. Á vous de décider si c’est une bonne chose ou pas.

L’ambiance est poussiéreuse, enfumée, et nous plonge assez vite dans le rock classique, Kinks, Faces, Stones, Led Zep, jusqu’aux derniers travaux similaires d’autres grands innovateurs comme Oasis (Noel Gallagher peut, et va probablement, pomper sévèrement Wounded Bird). Un peu comme Ben Harper, les frères Robinson nous font part de leur version du monde, nécessairement réductrice mais personnelle, et somme toute assez efficace : Goodbye Daughters Of The Revolution ferait bonne impression dans un épisode de That 70s Show.

Les Corbeaux poussent le mimétisme jusqu’aux paroles, avec presque autant de métaphores sexuelles douteuses que dans l’oeuvre de Robert Plant, et on peut se rappeler que l’enfer est sans doute toujours pavé de bonnes intentions : “Oh Josephine / You’re dressed in black / Oh Josephine / Your eyes are blue.”

Je ne veux pas être trop méchant non plus, musicalement, on ne peut pas leur reprocher grand chose, ils ont excellement émulé leurs idoles. Mais la relevance d’un tel album en 2008 est proche de l’intérêt de Maxim.

Be Your Own Pet – Get Awkward

J‘adore Be Your Own Pet. En tout cas, j’adore leur premier album, gros bordel tellement rock n roll qu’il devrait y avoir la photo de Lemmy dessus. Le second était attendu et craint : combien de groupes ont succombé au célèbre sophomore slump, ou syndrome du deuxième album.

Pas eux. Get Awkward est exactement ce qu’un deuxième album doit être, et encore plus. Ils ont gardé le caractère frénétique, juvénile de leur début, tout en y ajoutant un souci d’écriture, et une voix plus assurée dans le chant. Ca va très vite, très fort, et on peut même sourire des paroles et considérations adolescentes qui vont parfois loin (Becky voit l’héroïne tuer son adversaire en popularité à l’école). On s’amuse, et c’est clairement l’objectif, irrésistible, et absolument pas résisté.

Les musiciens du groupe ont aussi élargi leurs influences, avec des ambiances Misfits et du riffage à la Sabbath, tant mieux. On ne s’ennuie pas une seule seconde, et les morceaux changent assez souvent de motif, de tempo. Mais cela reste bien bordélique, et parfois chaotique (Blow Your Mind ou Bummer Time).

BYOP lève parfois le pied du plancher, ce qui permet d’accorder plus d’attention à la recherche mélodique, et aux efforts consentis par Jemima pour chanter, et elle le fait assez bien. You’re A Waste est le premier morceau un peu plus lent, et nous accorde une petite respiration. Mais les paroles sont toujours aussi acérées, ce qui est vraiment une des marques de fabrique du groupe. (“Now I’m glad you got a broken heart / ‘Cause I’ve been trying to fix mine from the start”). Sans aucune surprise, cela ne dure pas longtemps : Food Fight sonne exactement (paroles et musique) comme on pourrait le penser, tout comme Zombie Graveyard Party (Zombie Graveyard Party!). Vers la fin de l’album, Creepy Crawl est plus basé sur un riff bien stoner que sur la pure frénesie, mais il reste une – bonne – exception. Be Your Own Pet semble incapable d’être mauvais.

Get Awkward est un fantastique second album, qui, sans perdre ce qui caractérise BYOP depuis le début, amplifie la formule sans trop la modifier. On n’est pas en présence d’un album, ou d’un groupe, qui compte changer la face du monde, mais ce qu’ils font, il le font bien. Rien ne semble calculé, on entend simplement le son de trois types et une fille qui font plein de bruit, juste parce qu’ils envie d’en faire. Et ça, c’est très bien.

Nine Inch Nails – Ghosts I-IV

On ne reviendra pas sur l’événement qui a entouré la sortie de cet album, dont l’existence était totalement inconnu il y a de ça une petite semaine. Ghosts I-IV, malgré son mode de distribution alternatif, est bel et bien le sixième album studio original de Nine Inch Nails, c’est d’ailleurs officiellement un Halo (chaque sortie officielle du groupe porte un numéro Halo, dans ce cas Halo 26).

Entièrement instrumental, il tiendra une place à part dans la discographie de Trent Reznor, mais ne doit pas être considéré comme une sortie mineure, car c’est loin d’êre le cas. Si on devait le placer quelque part dans la discographie de son auteur, ce serait assez près de The Fragile, double album ambitieux et étonnant de variété, les morceaux metallo-industriels succédant avec bonheur aux instrumentaux planants. C’est somme toute ce qu’on a ici. Comme d’habitude, Reznor a tout joué et composé, aidé par le fidèle Atticus Ross et quelques invités, dont Alessandro Cortini et Adrian Belew. Petite note au passage, les morceaux n’ont pas de titres, on y référera donc en tant que 1 Ghosts II, 7 Ghosts IV, etc.

Le début de l’album est placé sous la domination du piano. Reznor se la joue classique et ambient, autant influencé par Chopin que par Aphex Twin. L’ambiance générale est difficilement explicable, car elle est très volatile et ephémère : le calme du piano laisse place aux distortions parfois sévères (4 Ghosts I n’aurait pas été renié par Sonic Youth). Tout ici est sujet à variation : les rythmes, les instruments (du banjo chez NIN, qui l’eut cru), les durées des pistes (de deux à cinq minutes). Reznor a explicité sur son site le caractère cinématographique de l’oeuvre, on peut effectivement imaginer des paysages en mouvement, accompagnés par la bande originale de la promenade, de la rêverie. Un blu-ray animé est d’ailleurs compris dans l’édition spéciale de l’album.

Les morceaux sont donc assez schizophrènes, parfois dans la même minute. Tantôt mnimalistes, tantôt bruyants, ils ne laissent jamais rien au hasard, et explicitent encore un peu plus le génie de Trent Reznor. On trouve quelques surprises, comme un passage assez folk avec guitares slide ou un autre très speed., pour carrément atteindre le sublime, 28 Ghosts IV. Rien n’est à jeter, et tout peut être réutilisé : la licence Creative Commons sous laquelle l’album est sorti permet l’utilisation et le remixage illimité.

Non seulement Ghosts I-IV est le plus grand pas jamais effectué vers une transformation idéale du modèle de distribution/extortion actuel, mais c’est aussi la meilleure chose que Trent ait fait depuis The Fragile. Libre de toute contrainte, il a pu livrer une oeuvre passionnante, qui, et c’est déjà confirmé, connaîtra une suite. On l’attend avec impatience, tout comme son prochain album vocal (suite de Year Zero?).

Si d’aucuns ont été déçus, ou du moins préoccupés, par les deux derniers albums, Ghosts I-IV nous apporte le meilleur de Trent Reznor, et cimente sa place dans l’histoire de la musique contemporaine. Mais il pourrait avoir un rôle encore plus important dans les mois à venir, celui de pionnier non seulement artistique, mais aussi commercial. Il mérite le respect.

The Gutter Twins – Saturnalia

Il aura fallu un bon paquet d’années avant la concrétisation sur disque des Gutter Twins, à savoir deux hommes qu’on ne présente plus (parce que si on le fait, ça prend une page) : Greg Dulli et Mark Lanegan. Dulli s’était fait plutôt discret ces derniers temps ; quant à Lanegan, et en plus d’assister fidèlement Queens Of The Stone Age, il a sorti en 2006 un sublime album avec Isobel Campbell, dont la suite est attendue cette année.

Saturnalia (déjà tout un programme) commence très fort, sans aucun temps d’adaptation, avec le fascinant The Station. Dense, inquiétant, il résume bien la suite. Lanegan et Dulli se partagent les voix, avec un équilibre subtil et terriblement efficace.

Très vite, on est plongé dans une impression d’éternité. L’album est comme suspendu dans le temps, n’appartenant à aucun genre, si ce n’est la personnalité des auteurs. Parfois, les morceaux sont dominés par les violons, alors qu’à d’autre moments, on jurerait retrouver les Screaming Trees. Une touche plus moderne arrive à la fin, avec des beats à la Radiohead post-OK Computer (Each To Each), même si le solo de guitare lorgne clairement vers les seventies.

Il est quasi inutile d’évoquer les performances vocales des deux hommes, tant on sait qu’elles ne peuvent être que sublimes. Lanegan et Dulli se partagent parfaitement le gâteau, sans aucune dominance. Simplement fantastique. De même, ils apportent ce caractère intemporel aux paroles, qui parlent d’amour (mais comme Nick Cave peut parfois le faire) au moyen de références bibliques et classiques (Seven Stories Underground s’inspirant de Dante).

Un album d’une classe immense, parce que très personnel, et carrément dangereux. Avec les carrières que ces deux hommes ont connu, ils auraient très bien pu se la jouer safe, un peu comme les Queens précités. Á l’inverse, Saturnalia est unique, et le restera forcément.

The Clash – London Calling (1979)

TheClashLondonCallingalbumcoverRéduire The Clash au mouvement punk de 76-77 serait une grave erreur. Sans aucune critique quant à leur influence respective, un morceau de Clash comporte plus d’idées que la carrière entière (courte, mais quand même) des Sex Pistols. London Calling, leur troisième album, est aussi leur plus célèbre, et le pivot de leur évolution.

Il débute par l’iconique morceau titre, un des tous grands classiques du punk et du rock en général. Mais c’est un des rares morceaux directs d’un album qui tire dans tous les sens, souvent avec une grande réussite. On connaît son rythme implacable, la voix de Joe Strummer, qui chante comme si sa vie en dépendait (une constante) et ses paroles. Personne ne défendra la working class comme lui, comme eux. Un groupe en qui on pouvait croire, notion totalement disparue de nos jours.

Musicalement, Clash s’éloigne d’un certain nihilisme prôné par d’autres formations de l’époque. Leurs racines sont clairement dans le rock ‘n roll classique (Brand New Cadillac) mais ajoutent, de manière innovatrice, beaucoup de cuivres, pavant le chemin pour un style musical toujours présent aujourd’hui (avec plus ou moins de réussite) : le ska. Rudy Can’t Fail, The Right Profile en sont d’excellents exemples. De même, on peut perçevoir des éléments reggae (Guns Of Brixton), qui iront plus tard jusqu’à constituer la majeure partie d’un (triple) album, Sandinista!.

Clash ne recule devant rien, quitte à surprendre, voire aliéner. L’album est fort long (dix-neuf morceaux) et fort varié, comme peuvent encore en témoigner le mélodique et réflexif Lost In The Supermarket ou The Card Cheat, où se cotoyent piano et trompette. Punk, peut-être, mais si peu réducteur. Le puissant Train In Vain conclut un album phare, monumental.

London Calling peut avoir des défauts, ils n’ont pas d’importance. Parce que son statut les transcende. Il est trop important, trop crucial dans l’histoire et la compréhension non seulement du rock, mais de la société elle-même, pour s’arrêter à ces aspects. Tout ça sans même évoquer la pochette.

Clampdown