Archives de catégorie : Chroniques

Black Francis – Bluefinger

Charles Michael Kittridge Thompson IV, plus connu ces dernières années sous le nom de Frank Black, sort un nouvel album. C’est déjà le quinzième depuis le dernier Pixies, et vu leur qualité très inégale, on devrait s’en foutre pas mal, surtout que tout ce qu’on attend, c’est un nouveau Pixies histoire de se lamenter encore un peu plus. Mais un détail change tout : pour la première fois en quinze ans, Charles reprend son pseudo Pixies : Black Francis. Alors, on se met à rêver d’en retour à la gloire bruyante de ses jeunes années, à tort ou à raison? Un peu des deux, forcément.

Bluefinger tient plus de Pixies que la quasi totalité de ses albums solo, la basse qui débute l’album fait penser tout de suite à Kim Deal, même si le morceau se serait plus aisément retrouvé sur Trompe Le Monde. Et même si la voix de Frank, Black, Charles, n’est plus trop ce qu’elle était, on continue, avec plus d’amusement que d’excitation, vers l’excellentissime Threshold Apprehension, déjà présent sur le récent best of (mais en version raccourcie). Digne de Pixies, le morceau nous fait croire au miracle. Il crie, il recommence à crier, comme si rien ne s’était passé. Surtout qu’on a même des backing vocals féminines, et une basse puissante et vibrante. Malheureusement, on se rend compte que ce n’était pas le but de l’artiste, de secouer les vieux fantômes. Bluefinger, par ailleurs un album apparemment concept sur le Pete Doherty batave Herman Brood, n’est pas le nouveau Pixies, ni même un retour particulièrement brillant de la part de Black. La basse est trop présente, et, pour tout dire, il manque un Joey Santiago. Mais il est tout de même plus appréciable et écoutable que la majorité de sa production solo.

Grandaddy – The Sophtware Slump (2000)

TheSophtwareSlumpCoverAprès une dizaine d’années d’activité, Grandaddy a mis la clé sous le paillasson l’an dernier. The Sophtware Slump est généralement considéré comme leur meilleur album, et est en tout cas un disque attachant et digne d’intérêt.

Le monde de Grandaddy est celui du frontman Jason Lytle et de son univers étrange, ici fait de robots humanoïdes poètes, d’ambiances sci-fi, de guitares lo-fi et d’une voix particulière rappellant Neil Young, à défaut d’une meilleure comparaison. Même si quelques extraits valent clairement le détour, c’est le tout qui fait de The Sophtware Slump un album majeure, et une des pierre d’achoppement de l’indie US des années 2000.

Les choses ne se passent pas facilement, et ce dès le départ : He’s Simple He’s Dumb He’s The Pilot ouvre l’album et dure presque neuf minutes, en passant par différents mouvements, reliés par une ambiance particulière, qui se retrouvera tout au long de l’album. Samples, claviers sortis de Silicon Valley et feedback rêveur en ferait la bande originale parfaite pour un western steampunk (en voilà une idée, tiens). Il est difficile de pointer des influences particulières, mais cette façon de bricoler des morceaux charmants à partir de pas grand chose reste mémorable, comme les deux imparables Hewlett’s Daughter et The Crystal Lake, où la voix très touchante de Lytle est mélancolique à souhait.

L’album comprend aussi des ballades qui semblent mener nulle part, et qui content des histoires surréalistes de robots et de nettoyage d’égouts, tout comme des morceaux nettement plus rentre dedans, avec des guitares maltraitées qui sonnent plus lo-fi qu’une démo de Dinosaur Jr. Broken Household Appliance National Forest combine les deux, alliance improbable de pédales fuzz et de micro-ondes dysfonctionnels.

Grandaddy fut un groupe attachant, qui, sans jamais trouver une large audience (et sans la chercher, non plus), aura réussi une bien belle carrière, influençant nombre de formations indie contemporains, tout en restant éminemment écoutable aujourd’hui. Respect.


The Crystal Lake

Tomahawk – Anonymous

Mike Patton est un homme aux multiples facettes, et est probablement l’artiste qui s’est le plus souvent retrouvé dans ces pages, quasi à chaque fois avec des projets différents. Cette fois, c’est encore plus étrange : le troisième album de Tomahawk, qui reste son projet rock le plus conventionnel, ne ressemble pas du tout aux deux précédents, et tenderait même plus, mais pas exactement, vers l’expérimental Fantômas.

Le concept est simple et étrange, comme souvent chez Patton : Anonymous, fidèle à son titre, reprend des morceaux traditionnels des Indiens d’Amérique, ceux qu’on doit appeler là-bas Native Americans pour faire dans le politiquement correct. Patton vocalise plutôt qu’il ne chante, en scat, en onomatopées vocodées mais parfois aussi presque normalement, mais c’est une fois de plus John Stanier qui casse la baraque.

Non content d’être la force motrice derrière l’album de Battles, un des incontournables de 2007, l’ex-batteur de Helmet imprime tout sa science du rythme parfait, passant de beats simples et constructifs aux rythmes syncopés à couper le souffle. Le tout sans voler la vedette à l’ambiance de l’album, tout en sérénité ambiante profonde, qui rappelle parfois Dead Can Dance. Ou à une occasion, System Of A Down : les sources sont ici, et même si un simple album de reprises ne peut pas permettre d’expliquer la culture musicale de plusieurs peuples pendant des centaines d’années, au moins Tomahawk aura réussi à démontrer son influence.

De plus, malgré une évidente bizarrerie et quelques libertés prises, textuellement et musicalement (le très heavy Sun Dance le prouve), Anonymous reste tout à fait écoutable et est en fait une bonne surprise car moins fermé que ce que Patton a souvent tendance à faire, comme le récent Moonchild. Bonne surprise, et bon album.

Manu Chao – La Radiolina

Comme on le sait, Manu Chao voyage beaucoup, partout, et ne s’est donc pas ennuyé entre son dernier album de celui-ci. L’ex-Mano Negra avait connu un succès étonnant avec ses deux albums minimalistes, bricolés lo-fi mais charmants. Cette fois, il a convié son groupe aux enregistrements, et le Radio Bemba Sound System augmente le son de la guitare de Chao, rendant le son plus expansif, et donc moins intimiste.

Qu’est-ce qui ne change pas? Le style des morceaux, toujours mélancolique et chanté en plusieurs langues, dans un style alliant naïveté et authenticité reste le même, on a rajouté des percussions et des guitares parfois assez rock, comme dans le premier single Rainin In Paradize ou Panik Panik. Naïveté aussi au niveau des paroles, et Chao a toujours un accent anglais absolument effroyable. Interpeller George W Bush dans sa langue en devient finalement plus ridicule qu’efficace. Heureusement, il réussit à sublimer ses sentiments, dans quelques morceaux spendides comme Otro Mundo, mais on se met à regretter l’ambiance particulière des albums précédents, moins professionnelle, plus efficace.

De plus, ce que Radio Bemba apporte est assez limité : des rythmes basiques, des guitares trop simples : en concert, c’est très efficace, mais ici, on a l’impression de perdre son temps, surtout pour les morceaux qui durent moins de deux minutes. Et le riff de Rainin in Paradize est (ré)utilisé trois fois en cinquante minutes, quand même.

Déception personnelle donc, même si je suppose que ça sera pris comme un atteinte à la world music ou que sais-je encore. Reste que Manu Chao dans un groupe rock, je préférais Mano Negra, et Manu Chao solo, c’était les bidouillages personnels des débuts. Mais c’est mon avis, et comme il semble que j’ai souvent tort 😉 …

Ben Harper and The Innocent Criminals – Lifeline

Ben Harper continue son exploration de dizaines d’années de musique, et de lui-même. Après un album gospel, un reggae et un impressionnant double, Lifeline est son neuvième album studio, et est aussi assez particulier. L’album a été écrit sur la route, avec l’aide (pour la première fois) de son groupe, The Innocent Criminals, et enregistré en une petite semaine à Paris. Il en acquiert un sentiment organique puissant : le son est live, et sa voix d’Harper est parfois poussée à la limite de ses émotions, prouvant une dernière fois qu’il est un interprète remarquable. Mais Lifeline ne serait rien sans les morceaux eux-même, et la qualité est au rendez-vous.

Fight Outta You rappelle, par son caractère répétitif, With My Own Two Hands en y ajoutant un caractère social prononcé, qui pourrait sortir de la bouche de Zack De La Rocha s’il avait adopté un autre style. Fool For A Lonesome Train donne l’impression, comme l’album en général, d’avoir toujours existé, d’être un classique immédiat, alors que Needed You Tonight invoque le début du rock n roll : Ben Harper est de la classe des légendes. Musicalement, le groupe est très solide, mais c’est la guitare d’Harper, souvent discrète, qui domine sans éclabousser : il a prouvé qu’il pouvait faire du Hendrix, maintenant il fait juste du Harper.

L’album entier ne souffre d’aucune faiblesse, et les meilleurs morceaux en deviennent alors extraordinaires : Younger Than Today est beau à pleurer, d’une tristesse sublime, alors que les deux derniers morceaux (joués live en une prise) montrent Harper en solo, arrachant son coeur, son âme et déposant le tout devant lui, pour que tout le monde puisse regarder.

Lifeline est sans doute l’album qui m’a le plus impressionné depuis longtemps : il n’est peut-être pas parfait, et comme souvent chez Harper, il part parfois dans tous les styles, mais il est tellement rare d’entendre une telle authenticité de la part d’un artiste qu’on ne peut qu’admirer. Parce que le reste du monde ne saura qu’admirer.