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Noel Gallagher’s High Flying Birds – Noel Gallagher’s High Flying Birds

Dix ans, au moins, qu’on l’attendait. Dix ans que son auteur en parlait, généralement comme menace destinée à botter les fesses de son ptit frère, quand Big Brother n’était pas satisfait de son niveau d’implication au sein d’Oasis. Finalement, le premier album solo de Noel Gallagher sort dans des circonstances particulières, vu qu’il n’a plus de groupe. Oasis n’est plus (enfin, jusque 2015), ils sont partis former Beady Eye (au succès, disons, relatif) et Noel se retrouve, bizarrement, avec pas mal de choses à prouver. Notamment, dans un pays ou le rock ‘n roll reste traité comme une compétition, prouver que son album est meilleur que celui du frangin. Comme souvent avec ce qui provient d’Oasis, la réponse n’est pas claire. Ce qui l’est nettement plus, c’est que cet album-ci n’est peut-être pas Definitely Maybe, mais ce n’est pas Standing on the Shoulder of Giants non plus.

Qui dit album solo dit, souvent, histoire intime et acoustique. Pas avec Noel. Everybody’s on the Run, le premier morceau de l’album comprend un choeur de 100 personnes (Abbey Road, of course), des effets sonores un peu partout, et on retrouvera des cordes, des cuivres, du piano ou des percussions un peu partout sur l’album. Ce qui n’est pas spécialement étonnant de la part de l’auteur de Be Here Now, mais qui détonne largement de l’approche nettement plus rock ‘n roll de Beady Eye. On reste donc en terrain très familier, voire même un peu trop. On ne se retrouve jamais surpris, les petites touches de « nouveaute », comme l’ambiance du single The Death of You and Me sont quand même très légères.

On retiendra trois choses de l’album. D’abord, Noel restera toujours un extraordinaire compositeur. Ses heures de gloires sont derrière lui, c’est évident : entre 1994 et 1996, il était absolument incapable d’écrire une mauvaise chanson. On l’avait écrit à l’époque, mais c’est d’autant plus vrai maintenant, la compile de faces B The Masterplan explose 90% des best of de fin de carrière qu’on retrouve aujourd’hui. Même si son talent s’est un peu dilué ses dernières années, il arrive toutefois à nous sortir des perles, comme les derniers excellents morceaux d’Oasis The Importance of Being Idle ou Falling Down. Ici, bonne surprise, on en retrouve quelques uns, des classiques à la Noel. Le single Death of You and Me déjà cité, mais aussi le remuant AKA… What a Life et surtout, surtout, If I Had a Gun. Il a beau avoir une progression d’accords directement tirée de Wonderwall, il reste facilement un des meilleurs morceaux écrits par Noel ces dix dernières années ; la première arrivée du refrain est absolument somptueuse.  Malheureusement, seule une petite moitié des morceaux d’un album pourtant court (dix pistes) sont vraiment mémorables. Pas si mal, mais peut mieux faire.

Ensuite, les morceaux connus depuis l’époque Oasis et repris ici ne comptent pas spécialement parmi les meilleurs. (I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine est aussi pénible que le titre, et le fameux Stop the Clocks (tellement fameux que le premier best of d’Oasis lui emprunte le nom) n’est pas bien terrible non plus, même s’il se termine par une note psyché qui est probablement là pour préparer le terrain du prochain album, une collaboration avec Amorphous Androgynous.

Enfin, il manque Liam. Pas partout : Noel a écrit certains morceaux autour de sa propre voix, mais il est très facile de deviner lesquelles étaient prévues pour son frère. Si Liam avait chanté Dream On ou Everybody’s on The Run, on aurait atteint une autre dimension. Mais non, pas de Liam, on doit donc se contenter de la voix tout à fait acceptable de Noel, mais qui n’est pas (toujours) celle qui était prévue pour ces morceaux.

Conséquences évidentes et somme toute assez prévisibles, Noel Gallagher’s High Flying Birds n’est pas l’album de l’année mais n’est pas non plus le nouveau Coldplay. Il n’est quand même probablement plus intéressant et mieux écrit que le Beady Eye, mais comme point de comparaison, on peut trouver mieux, et plus ambitieux : Noel Gallagher devrait pouvoir faire mieux, et va peut-être le faire avec le second album. En attendant l’évidente réunion d’Oasis, en 2015 ou avant.

Spotify : Noel Gallagher’s High Flying Birds

Pearl Jam Twenty – Le film

Plus tôt dans l’année, les Foo Fighters ont sorti un film, Back and Forth, qui accompagnait la sortié de l’album Wasting Light. Présenté de manière strictement chronologique, le film racontait simplement l’évolution du groupe, de l’époque où Dave Grohl enregistrait seul ses chansons dans l’ombre de Kurt Cobain jusqu’à leur statut actuel de stars mondiales. Mais le film ne cachait rien : l’histoire des Foo est entachée de changements de personnel, souvent de manière brutale ; de même, le batteur Taylor Hawkins fut en proie à de sérieux problèmes de drogue, qui l’ont poussé à l’overdose. Back and Forth en parle systématiquement, et n’hésite pas à faire intervenir chaque personne concernée (y compris les anciens membres) et à faire passer Dave Grohl, pourtant officiellement The Nicest Guy in Rock, pour un control freak parfois détestable. Bien que le film se terminait dans la joie et la bonne humeur, avec l’enregistrement de Wasting Light dans la piscine familiale des Grohl (ou presque), le film (et le groupe) n’a définitivement pas choisi la voie évidente de l’hagiographie.

Il serait probablement excessif de parler de Pearl Jam Twenty comme une hagiographie. Mais force est de constater, après deux heures d’un film très soigneusement monté, aux images d’archives souvent hallucinantes, que le réalisateur Cameron Crowe n’a jamais cherché à trop bousculer le groupe ou les téléspectateurs. Pearl Jam Twenty est un documentaire, certes très bon, mais dont le degré critique est proche du zéro absolu.

Pearl Jam Twenty était très attendu. Mis en boîte par un réalisateur phare d’Hollywood qui a connu, sur place, la naissance de Pearl Jam, il devait raconter l’histoire d’un groupe qui a tout connu. Des débuts déjà marqués par le malheur, un succès interplanétaire très rapide et mal vécu par certains membres du groupe, des tragédies individuelles et collectives ainsi qu’une seconde décennie nettement plus introspective, jusqu’à une certaine résurgence commerciale. Tout ceci se trouve dans le film. Une bonne partie du début est consacré à Pearl Jam avant Pearl Jam, à savoir quand Stone Gossard (guitare) et Jeff Ament (basse) étaient membres d’un groupe de glam rock alternatif mené par le flamboyant Andy Wood et appelé Mother Love Bone. Après l’overdose fatale à Wood Gossard et Ament (depuis rejoints par un autre guitariste nommé Mike McCready et aidés par le batteur de Soundgarden Matt Cameron) envoient une cassette instrumentale de trois titres à un chanteur/surfeur de San Diego via Chicago, et le reste est Histoire.

Et l’Histoire, on la voit se dérouler sous nos yeux, dans un montage rapide mais pas hystérique. Beaucoup d’images inédites et légendaires : le deuxième concert de Pearl Jam (alors appelé Mookie Blaylock) avec la seconde prestation publique d’Alive (596 suivront à ce jour). Les fans connaissaient l’existence d’un concert acoustique à Zürich, en 1992 où, selon le groupe, la scène était plus petite qu’une estrade de batterie : le film prouve que cette affirmation est correcte. On voit aussi un jeune Vedder sérieusement bourré insulter MTV dans une salle plein d’exécutifs artistiques lors de la présentation du film (de Cameron Crowe) Singles, ainsi qu’une compilation des sauts de Vedder dans le public, qui restent absolument ahurissants. Mais l’image d’archive la plus extraordinaire provient de la collection personnelle de l’ex-guitariste de Hole Eric Erlandson, qui ne l’avait jamais rendue publique auparavant.

Il faut savoir qu’à l’époque, MTV diffusait de la musique, et la presse musicale avait un réel pouvoir. Et donc, on s’amusait à créer une guerre infondée entre Nirvana (les punks, les vrais) et Pearl Jam (les vendus influencés par Van Halen). Cobain et Vedder étaient donc censés se détester, même s’ils ne se connaissaient pas vraiment (et s’appréciaient plutôt pas mal). Un jour, lors des MTV Video Music Awards 1992, Eric Clapton joue Tears in Heaven, et en dessous de la scène, Kurt Cobain et Eddie Vedder dansent, dans les bras l’un de l’autre. L’histoire était connue, mais on ne l’avait jamais vue. C’est chose faite, et c’est aussi le seul document connu à ce jour où les deux porte-drapeaux du (désolé) grunge se retrouvent ensemble.

Rien que pour cela, PJ20 vaut tout l’or du monde (ou en tout cas les 14€ du ticket de cinéma et les 60 dollars de l’édition spéciale dvd/blu-ray) pour les fans du groupe, ou n’importe qui un tant soit peu intéressé par l’histoire du mouvement. Malheureusement, on ne voit que peu d’interactions avec d’autres musiciens, probablement par maque de temps (le film aurait facilement pu durer six heures, on annonce d’ailleurs quatre heures de bonus sur le DVD). A part Chris Cornell, qui intervient souvent lors de la première partie, on aperçoit en vitesse Alice in Chains, mais c’est plus ou moins tout. C’est d’ailleurs une caractéristique du film, la vitesse à laquelle tout est décrit. A peine finie la longue introduction au groupe, tout défile, à la vitesse du narrateur de la chanson MFC, extraite de Yield. Le bipolaire Vs, l’ambitieux Vitalogy se partagent quelques minutes de temps d’écran, mais beaucoup plus que l’expérimental No Code, album adoré des fans mais définitivement mal aimé du groupe. Et pendant ce temps, on se pose une question dont on n’aura jamais vraiment la réponse : mais que se passe-t-il dans la tête du groupe? Qui est Pearl Jam?

On connaît les démons du groupe, les problèmes qui ont entaché leur première décennie. La personnalité parfois écrasante d’Eddie Vedder, leur obsession criante pour le respect de la vie privée (amateurs de détails croustillants, passez votre chemin, et le – superbe – livre-compagnon ne vous dira rien de plus), les addictions de McCready, pour ne citer que quelques exemples. On en parle, un peu, en passant, mais sans jamais s’y attarder, comme Back and Forth pouvait le faire. Un exemple assez parlant : on voit Pearl Jam jouer Do the Evolution, live en studio, en 1998. McCready est en très mauvais état. Il est bouffi, a pris dix ans dans la tronche et est encore plus mal sapé que Cobain au Unplugged. Quelques secondes après, McCready version 2010, en pleine forme (il fait des marathons, maintenant, figurez-vous), parle de « sa mauvaise période », en passant, alors que sa fille, qui ne devait pas avoir beaucoup plus d’un an, joue devant lui. Que les choses soient claires, loin de moi l’envie de voir McCready en pleine crise de dépendance alcoolique, mais je ne peux m’empêcher de penser que Crowe n’a pas voulu aller au fond des choses, peut-être pour ne pas choquer un groupe composé avant tous de ses amis.

Mais le point le plus étonnant concerne sans doute les batteurs. McCready compare Pearl Jam à Spinal Tap, et n’a pas tort : avant même que le premier album ne sorte, Pearl Jam avait déjà utilisé quatre batteurs, et en utilisera encore deux par la suite, même si le premier, Matt Cameron, se retrouve être le dernier. Jack Irons est parti pour raisons de santé, on le sait, mais l’histoire du premier batteur, Dave Abbruzzese, est nettement plus confuse. Il aurait été viré parce qu’il n’avait pas la même vision de la célébrité que le reste du groupe (autrement dit, alors que Vedder voulait se retrouver le plus loin possible des médias, Abbruzzese embrassait un mode de vie de rockstar). On dit même que Vedder l’a viré parce « qu’il était plus beau que lui ». La vérité, cela semble clair, ne sera sans doute jamais connue : Crowe ne lui a (probablement) pas donné la parole.

Malgré ces points d’ombre, Pearl Jam Twenty reste un documentaire passionnant, également lorsqu’il évoque la seconde décennie du groupe, au succès commercial très mitigé. Les albums BinauralRiot Act et Pearl Jam sont rapidement passés en revue, et on pourra être très surpris que pas un seul mot n’est dédié à ce qui reste, très étrangement, le morceau de Pearl Jam qui aura eu le plus grand succès commercial, Last Kiss. De toute façon, comme évoqué ci-dessus, Crowe aurait eu six heures de film et cela aurait quand même été trop court, et on pourra gloser pendant des heures sur les bienfaits et méfaits de l’édition du film : était-ce, par exemple, utile de montrer une longue audition de Gossard et Ament devant le sénat US lors de l’affaire Ticketmaster. La scène est souvent drôle (en fait, chaque scène avec Stone est drôle, Stone devrait avoir sa propre sitcom, si possible chez lui), mais elle a sans doute privé le film d’autres images émouvantes.

Ecrire une chronique sur un tel film est un exercice relativement futile, surtout quand l’auteur connaît beaucoup plus de choses qu’il devrait sur le monde de Pearl Jam. Il est très probable qu’un spectateur qui a perdu moins de temps sur MTV, à lire des magazines d’époque, ou à traîner dans des magasins de disques douteux à dépenser l’équivalent de 50€ pour un bootleg au son tout aussi douteux ne se posera pas le même genre de questions. Et si Crowe avait effectivement développé une partie un peu plus personnelle de la vie du groupe, d’autres passages en auraient nécessairement souffert. Je pense que les heures passées en salle d’édition ont du être particulièrement cruelles, et j’espère que le dvd/blu-ray pourra combler certains trous (mais pas ceux de la vie privée, on n’en saura absolument jamais rien).Oh, et tant que j’y suis : la musique, elle est vraiment, vraiment bien.

NB : après avoir écrit la chronique, j’ai appris qu’une édition spéciale du film, qui sortira le 25 octobre en dvd/blu-ray (exclusivement via pearljam.com) comprendra quatre heures de bonus, un cut spécial ne reprenant que les performances musicales du film ainsi qu’un documentaire inédit sur la principale force de Pearl Jam, son public.

NB2 : Pearl Jam Twenty, c’est aussi un livre passionnant, mais au même ton relativement détaché que le film. On y retrouve toutefois des images somptueuses ainsi que des essais intéressants sur chaque album du groupe. Il est d’ores et déjà disponible en version originale, et sera disponible fin octobre en version française aux éditions Autour du Livre.

NB3 : Pearl Jam Twenty, c’est aussi une bande originale passionnante, que je chroniquerai bientôt…

Eddie Vedder – Ukulele Songs

Eddie Vedder. Vingt ans de carrière avec Pearl Jam. L’ukulele. Cent trente ans de carrière avec des gros hawaiiens et autres attrape-touristes. À première vue, le duo est aussi incongru que celui d’Eminem avec Elton John, le jour où l’ex-rappeur le plus connu du monde a voulu prouver qu’il n’était pas homophobe. Pourtant, leur histoire commune remonte à plus de dix ans. Lors des sessions d’enregistrement de ce qui deviendra leur dernier classique (Binaural, évidemment), Eddie Vedder était en retard en ce qui concerne les textes. Angoisse de la page blanche. Pour tenter de retrouver l’inspiration, il s’imposa un sacrifice : tant que les paroles de l’album ne sont pas terminées, il ne touchera plus à la guitare.

Mais au détour d’un night shop à Hawaii (où, forcément, il allait surfer), il tomba sur ce semblant de guitare à quatre cordes et au manche court. Et comme c’est Eddie Vedder, il rentra dans la boutique et ressortit avec l’instrument (et deux bacs de bière, quand même). Vedder s’est alors probablement dit ‘aaaahhhh fuck it, that’s not, huh, a guitar’, et comme son héros Pete Townshend avait écrit un morceau à l’uke (Blue Red and Grey), Eddie emprunta les accords, composa Soon Forget et voilà, page blanche terminée, il termina ce chef d’oeuvre (j’insiste) qu’est Binaural.

Depuis, l’ukulele est sorti quelques fois, pour jouer Soon Forget lors des concerts de Pearl Jam, ou pour les prestations solos de Vedder, notamment deux mini-concerts de 2002 où il joua quelques morceaux inédits. Du moins, inédits jusque maintenant, car Ukulele Songs, qui voit le jour grâce au surfer Kelly Slater qui aurait tanné Vedder pour qu’il le sorte, est une collection de quatorze chansons enregistrées de 2002 à 2011, et qui ont comme point commun de d’avoir comme instrumentation qu’un seul ukulele. Ce qui semble un peu limité quand même. C’est mignon, un ukulele, ça fait vacances, colliers de fleurs et lotion au monoï, mais de là à en faire un album entier, il y a un pas, pourtant aisément franchi par Vedder qui a passé l’âge de se préoccuper de ce genre de choses. Surtout que Vedder à un double avantage par rapport aux orthodoxes de la quatre-cordes et du pagne : d’abord, il en joue comme d’une guitare, et arrive à en sortir des sons pas typiques du tout, et en plus, sa putain de voix, quoi. L’ukulele apportant une instrumentation très légère, il fallait une voix profonde en contre-poids, et Vedder la délivre sans efforts. De plus, comme les morceaux ont été écrits sur une longue période de temps, on retrouve des compos sombres et intenses, plus proches de Riot Act que de Backspacer.
En parlant de Riot ActUkulele Songs s’ouvre avec Can’t Keep, qui débutait déjà cet album. Directement, on comprend que Vedder approche l’instrument avec une mentalité de punkrocker : on ne jouera pas le morceau pour accueillir des allemands friqués qui descendent d’un bateau. Toute l’essence du morceau, et de là, l’état d’esprit de Vedder circa 2002 (en résumé : il n’était pas bien) est concentré dans cette petite guitare étrange qu’on va se mettre à apprécier pendant une bonne demi-heure. Sinon, quand je disais qu’il n’était pas bien, il n’était pas bien. Finies les niaiseries infâmes de Just Breathe, ici, on retrouve un Vedder post-11 septembre et pré-mariage-avec-top-modèle-et-deux-jolizenfants. Sleeping by Myself : « I should have known there was someone else ». Broken Heart : « I’m alright, it’s just a broken heart ». Goodbye : tout le morceau. Et ainsi de suite.

Lourd de sens, mais délivré avec exactement la bonne dose d’émotion. Pas trop de pathos, mais aucune légèreté non plus : Vedder, et on n’a pas eu l’occasion de dire ça depuis quelques années, est pile dans la nuance. Et la nuance en question fait contrebalancer les chansons d’amours déçues par d’autres au point de vue plus optimiste, comme Without You (cette intro!), Light Today (bien qu’il soit sans doute le morceau le moins consistant de l’album) ou le joli You’re True (« nothing here ever comes my way », mais elle est arrivée et depuis ça va mieux). Bon, évidemment, Vedder s’est senti obligé de parler d’océan et de lune dans chaque morceau, mais il fait ça depuis vingt ans, et personne ne s’en plaint. Deux autres highlights de l’album proviennent de ces fameuses sessions de 2002. Satellite, écrite selon le point de vue de l’épouse d’un des West Memphis Three apporte des choeurs et un peu de relief, alors que Longing to Belong enfreint la règle de départ en ajoutant un discret violoncelle. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’émotion est au rendez-vous, ni trop, ni trop peu, et ce n’était pas facile (« I’m falling faster than I ever fell before »).

Voilà pour les originaux d’Eddie. Parce que ce n’est pas tout : en bon américain qui connaît ses classiques, Vedder a posé son baryton et son uke sur quelques standards du music hall US. Malheureusement, le résultat semble plus plat, et aussi plus artificiel, même si Vedder n’est pas à pointer du doigt : ses morceaux à lui collent simplement mieux à l’ambiance de l’album. Dream a Little Dream, qui conclut l’album, est chanté avec tant de sérieux qu’on pourrait croire à une parodie. Une fois n’est pas coutume, un de ces morceaux est sauvé par quelqu’un d’autre, à savoir Cat Power, qui duette bien joliment sur le craquant Tonight You Belong To Me. Et Glen Hansard fait de même sur le Sleepless Night des Everly Brothers, et pour réussir à tenir un duo avec la voix d’Eddie Vedder, il faut le faire, n’est-ce pas, Andrew Stockdale?

Ukulele Songs est tout sauf un album solo traditionnel, et absolument l’opposé du trip égocentrique. Vedder ne cherche pas à se faire aimer, ni à rendre sa musique trop accessible (Backspacer, anyone?). Il livre juste une collection de morceaux, certains oubliables, d’autres comptant parmi les meilleurs écrits par Vedder ces dix dernières années. A qui se destine l’album? Certainement à la masse de fans irréductibles de Pearl Jam qui aimeront avant d’avoir écouté. Probablement aussi à ceux qui n’aiment pas vraiment le rock, mais qui ont bien aimé les chansons du film de Sean Penn avec le type qui va mourir dans les bois. Mais étonnamment, il peut aussi être très apprécié par les déçus de la production récente de Pearl Jam. Qui redeviennent alors, une fois de plus, indécrottablement optimistes pour leur dixième album, qui devrait sortir l’année prochaine…

The Strokes – Angles

Il aura fallu six ans et une certaine somme de conflits internes et d’egotrips en tout genre pour que les Strokes se décident enfin à sortir enfin leur quatrième album, soit plus de temps que pour leurs trois premiers réunis. Pourtant, l’attente n’était pas vraiment insoutenable : les membres du groupe avaient plus ou moins tous sortis leur album solo/projet parallèle et aucun n’aura déchaîné les passions, que ce soit le carré Nickel Eye au suranné Little Joy, en passant par l’assez mauvais essai de Julian Casablancas. Seul Albert Hammond Jr. s’en était bien tiré avec deux albums certes peu originaux mais solides. Donc, Angles arrive dans une relative indifférence, seuls semblent intriguer l’hideuse pochette et les anecdotes des interminables sessions d’enregistrement. Tout était donc réuni pour qu’Angles soit une petite surprise, un album du type « ah, ben on ne les attendait plus, ceux-là ».

Angles commence bien. Machu Picchu (?) commence avec un rythme reggae (bizarrement, ça marche) avant que Casablancas n’invoque le bon côté des années 80 (il avait épuisé le mauvais sur Phrazes for the Young, j’imagine), tout en chantant, comme au bon vieux temps, dans un vieux téléphone en bakélite noir. Les guitares passent de ludiques à gentiment énervées, et nous rappellent comme l’interaction Hammond/Valensi est un des élements qui ont fait de Is This It un album qui a défini la décennie passée. Casablancas n’a pas spécialement appris à chanter, mais y met (enfin) tout son coeur, et s’énerve même un peu à la fin. Même quand il parle de Lady Gaga (« wearing a jacket made of meat »), on y croit. Surtout que le morceau suivant, Under Cover of Darkness, a beau être un Strokes-by-numbers, c’est le meilleur depuis Room on Fire. Everybody’s singing the same song for ten years, mais il y avait encore une place pour les cinq de NY, finalement. Et ça fait du bien, tout comme Two Kinds of Happiness, où Casablancas semble toujours s’en foutre, et ne même pas essayer de faire des phrases complètes et compréhensibles. On connaît son obsession pour les trucs un peu kitsch des eighties (la dernière fois que je l’ai vu, il avait une mèche blonde et un pantalon moulant en cuir rouge, quand même), mais généralement, le groupe arrive à retourner cet aspect en leur faveur. Oui, You’re So Right est assez synthétique, oui, Fab Moretti y a été (vraiment) remplacé par une boîte à rythmes, mais cela reste un excellent morceau même si assez étrange, avec ses effets vocaux et la guitare de Street Spirit (Fade Out) enregistrée dans une piscine. Games pourrait se retrouver sur la BO de Back to the Future, mais ailleurs, Taken for a Fool croise Elvis Costello avec Blondie : quand on vous parlait du bon côté des eighties. La fin de l’album continue dans la même veine hit and miss, mais quand ça marche, c’est l’excellent Gratisfaction, qui sonne comme Thin Lizzy (si) ou Life is Simple in the Moonlight, qui rappelle en quatre minutes que les Strokes ne sont pas (encore?) finis.

Angles est un album étrange. Après une si longue absence, leur retour est discret, pas vraiment satisfaisant mais loin d’être mauvais non plus, notamment si on tient en compte l’énorme élargissement de leurs influences et de leurs qualités de musiciens. L’album est inégal, parfois brillant, parfois juste oubliable. Malheureusement, vu la mauvaise ambiance qui entoure le groupe, il me semble probable qu’on ne retrouvera plus jamais la force créatrice qui fut la leur voici déjà une décennie. Espérons alors qu’ils auront la décence de jeter l’éponge plutôt que de continuer coûte que coûte. Ou alors, encore mieux : ils peuvent simplement me prouver que j’ai tort.

Spotify : The Strokes – Angles

Foo Fighters – Wasting Light

Et le Grammy de meilleure promotion de l’année va aux… Foo Fighters! Parce que franchement, il fallait le faire. On commence, typiquement, avec Dave Grohl qui raconte que ce sera l’album le plus heavy de l’histoire du groupe, et on ne demande qu’à le croire, surtout qu’avec le retour de Pat Smear, les FF comptent dorénavant trois guitaristes. Ensuite, on apprend que l’album sera enregistré dans son garage, en analogique, par Butch Vig, et que Krist Novoselic et Bob Mould viendront donner un coup de main. Puis vient le moment des shows secrets, annoncés le jour même sur Twitter, où le groupe joue l’album (encore sans nom) intégralement, histoire de pousser (mais pas trop) aux fuites sur Youtube. Au même moment est diffusée une vidéo pour l’effectivement très heavy White Limo, qui voit le groupe en full mode déconne se faire conduire (en limousine blanche, forcément) par Lemmy. Enfin, ils leakent eux-même l’album sur leur page Soundcloud (il y est d’ailleurs toujours dispo), et on peut effectivement se rendre compte que oui, c’est l’album le plus heavy du groupe jusque maintenant. Et ce pouvoir du marketing leur offre un numéro un partout dans le monde, avec un album qui est donc écoutable légalement et gratuitement. L’incitant à l’achat? Rien de moins qu’un morceau de la bande magnétique originale sur lequel a été enregistré l’album.

L’album, donc, Wasting Light. Pas une guitare acoustique, disait le batteur de Tenacious D. Effectivement. Le premier morceau, Bridge Burning, est une démonstration de force. Une guitare, puis deux, puis trois, puis une attaque de batterie surpuissante, et Dave Grohl qui hurle pour la première fois du disque. Bam dans les dents. Oh, évidemment, ce sont les Foo Fighters, et le reste du morceau (et de l’album) restera mélodique, mais on a déjà l’impression que le quintet est totalement libéré. Des riffs dans tous les sens, des fills de batterie qui prouvent s’il le fallait encore que Taylor Hawkins n’est pas juste un batteur de figuration, et surtout la construction du morceau qui semble enchaîner pré-refrains, refrains, post-refrains, bref, Dave a mis le paquet.

La suite est du même acabit : même si presque chaque morceau offre ses moments de répit (ces passages typiquement FF où Grohl, le groupe, et le public reprennent leur respration avant que tout explose, encore), l’album file à très grande vitesse, puissant, rapide, mais toujours facile d’accès. Dave Grohl continue la tradition de rendre une musique relativement heavy accessible au plus grand nombre, comme son ancien chanteur l’avait fait il y a presque vingt ans. Mais dire que Wasting Light, c’est juste des morceaux heavy bourrés de riffs et de vieux solos serait une insulte au talent réel d’auteur de Grohl : Dear Rosemary, Arlandria, Walk ou encore le stupéfiant I Should Have Known comptent parmi les meilleurs morceaux composés par un type qui a quand même écrit Everlong. Et même si Dear Rosemary ressemble parfois un peu trop à Steady As She Goes des Raconteurs, ça reste un très grand morceau, vraiment.

Wasting Light n’est pas un album parfait. Dave Grohl est très généreux, et sa bonne volonté le force parfois à en faire un peu trop. Comme, justement, les trois refrains différents par morceau, une dynamique quiet/loud/very loud/encore plus loud ou un niveau de testostérone que le jeune Eddie Vedder n’aurait pas renié. Butch Vig a peut-être aussi surmixé sa voix, mais c’est un avis personnel. D’ailleurs, garage ou pas, Vig a quand même emballé le tout dans une production expansive qui fait nettement plus Wembley Stadium que CBGB.

L’album offre relativement peu de variété : outre les brûlots rock comme Bridge Burning ou le single Rope, on a aussi des compos un peu plus pop comme These Days, Miss the Misery (avec des whoohoo très Bon Jovi, il ne manque plus que l’effet à la Sambora déjà entendu sur Generator) ou Walk qui commencerait presque comme Kings of ColdMuse, des morceaux plus sombres (I Should Have Known) ou totalement débridés (White Limo, donc), le template reste identique (ah, cette guitare rythmique…). Mais quand les morceaux sont si bien écrits, quand les musiciens frôlent l’excellence, pourquoi changer?

Wasting Light est un album concept, en somme, et le concept était de réaliser le meilleur album de rock ‘n roll possible en 2011. Probablement anachronique, certainement futile, mais absolument réussi, Wasting Light est non seulement le meilleur album d’un groupe pas assez pris au sérieux, mais aussi la place assurée de Dave Grohl au Panthéon des compositeurs contemporains. Surtout, Wasting Light est fun, agréable, et appréciable. Pas d’artiste torturé et incompris, pas de complexité à deux balles pour décrocher un BNM chez Pitchfork, pas de poses mystérieuses pour être rebloggé sur Tumblr. It’s only rock ‘n roll and you should like it.

Spotify : Wasting Light et Wasting Light deluxe edition (avec un remix de Rope par Deadmau5 et l’inédit Better Off). Et tant qu’on y est, ma playlist Foo Fighters.

Et si vous n’avez pas (encore?) Spotify, le groupe a le bon goût de nous laisser le stream Soundcloud jusqu’à nouvel ordre.