Pearl Jam – No Code (1996)

Nécessairement, il faut se remettre dans le contexte. Pearl Jam, alors plus gros groupe du monde, vendait des albums par avions cargo (le second, Vs., a détenu le record de meilleure vente pour un second album), mais ne voulait pas que ça dure. En découla Vitalogy, pas vraiment anti-commercial mais bizarre et ambitieux. Les ventes commencèrent à décliner, et tout était mis en oeuvre pour que le groupe entame sa seconde vie, parfaitement exemplifiée par cet album, leur quatrième (Pearl Jam, le huitième, est sorti cette année).

Il est peu probable que le groupe aie délibérément voulu exclure une partie de son public par No code, même si c’est effectivement ce qui s’est passé : cet album est celui de la césure entre ceux qui sont restés (et qui suivent toujours le groupe aujourd’hui, dans des salles de 20 000 places partout dans le monde) et ceux qui ont laissé tomber, préférant les hymnes adolescents (Alive, Jeremy, et ce n’est pas une insulte) à l’évolution artistique et personnelle.

Dès le départ, on comprend que l’expérience No Code sera radicale. Á mille lieues du style plus agressif des précédents premiers morceaux (Once, Go et Last Exit), Sometimes ouvre l’album très calmement, comme une première occasion offerte à Eddie Vedder de montrer la vraie étendue de sa gamme vocale. Quelques minutes plus tard, on sursaute (vraiment), à cause des accords punk de Hail Hail, un des rares morceaux ici stylistiquement proches de Vitalogy. C’est aussi une des rares excursions en terrain connu : Who You Are (étonnant choix de single) et In My Tree (littéralement porté par la batterie tout en finesse de Jack Irons) n’ont vraiment plus rien à voir avec le grunge, qui est alors définitivement enterré. Pearl Jam se réclame d’un héritage musicale très varié, même si No Code est un album fortement américain (dans le sens americana, comme le prouve Smile, qui aurait pu être un morceau de Tom Petty, avec harmonica. La face A se termine en douceur, avec Off He Goes, ballade apaisante et chargée émotionnellement.

Le retour au (hard) rock se fait avec Habit et un peu plus loin Lukin, mais la face B est dominée par des morceaux innovants pour le Pearl Jam de 1996 : Red Mosquito, construit autour d’un jam blues et de paroles introverties mais pleines de sense (« If I had known then, what I know now »), l’exceptionnel Present Tense et son crescendo maîtrisé, pour ensuite conclure l’album avec un morceau expérimental (I’m Open) centré sur un spoken word de Vedder et une berceuse (si si), Around The Bend.

Évidemment, No Code a été, et est toujours, détesté par pas mal de fans de la première heure, qui n’ont d’ailleurs plus vraiment apprécié Pearl Jam depuis, vu que tout ce que le groupe a sorti depuis est influencé par cet album. No Code n’est sans doute pas leur meilleur album (mais je ne me risquerai pas à en sortir un du lot), mais c’est certainement leur plus important : sans lui, le groupe n’aurait jamais pu se sortir de la crise existentielle qu’ils vécurent à l’époque (et qui prendra encore quelques années pour se résoudre entièrement). No Code a fait grandir Pearl Jam, et les fans qui l’apprécient à sa juste valeur également.

The Fratellis – Costello Music

Nous sommes maintenant officiellement dans l’ère post-Doherty, et, bien que le NME veut nous faire bouffer un nouveau mouvement (« nu-rave », dont le porteur de drapeau est Klaxons), certains s’évertuent encore à suivre les pas des Libertines. Ceci dit, même si cela marche rarement, The Fratellis ont peut-être réalisé le meilleur album du « mouvement ».

Intelligemment, ils ajoutent à la formule classique des éléments trouvés ailleurs, comme un soupçon de glam (Chelsea Dagger) et des instruments à vent (voir Henrietta), qu’on avait plus entendu à pareille fête dans de la Britpop depuis Supergrass. Mais surtout, comme leurs glorieux aînés, ils ont un sens inné de la mélodie et du joyeux bruit. Mélodies, comme dans Flathead, qui compte plus de tunes que le coffre-fort de Chad Hugo. Bien sûr, ils n’ont rien inventé, comme on peut le constater avec l’intro de Chelsea Dagger, empruntée à l’illustre My Sharona ou Baby Fratelli, qui ressemble étrangement à Smells Like Teen Spirit. Tant qu’à faire, les morceaux plus calmes sont aussi très réussis, comme le très joli Whistle For The Choir.

Mais c’est Creepin’ up The Backstairs, peut-être le single le plus catchy de l’année, qui sort du lot : Doherty, Barat, Borrell vendraient leur âme (s’il leur en reste) pour un tel morceau. On regrettera peut-être une fin d’album moins percutante, mais Costello Music reste excellent pour un premier album et sans doute un des meilleurs de 2006.

Motörhead – Kiss of Death

C’est invraisemblable, et pourtant… 350 ans après leur premier album, Motörhead existe toujours (ce qui est déjà un exploit en soi), mais en plus continue à sortir de très bons albums, alors qu’ils pourraient bêtement se reposer sur leur passé (ou pire, devenir Metallica).

Kiss of Death, même si pas aussi percutant que le précédent, Inferno, reste tout à fait appréciable, surtout quand Motörhead se prend pour un jeune groupe de rock garage, et aligne les riffs imparables et les coups de double bass drums. Et puis, évidemment Lemmy, et sa voix inimitable. Motörhead montre ce qu’est le pur rock n roll, limite punk (Be My Baby, par exemple) mais tente parfois quelques petits écarts, comme l’étrange Kingdom of the Worm ou God Was Never on Your Side, qui commence avec une tranquille guitare acoustique avant, forcément, de dégénérer.


Lemmy résume tout, « You can’t mess with Dr Rock ». ‘Nuff said.

Roddy Woomble – My Secret Is My Silence

Roddy Woomble est le chanteur du groupe écossais Idlewild, auteur de quatre albums partant du post-punk angulaire (Hope Is Important) au rock teinté de folk (Warning/Promises). Même si tout à fait excellent, leur dernier album manquait de punch, et c’est peut-être pour cela que Woomble a préféré prendre ses morceaux folk et sortir un album solo calme et tout à fait libre des riffs postgrunge comme on peut en trouver chez Idlewild.

Woomble suit plutôt le chemin de chanteurs folk traditionnels, ce qui rend l’écoute de cet album assez étonnante pour ceux (comme moi) qui n’ont pas vraiment l’habitude de ce milieu. Mais au fil de temps, on se prend d’affection pour la voix de Woomble (souvent comparée à Michael Stipe, mais tout de même fort personnelle). On retrouve donc, outre la guitare, de la harpe, des violons, un choeur, des voix féminines (la folkeuse Kate Rusby), voire des instruments traditionnels écossais (comme sur la gigue/chanson à boire et bien titrée Whiskeyface).

Les rapports avec Idlewild ne sont toutefois jamais bien loin, grâce à la voix, évidemment mais aussi au guitariste Rod Jones : Under My Breath aurait pu se trouver sur Warnings/Promises.

Roddy Woomble s’est donc facilement sorti du piège de l’album solo, et on peut espérer qu’il se soit ainsi libéré d’un poids qui rendra le nouvel Idlewild encore meilleur. Mais My Secret Is My Silence se suffit très bien à lui même.

This is my music box, this is my home. Since 2003.