Blur – Leisure (1991)

LeisureUKAvant d’écouter Leisure, premier album de Blur sorti en 1991, il faut se replonger dans un contexte vieux de presque vingt ans : la scène britannique pleurait toujours la mort des Smiths et se consolait avec le baggy des Stone Roses et Happy Mondays et le shoegaze de My Bloody Valentine. Quelque part du côté de Manchester, un gamin nommé Noel Gallagher attendait son heure, tandis qu’aux USA, l’explosion de Seattle était imminente. C’est donc clairement sous influence que Damon Albarn, Graham Coxon, Alex James et Dave Rowntree, déjà partiellement produits par Stephen Street, commencèrent leur carrière discographique avec le single She’s So High, qui était déjà tellement caractéristique, avec un riff déjà classique.

Leisure est probablement le moins bon album de Blur, seuls ceux qui seront allergiques aux expériences futures le contrediront. Ce qui est assez énorme en soi : quel groupe peut se dire que leur premier album est leur moins bon? (Suggestions à l’adresse habituelle.) Rien n’est à jeter ici, même si on sent parfois le poids des années : Bang est directement à inscrire dans la lignée des Roses et Mondays précités, en y ajoutant un de ces refrains qui seront une des spécialités du groupe. De même, la ligne de snythé de Repetition est trop… répétitive. L’album est d’autant plus intéressant à réécouter quand on le recontextualise en tenant en compte ce qu’on sait de Blur, 18 ans après. On trouve déjà une basse dominante, des éléments bruyants mais sporadiques (Slow Down, Fool), et la voix typiquement posh/neurasthénique d’Albarn. Encore plus étonnant, les expérimentations de Blur ou 13 trouvent déjà leur source dans un morceau comme Sing (apparemment une grande influence du dernier Coldplay, avec Satriani, je suppose). Seule différence majeure avec la suite, les chansons ne veulent pas dire grand chose. Mais oooh, ça va vite changer…

Il ne manque finalement que les grandes chansons (même si, She’s So High…) mais Modern Life Is Rubbish n’est pas loin. Plus qu’un guilty pleasure, Leisure est un chouette album, et une introduction aussi passionnante qu’étonnante d’un des meilleurs groupes des 90s. Certains morceaux (Wear Me Down!) mériteraient en tout cas d’être revisités lors des concerts de réunion cet été.

Hot Leg – Red Light Fever

Quel terrible destin que celui de Justin Hawkins. Il y a à peine cinq ans, son groupe The Darkness vendait des camions de Permission To Land, et headlinaient les plus gros festivals anglais, grâce à leur retrometal invraisemblablement ironique, un sens du show inouï, et surtout, des morceaux quand même vraiment bons. Forcément, ça ne pouvait pas durer : l’album n°2, pourtant pas si mauvais, floppe, Justin rentre en désintox, se fait virer (le reste du groupe formant le bien moyen Stone Gods) et rate sa qualification pour représenter le Royaume-Uni à l’Eurovision. Oui, ça fait mal.

Quelques années plus tard, il semble que Justin s’est remis de ses émotions, et, en attendant un gros chèque pour reformer Darkness, refait plus ou moins la même chose avec Hot Leg. Formule : on prend les morceaux de Darkness en ajoutant encore plus de kitsch, d’acrobaties vocales, de synthés (qui ressemblent à des guitares) pas possibles et de solos de guitare (qui ressemblent à des synthés) forcément interminables. C’est toujours aussi con, mais nettement moins bon (ouais, je me mets au niveau) : Chickens parle effectivement de poulets, mais est bien loin d’un Get Your Hands Of My Woman. En fait, c’est une sorte de Darkness light, 5 ans trop tard et donc, même pas marrant : « oh the eighties / it was the gayties / it was the straighties ». Sans rire. Simplement médiocre, l’album pose une question embarrassante : mais qui a vraiment écrit Permission To Land?

The Von Bondies – Love, Hate and Then There’s You

Certains groupes l’ont plus facile que d’autres. Les Von Bondies commencent à connaître un succès underground notamment grâce au producteur de leur premier album, Jack White? Ce dernier knock-oute Jason Stollsteimer, leader des VB, à un concert (d’un autre groupe de Detroit, Blanche). C’Mon C’Mon leur apporte reconnaissance et airplay? L’album ne connaît pas la même réussite que le single, et le groupe allait commencer une traversée du désert de cinq ans, faite de départs de deux des quatre membres fondateurs et évidemment, un coup de pied au cul de leur label.

Les 2 VB restants (Stollsteimer et le terrible batteur Don Blum) ont tout repris de zéro : deux nouveaux membres, et les classiques tournées/myspace pour se faire re-remarquer. Après un prometteur EP l’an dernier, le nouvel album marque la fin de cette période probablement pas très fun, mais qui a permis au groupe de se retrouver.

Ce qui permet à Love … (titre choisi par leurs « amis » myspace, ce qui explique peut-être cela) d’être un album franchement bon, qui n’inversera pas le réchauffement climatique (au contraire, vu l’effet de serre produit par leurs concerts intenses), mais qui compte quelques très bonnes chansons. This Is Our Perfect Crime entame l’album comme une justification de leur nouveau souffle (« we are the spark … we are the underground »), démontré par la voix abrasive de Stollsteimer. Shut Your Mouth, Pale Bride et la majorité de l’album gardent la même formule de morceaux rapides, entraînants et assez bien fichus. She’s Dead To Me commence même comme quelque chose sorti des sessions de Nevermind.

Brut et direct, l’album renvoie plutôt au rock n’ roll basique de Lack Of Communication qu’au glampop de Pawn Shoppe Heart, mais avec une plus grande sophistication d’écriture (enfin, sophistication, tout est relatif) et un sens conservé du fun, même si le trentenaire Stollsteimer devrait parfois arrêter de penser qu’il a 21 ans. Accidents Will Happen, et plus généralement les backing vocals des nouvelles bassiste et guitariste (on a quand même conservé la touche de glamour après le départ de Carrie et Marcie) font penser à la dynamique des girl bands des 50s, tout en conservant une certaine authenticité de la part d’un groupe trop vite considéré comme bandwagon jumper. Love, Hate and Then There’s You est une très bonne surprise, et il ne reste plus qu’attendre leur passage dans une petite salle étouffante près de chez vous.

Franz Ferdinand – Tonight : Franz Ferdinand

Quatre ans après un controversé second album, le retour des quatre écossais est discret : Ulysses commence par un beat calme et des murmures d’Alex Kapranos, loin des exubérances qui ont leur réputation. Mais sur un cri de « let’s get high », le morceau prend une tournure définitivement FF après une minute : festif, dansant, mais avec les guitares abrasives cette fois aidées par un synthé qui joue les premiers rôles. Pas le single le plus impressionnant possible, mais un choix intrigant, surtout que le morceau se retourne après 2″20 (« you’re never coming home », ben oui, Ulysse et tout). Ulysses est symptomatique de FF en 2009 : incertain, différent mais pas trop.

Il est vrai qu’il n’est pas facile de suivre un album très hype mais au demeurant excellent par un second pas mauvais, mais trop « facile ». Les Strokes ont d’ailleurs toujours à se remettre de First Impressions of Earth. FF tente la différence dans la continuité, ou vice versa : impossible de ne pas les reconnaître, mais Kapranos & co rajoutent des éléments électro (parfois limite kitsch, voir Live Alone) pour varier des plaisirs somme toute agréables mais assez dispensables. Même si les quatre minutes rave Korg de Lucid Dreams sont, hmmm, mal placées?

Tonight : Franz Ferdinand n’est pas mauvais, mais pas trop convaincant non plus : No You Girls suit la formule habituelle, mais manque de punch, et les ballades clôturant l’album, même si bien jolies, ne laissent pas d’impression inoubliable, contrairement au premier album, voire au second. Can’t Stop Feeling est un monstre de dancefloor, ceci dit.

On ne pourra pas dire que FF se plante : l’album compte quelques bons moments (Twilight Omens, Bite Hard notamment), mais en terme d’impact, rien n’aura l’impact de leur production précédente, et en termes de relevance, c’est assez dangereux, surtout pour une scène à la mémoire courte.

Fucked Up – The Chemistry Of Common Life

En 1998, le groupe suédois Refused sortait The Shape Of Punk To Come, qui deviendra un des albums les plus importants des années 90, mais plutôt hardcore que punk, si l’on veut vraiment catégoriser. Cet album de Fucked Up mériterait encore plus ce titre. Simplement, The Chemistry of Common Life est fantastique, extrêmement original et inventif pour le genre. Vous connaissez beaucoup d’albums punk/hxc qui commencent par une flûte? Son The Father le fait, ajoute instrument sur instrument avant que le chant violent et passionné de Pink Eyes (les autres membres s’appellent 10 000 Marbles, Concentration Camp ou encore Mustard Gas) ne laisse rien debout sur son passage.

Fucked Up pourraît très facilement être un très bon groupe punk hardcore, mais ce n’est clairement pas suffisant pour eux. Non, ils font des morceaux de plus de six minutes (Son The Father mais aussi et surtout le morceau titre, climax fabuleux de l’album), ajoutent des instruments étonnants et des passages atmosphériques. Golden Seal est un morceau ambient (et seulement la troisième piste de l’album!) dominé par les effets électro, mais Days Of Last et Crooked Head doivent être un vrai massacre sur scène. Alors, un peu schizo, Fucked Up? A voir leur comportement sur scène, disons, peu retenu, sans doute. Mais les meilleurs artistes ont toujours eu une félure quelque part.

Fucked Up pense, aussi. Les paroles sont loin des clichés du genre, mais le moment le plus admirable de l’album est Looking For God : pas besoin de paroles, juste du bruit ambient, collant parfaitement à ce qu’ils voulaient dire. Et même si on les voit difficilement passer à la radio, Black Albino Bones pourrait etre repris dans un playlist (assez) alternatif, grâce à un refrain chanté plutôt qu’hurlé. Royal Swan, lui, fait dans le registre electro de fête foraine (pas nécessairement une insulte) avant de dégénérer dans une sorte de chanson à boire irlandaise, animée par les backing vocals des Vivian Girls. Enfin, il faut encore mentionner Twice Born et ses refrains sarcastiques, amplifiant le rôle de commentateur social joué par le groupe.

On l’aura compris, The Chemistry of Common Life est un album inestimable, pour ses qualités intrinsèques, mais aussi et surtout pour l’influence qu’il aura par la suite. Fucked Up a fait comprendre qu’on pouvait faire du punk intelligent (oui, je sais, évidemment ce n’est pas le premier, mais jamais à ce point) et rester relativement accessible. De plus, ils se transforment en monstre inarrêtable et passionné en concert, ce qui n’arrive pas toujours non plus.

Même si j’en parle beaucoup trop tard, The Chemistry Of Common Life est un des meilleurs albums de 2008, et peut-être le plus important.

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