Of Montreal – Skeletal Lamping

Of Montreal, évidemment, ne vient pas de Montreal. Mais d’Athens, Georgia, comme REM. Et ils ne sonnent pas du tout comme REM, mais plutôt comme… Of Montreal. Habitués des honneurs de Pitchfork et des albums concepts barrés (ce qui va souvent de pair), le groupe devait confirmer leur album-breakthrough, Hissing Fauna Are You The Destroyer, durant lequel le frontman Kevin Barnes (attention) se transforme en Georgie Fruit, transsexuel black & ex-taulard de 40 ans, ex-musicien de funk dans le groupe Arousal. Ce sera donc ce Georgie Fruit qui sera le héros de l’album, et on ne peut pas ne pas le remarquer, tant il exude l’exubérance.

En fait d’album, Skeletal Lamping (le nom d’une technique de chasse assez horrible) est une série totalement psychopathique et schizophrène de bouts de morceaux, repris plus ou moins aléatoirement en quinze pistes. Ca part littéralement dans tous les sens, passant de la disco assez gay au noise rock, après un passage hip-hop. Et inversément. Skeletal Lamping est aussi un de ces albums difficiles à décrire, il faudrait un article entier rien que pour décrire ce qui se passe dans un seul morceau. Ce qui force l’admiration au départ avant de devenir franchement irritant : c’est peut-être le but, mais il semble qu’à aucun moment, le groupe ne sait ce qu’il est en train de faire. De plus, les idées sont tellement courtes qu’elles manquent de développement : on retient un hook, et il disparaît aussitôt.

Ce qui ne disparaît pas, par contre, c’est l’obsession franchement maladive de Barnes/Bowie/Fruit pour le sexe. « We can do it softcore if you want, but you should know that I go both ways ». Tant mieux, ça fait plus de choix. Parfois, le groupe change de registre (enfin, façon de parler, vu qu’il n’en ont pas vraiment, de registre) et lorgne vers le sentimental. Mais Touched Something Hollow ressemble à Elton John sous crack, et ouvre la voie à l’invraisemblable An Eluardian INstance, sorte de Love Boat disco.

Sans surprise, les morceaux les plus facile à digérer sont les plus classiques : le premier single, Id Engager (et la tyrannie du phallus) et l’irrésistible Gallery Piece. De l’autre côté du spectre, Plastis Wafers est une expérience frankensteinienne en n’importe quoi. Et rien que pour le titre, il faut citer Triphallus, To Punctuate!

Of Montreal, malgré leurs efforts, ne réussisent pas à sortir le classique qu’on pouvait peut-être attendre. Skeletal Lamping est truffé de choses extraordinaires, mais elles sont trop peu nombreuses, et surtout, très difficile à trouver et à conserver, comme si le groupe enfouissait consciemment son talent. Outre le quota d’irritation fort important, ils ont toutefois réussi à démontrer leur grand talent, qu’on espère mieux utilisé la prochaine fois. Puis, Skeletal Lamping est quand même leur neuvième album : ils ne peuvent plus passer pour des débutants.

Sebastien Grainger And The Mountains – Sebastien Grainger And The Mountains

Death From Above 1979 fut aussi éphémère que percutant. Un bassiste et un batteur qui chante, il ne fallait pas plus pour créer un combo brûlant, et un album ovni remarqué. Le duo s’est séparé bien vite. Jesse F Keller (basse) a embrassé la musique electronique en tant que MSTRKRFT, et c’est maintenant son compère qui se lance dans l’aventure solo. Car même si on évoque un groupe (The Mountains), sur disque, c’est bien Grainger tout seul. Et il se débrouille très bien.

Love Can Be So Mean donne le ton. de DFA79, on conserve la puissance sonore et l’intensité, et on y ajoute un réel sens mélodique et du songwriting plus classique. Le morceau sonne comme une version hard des Strokes, avec une basse terrible et une voix peut-être pas assurée, mais authentique. Who Do We Care For ajoute un refrain à tomber par terre, et on se dit qu’on a entre les mains une des surprises de 2008. Grainger assure, a vite fait ses preuves et peut se permettre d’innvoer un peu, avec une batterie éclatante (c’est quand même son boulot), tantôt stoner, tantôt carrément dance. Les morceaux sont grands, amples et évoquent peut-être plus les grandes salles que les clubs poussièreux chers à DFA79, mais attention : on n’est pas chez les Killers non plus.

Ce qui n’empêche pas Grainger de truffer son album de minihits indie potentiels, comme I Hate My Friends ou American Names. Sans réfuter ses débuts bruitistes sur un Niagara dévastateur. Histoire de brouiller encore plus les pistes, Grainger termine avec le très shoegaze Meet New Friends et un morceau plus dansant, sous son alias The Rhythm Method.

Comme tous les débuts, SG&TM n’est pas parfait : ce que Grainger fait très bien, il a parfois tendance à le recopier, et il veut parfois trop se disperser. Mais il arrive sans aucun problème à amplifier ce que faisait Death From Above 1979 et à se présenter comme un artiste sur lequel il faudra compter dans le futur.

AC/DC – Black Ice

AC/DC est un groupe extraordinaire. Ils n’ont plus rien sorti depuis huit ans, et de toute façon, tout le monde sait très bien comment le nouvel album va sonner. Malgré ça dès que la tournée 2009 est annoncée, la vente des tickets fonctionne du tonnerre, toutes les dates étant sold out en quelques minutes, malgré un prix totalement scandaleux (mais pas autant que le marché noir sur ebay).

Black Ice accompagne la nouvelle tournée, plus que le contraire : comme les Stones, un nouvel opus des Australiens est un événement, mais paradoxalement n’intéresse pas grand monde. Et bien, c’est une erreur. non, Black Ice ne réinvente rien, et ne voit pas AC/DC se mettre à la nu-rave. Mais pour un bon disque de rock ‘n roll, c’est un putain de bon disque de rock ‘n roll.

On ne peut d’ailleurs pas avoir de doute sur la musique produite par le groupe des frères Young : le premier single (et morceau) s’appelle Rock ‘n Roll Train, et plus loin on aura Rock ‘n Roll Dream (une ballade), She Likes Rock ‘n Roll (every day, évidemment) et enfin Rockin’ All The Way. AC/DC n’a jamais fait dans le subtil, et on les en remercie chaleureusement. De toute façon, AC/DC ne parle généralement que de rock ‘n roll et de sexe, via métaphores un peu moins douteuses que d’habitude (War Machine, ce n’est pas une kalaschnikov…), même si l’état pitoyable de notre planète les inspire aussi (le morceau titre, Stormy May Day).

Malcolm Young envoie ses riffs infernaux au début de chaque morceau, comme il le fait depuis trois siècles. Mais qu’importe : dès le début, on sait que c’est AC/DC, et forcément, ce n’est que confirmé dès que Brian Johnson se lance dans un de ces numéros improbables de chant en dessous de la ceinture. La rythmique est solide (le batteur Phil Rudd est un métronome vivant, et le bassiste Cliff Williams prend parfois un peu de spotlight, comme sur Skies On Fire), et Angus Young délivre à chaque fois un très bon solo, qui ne semble jamais inutile. Il ressort même un bottleneck sur Stormy May Day.

L’album est sans doute trop long (15 morceaux, 55 minutes), et bénéficierait de la suppression de trois ou quatre morceaux un peu (trop) générico-répétitifs. Mais avec des riffs comme ceux de Big Jack, War Machine, Black Ice ou la relative agressivité de Spoilin’ For A Fight, on pardonnera tout, même le Rod Stewardesque Anything Goes.

Black Ice est meilleur que prévu : même si la formule est avérée, il fallait quand même réussir à la reprendre correctement, et seul AC/DC peut le faire. Meilleur qu’une grosse moitié de leur catalogue, il méritera d’être visité plus que trois fois lors de la mégatournée, entre Hells Bells et You Shook Me All Night Long.

Gojira – The Way Of All Flesh

Quel étrange animal, ce Gojira. Non seulement c’est un groupe de metal français qui bénéficie d’une solide réputation internationale, ce qui n’est pas courant, mais en plus ils sortent un album original et difficilement classifiable. Depuis leur troisième album (From Mars To Sirius), ils se sont fait remarquer grâce à un metal aggro-progressif (mais pas trop), des paroles étonnantes (partiellement centrée sur la protection écologique, ce qui leur a valu l’amusante étiquette d’éco-metal) et un leader reconnu (Joe Duplantier, par ailleurs bassiste de Cavalera Conspiracy).

The Way Of All Flesh est puissant, violent, agressif, mais ne joue pas dans la surenchère du bruit : les passages plus calmes, ou du moins moins cinglés, permettent de préparer le chaos suivant. Le chant est éraillé, habité, et la batterie puissante : comme chez Meshuggah, c’est la pierre angulaire du groupe. On trouve des influences death, trash, mais aussi un peu d’industriel, et carrément des choses inattendues dans un genre pas souvent connu pour son caractère innovant. Tout cela fait que la musique de Gojira n’est pas fort aisée, il faut d’ailleurs plusieurs écoutes pour complètement rentrer dans un univers personnel mais parfois obtus, ce qui n’est pas aidé par la longueur de l’album (75 minutes)

On peut difficilement s’ennuyer, ceci dit, tant les rythmes sinueux sont hypnotiques et parfois poignants, et même quand Gojira décide de quitter leur domaine de prédilection pour s’aventurer dans le metal contemporain un peu plus classique, ils ont le bon goût de s’assurer les services gutturaux de Randy Blythe (des porte-drapeaux du metal US Lamb of God).

Mais The Way Of All Flesh est un album qui parle de mort, et est ainsi totalement implacable, sans concessions. Il est brutal, mais plus par le fond que par la forme, le groupe n’ayant pas jugé utile de forcer le ton, ils ne tombent donc pas dans une caricature de type Slipknot mais participent à la rénovation d’un genre parfois poussiéreux. Mais tant que le metal pourra compter sur des groupes comme Gojira ou Meshuggah, son avenir est assuré.

0,5/10

Ceux qui me lisent depuis longtemps le savent, j’ai toujours hésité entre coter les albums ou ne pas le faire. Les arguments contre sont clairs : coter une oeuvre d’art, c’est évidemment éminemment subjectif, et franchement assez con. 8/10, ça veut dire quoi? Que 80% des morceaux sont bons? Qu’il est meilleur que 80% des albums sortis cette année, cette décénnie, voire de l’histoire? Doit-on comparer l’album aux autres oeuvres du même artiste? Si un album est « bon » mais moins bon que le précédent, doit-il en souffrir pour autant?

En faveur des pour, c’est plus clair : quand j’ai décidé la première fois de suppiimer les cotations, j’ai perdu des lecteurs, et reçu pas mal de mails me demandant de les remettre. Je l’ai fait.

Entre rien et la classique cote sur dix, différents systèmes coexistent, des plus imagés (les étoiles, les « n fois logos ») aux plus obscurs (le fameux système décimal de Pitchfork : Joanna Newsom, 9.3 ou 9.4?) en passant par les fantaisistes (les taches de Psychotonique). Mais finalement, ils ont tous le même but, et c’est justement celui-là que je refuse.

Conséquence : je refais marche arrière, et je supprime ce système de cotation, sans doute pour toujours. J’ai trop de fois hésité au moment de mettre la cote, et quand on passe autant de temps à balancer entre 6 et 7, pour finir à 6,5 (peut-être ma cote préférée, et une qui ne veut rien dire), on se fourvoie fatalement.

La compétition est déjà présente partout, de toute façon. Entre le nombre de MTV Awards que Linkin Hotel remportera et qui de Fortis ou Dexia se plantera le plus en bourse, l’art n’y a pas sa place. Et si je dois perdre des lecteurs, ce sera ceux qui ne prennent pas le temps de lire l’article et de comprendre qu’il ne peut se résumer à un bête chiffre. Pour tous ceux-là, les autres canaux ne manquent pas, pour Music Box, on s’arrêtera au texte, avec toutefois une conclusion qui sera (comme actuellement) écrite pour résumer mon point de vue, de manière nettement plus nuancée et prismique qu’une cote ne pourra jamais faire.

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