Radiohead – Hail To The Thief (2003)

600px-Radiohead.hailtothetheif.albumartAvant de sortir son sixième album, Radiohead avait déjà une carrière bien remplie. Un premier album bien reçu avec un mégahit (Creep), un second qui définit le post-grunge, un troisième qui sera reconnu comme un des plus importants de l’histoire du rock, et enfin, une paire d’opus expérimentaux et très impressionnants. Il ne semble plus vraiment y avoir de barrières à franchir, et c’est dans se contexte que Radiohead a pu enregistrer leur album le plus "facile" à ce jour.


Comme à chaque fois depuis Kid A, on se demande (assez stupidement d’ailleurs) si le groupe va revenir au bon gros rock, et 2 + 2 = 5 semble répondre aux attentes, surtout dans sa seconde moitié mouvementée. Ce n’est forcément qu’un mirage : même si les élements électroniques sont moins présents, il le sont toujours (le final de Sit Down stand Up, par exemple), et la guitare n’est jamais qu’un instrument parmi d’autres. Hail To The Thief est un album long (une heure, quatorze morceaux), dense et varié : on aurait pu retrouver Sail To The Moon sur OK Computer, alors que Go To Sleep est basé sur une guitare acoustique, ce qui est très rare, chez Radiohead.

Si l’on veut chercher une différence majeure entre HTTT et les deux albums précédents, ce serait peut-être une recherche mélodique plus poussée. Une majorité des morceaux ici sont basés sur une mélodie, quelque chose d’accrocheur et d’attachant, qui les rend plus… humains, peut-être. Where I End And You Begin en est un bon exemple, et comprend aussi une utilisation intéressante des Ondes Martenot par le bidouilleur en chef Jonny Greenwood. Ce qui n’empêche pas les expériences bizarres, comme We Suck Young Blood, emmené par un piano et rythmé par des claquements de mains, ou The Gloaming, entièrement manipulé en post-production.

Le premier single n’arrive qu’en neuvième place sur l’album, et c’est peut-être là sa faiblesse ultime. Est-il trop long, trop dense? Rien n’est à jeter, certes, mais il aurait peut-être mieux valu reléguer deux-trois morceaux en faces B (là où se trouvent déjà quelques perles). De même, après les derniers albums, il est étonnant, voire un peu gênant, d’entendre des morceaux relativement simples et accrocheurs, comme, justement, There There. Rien de mal à ça, et Radiohead continuera d’ailleurs la tendance dans le prochain album, In Rainbows, après que Thom Yorke ait exorcisé ses démons numériques sur The Eraser. I Will pousse d’ailleurs la simplicité jusqu’à son quasi-paroxysme, nous montrant une nouvelle facette du groupe, tout cela après six albums. Mais dans une schizophrénie typique, Myxomatosis envoie une basse trafiquée directement là où ça fait mal et ferait presque… danser. A Wolf At The Door clôture l’album, avec un Thom Yorke toujours inquiétant et mystifiant.

Hail To The Thief n’a pas l’importance des quatre albums précédents, c’est indéniable. Ce qui n’empêche pas son excellence, et surtout, son importance personnelle pour Radiohead, qui semble avoir trouve son équilibre. Même s’il continueront certainement à surprendre à chaque nouvelle sortie, comme pour le récent In Rainbows, qui aura attendu quatre longues années avant de voir le jour.

 
 
2 + 2 = 5

 
 
Where I End And You Begin

The Raveonettes – Lust Lust Lust

Un détour vers le nord pour les deux prochains articles de Music Box. Avant Sigur Rós, c’est au tour du duo Danois The Raveonettes, qui vient de sortir son quatrième album. Dingue quand même, non? L’Islande a Sigur Rós (entre autres…), le Danemark The Raveonettes et la Belgique Hollywood Porn Stars. Soit, rien de bien nouveau chez Sune Rose Wagner et Sharin Foo, qui attendent sans doute avec impatience le retour de My Bloody Valentine.

Car, une fois de plus, les influences shoegaze sont enormes, et sont maintenant accompagnée d’une batterie complètement électronique. On se concentre donc sur les voix froides et harmonisées des deux vocalistes, de la basse puissante et d’un mur de son guitaristique qui nous replonge tout droit dans Lost In Translation (pour ma génération 😉 ).

Lust Lust Lust, sans trop faire dans le cliché, est très froid mais efficace, et emprunte également dans la pop des années 60 chère à Phil « je l’ai échappé belle » Spector. Il est aussi évidemment très limité techniquement, fort répétitif, mais arrive à faire passer une palette d’émotions en utilisant peu. Il faut aimer, mais si Psychocandy est votre album d’île déserte, alors… Un album intemporel, bruyant et brillant.

Radiohead – Amnesiac (2001)

Radiohead.amnesiac.albumartOn le sait, les morceaux d’Amnesiac ont été enregistrés en même temps que ceux de Kid A. Ceci dit, le groupe a choisi de ne pas en faire un double album, mais de sortir les deux parties, en insistant bien sur leurs différences. On ne peut que le comprendre, les deux albums sont en effet différents.

Amnesiac, et ce n’est pas un reproche, est nettement moins cohérent. Alors qu’un fil conducteur semblait relier chaque point de Kid A, ici rien ne semble associer deux morceaux qui se suivent comme Pyramid Song et Pulk/Pull Revolving Doors, par exemple. Le thème "guitares" est aussi traité différemment : certains en sont totalement dépourvus, d’autres sont construits autour, comme Knives Out et I Might Be Wrong. Certains extraits d’Amnesiac sont les plus obscurs jamais composés par le groupe, d’autres sont nettement plus accessibles. Knives Out est certainement le morceau le plus commercial, si l’on peut dire, depuis Karma Police.

Amnesiac est très énigmatique, comme l’anti-Blair basique You And Whose Army, chanté par un Thom Yorke à la bouche pâteuse, sur une base instrumentale apparemment enregistrée sous trois mètres d’ouate, ou Packt Like Sardines In A Crushd Tin Box qui semble, quant à lui, tiré de Kid A. Schizophrène, l’album offre des morceaux de brillance totale, comme le coda de I Might Be Wrong, pendant lequel on ne peut simplement plus respirer, ou le final Life Is A Glasshouse, encore très différent, et enregistré avec le jazzman Humphrey Lyttleton. Dans le même genre, Dollars And Cents est augmenté de la présence de cordes, qui prépare peut-être étrangement le dernier In Rainbows. Mais il est aussi possible que le groupe ait été un peu loin, Hunting Bears et Like Spinning Plates poussent l’exploration sonore au maximum. C’était probablement le but, il est atteint, mais ces morceaux nous font plus gratter le crâne qu’autre chose. Et fatalement, tout cela ne ressemble à rien avec ce que Radiohead a pu faire auparavant.

Il s’agit très certainement de l’album le plus étrange de Radiohead, ce qui n’est pas peu dire. On pourrait même s’avancer en affirmant que Kid A n’a fait que préparer l’arrivée d’Amnesiac, sans quoi il aurait été totalement impossible à comprendre. L’évolution du groupe ne s’arrêta pas là, évidemment, mais l’album suivant, Hail To The Thief, n’aura pas le même impact que cet incroyable duo. Mais c’était impossible.

Un vrai cauchemar de chroniqueur, cet album, mais une classe et une inventivité folle.

I Might Be Wrong

Life In A Glasshouse

Puscifer – V Is For Vagina

Puscifer est un projet qui date déjà de quelques années, avec des apparitions disparates dans des bandes originales peu recommandables à la Underworld. Puscifer, c’est Maynard James Keenan, vocaliste de Tool et A Perfect Circle, vigneron et humoriste à ses heures perdues. D’ailleurs, de l’humour et du second degré, il en faudra pour tenter le comprendre V Is for Vagina (parce qu’apparemment, C Is for Chinese Democracy est déjà pris). Déjà, le nom, Puscifer a au moins trois niveaux de lecture, et le single sorti en éclaireur était on ne peut plus intrigant. Cuntry Boner (co-écrit par Tom Morello!), c’était MJK avec un accent country qui énumérait la liste des artistes country avec qui il a couché. Ouaip.

Mais V est un peu plus sérieux, et musicalement fort différent, à prédominance industriel minimaliste, sans doute par la présence de Lustmord ou Danny Lohner. Queen B est assez catchy, avec une ligne de basse bourdonnante et une voix grave, souvent modifiée. C’est d’ailleurs la caractéristique majeure de l’album, cette voix basse peu reconnaissable. Les morceaux ne sont généralement pas mémorables, mais ne sont pas non plus mauvais, même si Vagina Mine pâtit d’un thème assez… obsessionnel, et Sour Grapes est carrément irritant avec MJK reprenant ses attaques ironiques contre son pote Jésus. The Undertaker et Rev 22:20 sortent du lot, ce dernier possède d’ailleurs des voix non modifiées, et donc reconnaissables.

Si l’on prend en considération le fait que Puscifer est un projet parallèle absolument pas sérieux, ça passe. On peut se demander pourquoi MJK ne garde pas ses petits morceaux bizarres pour ses caves à vin, mais bon. On a connu pire, mais on espère quand même que Billy Howerdel va réactiver A Perfect Circle un de ces jours…

Musique, mensonges et petit cochon

Je n’avais pas spécialement l’intention de parler de ce sujet, mais il y a suffisamment de points à remettre sur les i, et la (lol) blogosphère belge n’en a pas spécialement parlé. D’abord, rappel des faits. Le mardi 23 octobre, les Polices britannique et néerlandaise, coordonnées par Interpol, ont invité la presse pour assister à l’arrestation d’un homme de 24 ans, dont le pseudonyme Internet était connu de plusieurs dizaines de milliers d’internautes.

Son crime? Impossible à dire, les autorités sont probablement en train de se concerter pour trouver quelque chose à lui reprocher. Ce qu’il a fait? Participer à la révolution culturelle. OiNK était le créateur du site qui portait son nom, oink.cd (autrefois oink.me.uk). OiNK (le site) était principalement un tracker bittorrent, à savoir (on va faire simple, la question n’est pas technique) une sorte d’index de fichiers qui permettaient de connecter les internautes entre eux pour s’échanger principalement des albums musicaux.

Etait-ce illégal? L’avenir nous le dira, mais, grâce au concept BitTorrent, aucun fichier musical ne se trouvait sur les serveurs conquis par la police néerlandaise, OiNK ne servait que d’interface à la disponibilité des morceaux, comme un simple moteur de recherche, comme on le verra plus tard. Mais même s’il est évident que certaines formes de téléchargement illégal ont effectivement été favorisées par OiNK, la manière dont tout ça s’est passé peut choquer.

D’abord, le tapage médiatique, et les mensonges qui ont suivi. Quelques heures après l’arrestation et les saisies, différents lobbys du disque ont piraté sans vergogne oink.cd, en y installant un message menaçant. Ceci dans l’illégalité la plus totale, et sans aucun respect de la présomption d’innocence. Pire, les communiqués de presse ont été clairement mensongers, on y apprenait, entre autres, que OiNK était un site payant. Même si les donations étaient possibles, elles n’étaient nullement obligatoires et ne fournissaient pas d’avantage en termes de téléchargement. De plus, les règles très strictes en matière de qualité sonore faisaient que les albums disponibles sur OiNK étaient de bien meilleure qualité que, disons, iTunes. On avait donc le choix entre de la bonne qualité gratuite et illégale ou de la mauvaise qualité (bit rate et DRM), chère mais légale.

C’était une évidente manipulation de la part de l’industrie du disque qui, encore plus dépassée par les événements que d’habitude, a tenté de faire peur au public et de diaboliser les terroristes de la souris. Malheureusement pour elle, les choses ne se sont pas trop bien passées.

On le sait : on ferme un site, deux s’ouvrent quelques minutes plus tard. Il était donc évident que des alternatives allaient se mettre sur pied, dont une chapeautée par The Pirate Bay, tracker suédois bien connu pour être littéralement intouchable. Même si ces sites n’ont pas encore l’ampleur d’OiNK (180 000 membres, quand même), ils démontrent ce que TorrentFreak appelle l’hydre: on coupe une tête, mais l’animal survit, plus fort encore. Évidemment, ces sites pourraient peut-être aussi subir l’ire des autorités, mais qui se fatiguera le premier?

Mais ce n’est pas le plus important. Au sein même de l’industrie, des voix dissonantes se font entendre. Pas spécialement pour défendre le vol, mais le concept même de modification de la distribution de la culture et de l’art. Le premier a été Rob Sheridan, graphiste professionnel, qui a analysé la question dans un long article, résumé et traduit ici. Le titre est évocateur : When Pigs Fly: The Death of Oink, the Dirth of Dissent, and a Brief History of Record Industry Suicide. Sans trop de surprise, c’est Trent Reznor qui a jeté un pavé dans la mare. Défenseur de la gratuité de l’artéfact culturel, il a encouragé ses fans à voler son dernier album, et a même diffusé ses propres dvd via bittorrent. Non seulement Reznor a défendu OiNK, mais il a carrément avoué en faire partie.

Il est temps que les quatre majors se rendent compte que l’exploitation du public touche à sa fin. Cette fin d’année 2007 est la plus importante dans ce domaine : on a vu la fin annoncée de la DRM, des alternatives supérieures à iTunes, la bombe Radiohead, et maintenant, cette tentative pathétique de discrédit. Ce n’est pas par la terreur qu’on vendra plus de disques. Par contre, essayer de prendre les gens un peu moins pour des cons, ça pourrait marcher. Le futur s’annonce rayonnant.

En guise de conclusion, et en parlant de futur rayonnant. Nos amis de la SABAM, qui dans le genre prendre les gens pour des cons sont assez forts, avaient demandé que les fournisseurs d’accès internet bloquent le téléchargement illégal, ce qui, en gros, est aussi facile que d’aller à la plage et de retirer tous les coquillages à lignes jaunes et blanches. C’est bien de vouloir faire respecter la loi, mais ça serait encore mieux de balayer devant sa porte, de blanchir moins d’argent et de faire moins de faux. Mais je serai magnanime, et je leur laisserai la présomption d’innocence, tout en gardant un sourire en coin.

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