Tomahawk – Anonymous

Mike Patton est un homme aux multiples facettes, et est probablement l’artiste qui s’est le plus souvent retrouvé dans ces pages, quasi à chaque fois avec des projets différents. Cette fois, c’est encore plus étrange : le troisième album de Tomahawk, qui reste son projet rock le plus conventionnel, ne ressemble pas du tout aux deux précédents, et tenderait même plus, mais pas exactement, vers l’expérimental Fantômas.

Le concept est simple et étrange, comme souvent chez Patton : Anonymous, fidèle à son titre, reprend des morceaux traditionnels des Indiens d’Amérique, ceux qu’on doit appeler là-bas Native Americans pour faire dans le politiquement correct. Patton vocalise plutôt qu’il ne chante, en scat, en onomatopées vocodées mais parfois aussi presque normalement, mais c’est une fois de plus John Stanier qui casse la baraque.

Non content d’être la force motrice derrière l’album de Battles, un des incontournables de 2007, l’ex-batteur de Helmet imprime tout sa science du rythme parfait, passant de beats simples et constructifs aux rythmes syncopés à couper le souffle. Le tout sans voler la vedette à l’ambiance de l’album, tout en sérénité ambiante profonde, qui rappelle parfois Dead Can Dance. Ou à une occasion, System Of A Down : les sources sont ici, et même si un simple album de reprises ne peut pas permettre d’expliquer la culture musicale de plusieurs peuples pendant des centaines d’années, au moins Tomahawk aura réussi à démontrer son influence.

De plus, malgré une évidente bizarrerie et quelques libertés prises, textuellement et musicalement (le très heavy Sun Dance le prouve), Anonymous reste tout à fait écoutable et est en fait une bonne surprise car moins fermé que ce que Patton a souvent tendance à faire, comme le récent Moonchild. Bonne surprise, et bon album.

Manu Chao – La Radiolina

Comme on le sait, Manu Chao voyage beaucoup, partout, et ne s’est donc pas ennuyé entre son dernier album de celui-ci. L’ex-Mano Negra avait connu un succès étonnant avec ses deux albums minimalistes, bricolés lo-fi mais charmants. Cette fois, il a convié son groupe aux enregistrements, et le Radio Bemba Sound System augmente le son de la guitare de Chao, rendant le son plus expansif, et donc moins intimiste.

Qu’est-ce qui ne change pas? Le style des morceaux, toujours mélancolique et chanté en plusieurs langues, dans un style alliant naïveté et authenticité reste le même, on a rajouté des percussions et des guitares parfois assez rock, comme dans le premier single Rainin In Paradize ou Panik Panik. Naïveté aussi au niveau des paroles, et Chao a toujours un accent anglais absolument effroyable. Interpeller George W Bush dans sa langue en devient finalement plus ridicule qu’efficace. Heureusement, il réussit à sublimer ses sentiments, dans quelques morceaux spendides comme Otro Mundo, mais on se met à regretter l’ambiance particulière des albums précédents, moins professionnelle, plus efficace.

De plus, ce que Radio Bemba apporte est assez limité : des rythmes basiques, des guitares trop simples : en concert, c’est très efficace, mais ici, on a l’impression de perdre son temps, surtout pour les morceaux qui durent moins de deux minutes. Et le riff de Rainin in Paradize est (ré)utilisé trois fois en cinquante minutes, quand même.

Déception personnelle donc, même si je suppose que ça sera pris comme un atteinte à la world music ou que sais-je encore. Reste que Manu Chao dans un groupe rock, je préférais Mano Negra, et Manu Chao solo, c’était les bidouillages personnels des débuts. Mais c’est mon avis, et comme il semble que j’ai souvent tort 😉 …

Ben Harper and The Innocent Criminals – Lifeline

Ben Harper continue son exploration de dizaines d’années de musique, et de lui-même. Après un album gospel, un reggae et un impressionnant double, Lifeline est son neuvième album studio, et est aussi assez particulier. L’album a été écrit sur la route, avec l’aide (pour la première fois) de son groupe, The Innocent Criminals, et enregistré en une petite semaine à Paris. Il en acquiert un sentiment organique puissant : le son est live, et sa voix d’Harper est parfois poussée à la limite de ses émotions, prouvant une dernière fois qu’il est un interprète remarquable. Mais Lifeline ne serait rien sans les morceaux eux-même, et la qualité est au rendez-vous.

Fight Outta You rappelle, par son caractère répétitif, With My Own Two Hands en y ajoutant un caractère social prononcé, qui pourrait sortir de la bouche de Zack De La Rocha s’il avait adopté un autre style. Fool For A Lonesome Train donne l’impression, comme l’album en général, d’avoir toujours existé, d’être un classique immédiat, alors que Needed You Tonight invoque le début du rock n roll : Ben Harper est de la classe des légendes. Musicalement, le groupe est très solide, mais c’est la guitare d’Harper, souvent discrète, qui domine sans éclabousser : il a prouvé qu’il pouvait faire du Hendrix, maintenant il fait juste du Harper.

L’album entier ne souffre d’aucune faiblesse, et les meilleurs morceaux en deviennent alors extraordinaires : Younger Than Today est beau à pleurer, d’une tristesse sublime, alors que les deux derniers morceaux (joués live en une prise) montrent Harper en solo, arrachant son coeur, son âme et déposant le tout devant lui, pour que tout le monde puisse regarder.

Lifeline est sans doute l’album qui m’a le plus impressionné depuis longtemps : il n’est peut-être pas parfait, et comme souvent chez Harper, il part parfois dans tous les styles, mais il est tellement rare d’entendre une telle authenticité de la part d’un artiste qu’on ne peut qu’admirer. Parce que le reste du monde ne saura qu’admirer.

HORSE the band – A Natural Death

Nintendocore. La rencontre entre le hardcore et Nintendo, ou plus précisément l’utilisation de claviers émulant les sons des consoles de jeux 8-bit, dont la légendaire NES, qui règnait sur le monde des jeux vidéo quand Sony et Microsoft s’occupaient encore de leurs affaires. Le genre est évidemment assez restreint, avec deux représentants majeurs (enfin, tout est relatif) : Minibosses et HORSE the band.

Pour réussir avec ce genre de combination, il y a deux solutions. Minibosses a clairement choisi de rester fidèle aux sons d’origine, reprenant avec instruments rock classiques des thèmes de jeux vidéos. HORSE the band (oui, c’est emmerdant, la typo) choisit d’utiliser un clavier (un Korg MS-2000) comme un instrument parmi d’autres, qui n’est pas spécialement mis en avant par rapport aux autres. Reste qu’il apporte non seulement une grande dose d’originalité, mais qu’il apporte en plus de la nostalgie pour ceux (dont moi…) ont joué aux jeux en question, et ont les effets sonores des vies supplémentaires de Mario Bros gravés à jamais dans leur mémoire.

HORSE the band reste assez parodique, surtout quand on prend en compte les paroles surréalistes, mais à la base les morceaux sont solides, et tiennent la route sans le gimmick. Ils se permettent même quelques variations de goût douteux, comme le très honteusement new wave Kangarooster Meadows, et sa ligne de synthé à la Jump, ou le hit 25 ans en arrière Sex Raptor. Mais comme on l’entend dès le début, c’est solidement hardcore, avec quelques incursions dans le prog, en gardant cet humour particulier. L’album est un peu long, et parfois inégal, mais il apporte sa part d’originalité, soutenue par de très bons morceaux. Certains auditeurs avertis y pêcheront juste quelques références supplémentaires.

Elliott Smith – New Moon

Le commerce des morts est lucratif, on le sait depuis toujours, anniversaire de la mort d’Elvis le prouvant une fois de plus. New Moon est le second album sorti depuis la mort d’Elliott Smith en 2003, et fait suite à From A Basement To The Hill, qui était en chantier lors de son (apparent) suicide. New Moon est différent, car il s’agit d’une collection de raretés issues de sa période chez Kill Rock Stars Records entre 94 et 97, et on peut donc se poser la question de la légitimité de l’album, pour deux raisons. D’abord, parce qu’une majorité des raretés en questions étaient largement disponibles sur divers fansites, ensuite, parce que la longueur de ce double album peut poser la question de la qualité : quel artiste pourrait avoir assez de bons morceaux pour remplir quatre cd en quatre ans? Réponse : Elliott Smith.

La grande majorité des morceaux présent sur New Moon auraient largument pu se retrouver sur les albums concernés, tant le niveau est élevé ici. Le toute st souvent minimaliste, et très Elliott Smith, pas vraiment d’expérimentation ici. Simple guitare, la voix doublée d’Elliott, et parfois une batterie ou un clavier, rien de plus. Mais c’est de toute façon amplement suffisant, tant le talent ébouriffant de Smith n’a pas besoin d’autres moyens d’expression. On relèvera juste quelques morceaux plus rock, comme High Times, New Monkey ou Fear City, mais c’est souvent la simplicité qui prime.

Simplicité alliée aux thèmes récurrents chez Elliott Smith : le mal-être ou la solitude qui confèrent à New Moon une atmosphère typiquement sombre mais très personnelle et passionnante. Outre les deux défauts mineurs évoqués plus haut, il n’y a rien qui pourrait empêcher New Moon de rejoindre les autres albums d’Elliott Smith, tout en espérant que le mercantilisme postmortem ne se fera pas au détriment de la qualité : tant qu’il reste des morceaux comme ceux-ci, il faut qu’ils sortent, de toute façon. Elliott Smith n’aura pas pu sauver sa vie, mais il pourrait sauver la vôtre.

This is my music box, this is my home. Since 2003.