Reuben – In Nothing We Trust

On parle souvent, à tort, de « scène anglaise » (en voulant dire britannique), en nommant Arctic Monkeys, Kaiser Chiefs, ou encore Franz Ferdinand. Sans vouloir critiquer ces groupes (sauf Kaiser Chiefs, mais c’est trop facile), on aurait plutôt tendance à oublier qu’il y a d’autres groupes qui n’ont pas forcément été nourris à coups de Stone Roses, Oasis et Libertines selon les générations. On a évidemment des groupes clairement metal, comme Million Dead, Raging Speedhorn ou les énormes Architects, et puis, sans doute les plus intéressants, ceux qui se trouvent entre les deux. On peut parler de Biffy Clyro, même si le dernier album s’éloigne encore un peu plus des grosses guitares saturées, mais aussi de Reuben, qui sort ces jours-ci son troisième album. Si on voulait les rapprocher de Biffy, on pourrait, mais alors plus du côté metal : ils virent carrément dans le hardcore.

Dès l’ouverture, et Cities On Fire, on est aux prises avec une bête aux multiples têtes, qui chante, qui crie, qui hurle, avec une schizophrénie aussi inquétante qu’exaltante. La dynamique classique quiet/loud est en application, mais quand ils sont loud, ils sont très, très forts. Comme pour les écossais mentionnés ci-dessus (ce sera Biffy, pas Franz), leurs morceaux fourmillent d’idées, comme brillamment démontré sur We’re All Going Home In An Ambulance, qui ne sait pas où elle va, mais y arrive très vite. Enfin, vite, tout est relatif : le groupe a développé un amour pour les longs morceaux, qui se développent patiemment mais toujours là où on ne les attend pas. On parlerait bien de prog rock, mais il ne faut pas, c’est mal.

Ceci dit, les sept minutes de Suffocation Of The Soul sont aussi user-friendly que le titre, mais la brillance est présente tout au long du morceau. Tout aussi surprenant, Deadly Lethal Ninja Assassin est complètement différent, ultra mélodique au point de rappeler les meilleures heures de Weezer. Avant d’emprunter des méandres encore plus intrigants que l’esprit de Rivers Cuomo. Plus loin, Reuben se lance dans la ballade acoustique caustique, aidé pour cela de la voix angélique d’Hannah Clark. « This is goodbye, I hope you die ». Hmm, ok, merci.

Mais ce ne sera qu’une tout petite parenthèse calme dans un album qui n’est pas pour autant bruitiste : la recherche sonore prend le pas sur celle du bruit, comme on peut le remarquer dans le long Three Hail Marys. Enfin, l’album se clôture en style, avec l’ambitieux A Short History Of Nearly Everything, qui non seulement survit facilement à son titre, mais qui offre à l’album une fin ad hoc.

On savait Reuben capable de bonnes choses, mais avec In Nothing We Trust, ils offrent leur opus le plus complet et le plus ambitieux à ce jour, sans pour autant renier leur style et leur nature. Les déçus de Puzzle y trouveront sans doute leur compte, mais tout le monde peut s’y jeter à corps perdu. Attention : on ne garantit pas l’état dans lequel vous ressortirez.

Unsane – Visqueen

Profitons de l’actualité musicale en vacances pour parler d’albums oubliés pour une raison ou un autre lors de leur sortie plus tôt dans l’année. C’est le cas de Visqueen, qui est déjà un prétendant universal comme album metal de l’année. Enfin, metal, tout est relatif, et comme je déteste 1) les récompenses et 2) la compartimentalisation de la musique, je m’en fous de toute façon. On dira heavy, pour dire quelque chose.

Bref, Visqueen, dernier album des pionniers new yorkais d’Unsane (20 ans de carrière, quand même), est stupéfiant du début à la fin. Étonnant, parce qu’il ne semble pas obéir aux formules connues. Même si la musique du groupe est lourde, parfois carrément violente, elle ne recherche jamais la sauvagerie, préférant l’intensité à la vitesse. Les rythmes sont parfois fatalement comparables à Black Sabbath, mais tout groupe heavy qui ne joue pas comme Cannibal Corpse finit tôt ou tard par être comparé à Sabbath. Ceci dit, les bases sont foncièrement hardcore, par essence : le groupe joue tel qu’il l’entend (ou ne l’entend pas, tant la basse est surpuissante) et le vocaliste ne chante pas, n’hurle pas, mais vit ses paroles, sans trop se soucier des sons qui en sortent.

Peu de compromis sur l’album, qui ne commence pas pour rien par Against The Grain (référence à Pantera? Peut-être). Pas non plus de structure classique, de refrains reconnaissables, ou de démonstrations techniques. Non, Unsane font juste ce qu’ils ont envie de faire, et contrairement au boss de leur label (Ipecac, donc Mike Patton, qui a parfois tendance à diluer ses talents), le font très très bien, avec passion et talent. Mais forcément, Visqueen n’est pas une écoute facile, vous l’aurez compris. L’album est très heavy, et le dernier morceau pourrait sans problème servir d’accompagnement sonore au film d’horreur le plus effrayant de tous les temps. En dépit de ce climat peu user-friendly, Visqueen est une réussite éclatante, la preuve définitive que le rock heavy ne mourra jamais, tant qu’il y en aura pour pousser de plus en plus loin ses limites, si limites il y a.

Beatallica – Sgt Hetfield’s Motorbreath Pub Band

L’art du pastiche est aussi méconnu que difficile. À ne pas confondre avec la parodie (imitation comique ou ridicule), le pastiche est défini comme l »‘imitation d’un style, d’une forme d’art ». Dans le monde du rock, quelques personnalités ont brillamment réussi dans cette discipline, citons Frank Zappa ou Weird Al Jankovic (qui a lui-même superbement pastiché Zappa). Sum 41 aussi, mais ils ne l’ont pas fait exprès.

Ce qui nous amène à Beatallica, qui, comme leur nom l’indique très bien, se spécialisent en reprises des Beatles dans le style de Metallica. Décrire ne sert pas à grand chose, il faut vraiment l’entendre pour comprendre. Le groupe est actif depuis le début de la décénnie, et a déjà sorti deux EP, distibués à l’époque gratuitement sur leur site Internet, et créant un phénomène online. Des problèmes juridiques sont apparus, provenant des représentants des Beatles qui n’ont pas apprécié le traitement de l’oeuvre. Les membres survivants des deux groupes ont supporté le groupe, qui en a même tiré une certaine publicité, ce qui leur permet de sortir aujourd’hui leur premier album physique.

Dès le titre de l’album (qui est aussi le premier morceau), on comprend leurs intentions, et chacune des treize (comme sur Sgt’s Pepper!) pistes suivent la même logique : bases de paroles des Beatles, modifiées avec des clins d’oeil à Metallica et au métal en général et pimentées par des tonnes de musicales à Metallica. Revol-Oooh-Tion est une version trash de Revolution et je vais juste citer quelques titres, ce qui sera plus clair : Blackened The USSR, Helvester of Skelter, Leper Madonna, And Justice For All My Loving, Sandman (Enter Sandman + Taxman). Et encore, Everybody’s Got Something To Hide Except for Me and My Lightning et I Wanna Choke your Band n’ont pas été repris ici.

C’est excellent, et pas seulement d’un point du vue humoristique : le chanteur reprend les tics vocaux d’Hetfield a la perfection, mais sans exagération; musicalement, tout est très bien exécuté, c’est plus du travail de pro que de potaches à la recherche d’un quart d’heure de gloire youtubesque. Certains morceaux arrivent même à atteindre des niveaux étonnants : Ktulu (He’s So Heavy) traîne sa carcasse pendant presque huit minutes, créant un morceau de bravoure très intéressant, et qui ne pâlit pas en comparaison aux immenses modèles, tandis que Hey Dude arrive à faire l’impossible : rendre Hey Jude et Nothing Else Matters intéressants, avec des paroles hilarantes.

Pour cela, et pour la liberté d’expression au sens large, Beatallica est extraordinaire, et alors qu’on attend toujours les remasters officiels des Beatles et un le premier album non pourri de Metallica en dix ans, on écoutera ça avec un large sourire.

Beastie Boys – The Mix-Up

Les Beastie Boys n’ont jamais rien fait comme les autres, et ils ne vont pas s’arrêter maintenant. The Mix-Up est leur premier album en trois ans, le second en dix, et ils arrivent encore à le faire entièrement instrumental. Ce qui passerait pour un caprice prétentieux de la part de n’importe quel groupe leur sera-t-il pardonné? Pas certain, en fait.

Que montre The Mix-Up? Qu’outre des MCs et lyricistes impressionnants, les B-Boys sont aussi des musiciens : ils sa partagent ici les basse, guitare et batterie, leur comparse Money Mark se chargeant des claviers. Bien, mais on le savait déjà, depuis Check Your Head, précisément. Qu’ils possèdent un sens mélodique certain et un goût prononcé pour l’expérimentation complexe. Aussi, rien de nouveau. Qu’ils sont capables de sortir un album tout juste destiné à être samplé de tout les côtés, mais définitivement pas à être écouté tel quel, tout en ricanant en lisant les « journalistes professionnels » crier au génie? Voilà sans doute la plus grande réussite d’un album clairement pas mauvais, qui comprend des tonnes de bonnes idées diluées dans un style lounge-funk inintéressant au possible.

Les Beastie Boys se prennent trop au sérieux ces dernières années, et le résultat s’en fait sentir. Surtout qu’ils menacent de ressortir l’album en version vocale. Qu’ils retournent plutôt en studio, faire ce qu’ils font de mieux. Et seulement à ce moment, on acceptera que The Mix-Up n’est qu’une curiosité mégalo-prétentieuse entre deux albums. Ce qui n’est pas le cas maintenant.

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