Trent Reznor est maintenant débarassé de ses addictions qui ont failli avoir sa peau, et les différences sont notables : d’abord, il ressemble à Henry Rollins, ensuite, voilà qu’il compte nous sortir trois albums en quatre ans (contre seize ans entre le premier, Pretty Hate Machine, et With Teeth). Le dernier, Year Zero, est un album concept introduit par un ARG assez incroyable, fait de dizaines de sites internet et de sticks USB abandonnés dans les toilettes des salles récemment visitées par le groupe. Year Zero, c’est 2022, année qui voit les USA établir un nouveau calendrier après être devenu une entité dictatoriale, qui a atomisé l’Iran et la Corée du Nord. Le gouvernement fait tout pour contrôler la population, via la mainmise sur les médias, l’impossibilité d’exprimer son opinion, et la diffusion d’une drogue calmante via l’alimentation publique en eau. Bref, une projection dans le futur assez pessimiste, mais peu éloignée de la réalité…
De fait, l’album commence avec l’instrumental Hyperpower!, où le son d’une tentative de révolte avortée dans le sang, au son des cris et des armes. The Beginning of the End suit, fidèle à son titre. Évidemment, comme toute utopie classique, on retrouve une abondance de métaphores reliant ce futur à notre présent. On parle des bons soldats dociles (Good Soldier), d’un Dieu omniprésent qui est en fait le président lui-même (Vessel), qui signe son nom d’un G majuscule (Capital G). Le tout est organisé, parce qu’évidemment, on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs, et les autorités font tout cela pour le bien du peuple (Greater Good). Toute ressemblance avec des événements et personnes …
Tout cela est fort intéressant, surtout qu’il paraît que non seulement Reznor nous réserve une suite pour 2008, mais aussi une adaptation sur grand écran. Mais les albums concept, c’est une chose, mais il arrive trop souvent que musicalement, ils se révèlent être une bouillie sonore prétentieuse. Heureusement, c’est loin d’être la cas ici, même si Year Zero n’est pas exempt de critiques.
Year Zero est l’album le plus minimaliste de Reznor, et peut-être le moins aisé. Comme pour The Fragile (évident point de référence), on retrouve quelques morceaux plus taillés pour la radio (le décevant premier single Survivalism, par exemple), mais ces derniers cohabitent avec des distortions bruitistes intenses qui proviennent de guitares et de claviers fortement (mal)traités. Le caractère « industriel » (si ça existe encore) revient en force, après sa relative absence dans With Teeth, comme on peut l’entendre sur My Violent Heart ou The Great Destroyer. Enfin, les mélodies sont aussi bien présentes, comme en témoigne les excellents In This Twilight et Good Soldier, qui comptent parmi les meilleurs morceaux de NIN. Zero Sum et son piano hanté clôture l’album de manière pessimiste, sans donner trop d’espoir aux populations mondiales de 2022, ou plutôt de 0000.
Alors, qu’est-ce qui ne va pas? La longueur, d’abord. OK, c’est un concept, on a bien compris, mais 64 minutes d’assaut sonore, c’est beaucoup. Surtout que les parties plus calmes arrivent en fin d’album. Pour encore y revenir, The Fragile, bien que plus long, était plus digestible. Ensuite, la voix de Reznor. Il ne sera jamais un grand chanteur, et on pourrait parfaitement s’en foutre : il a clairement d’autres talents. Mais sa voix est souvent mise en évidence, et elle est assez étrangement claire la plupart du temps, tant qu’à mettre de la disto partout, pourquoi ne pas traiter la voix aussi? Peut-être un compromis commercial, mais en attendant, on pourrait se demander ce qu’un projet instrumental donnerait, voire des compos de Reznor chantés par d’autres (comme le projet Tapeworm, malheureusement officiellement mort). Enfin, la nature même de l’album et de Reznor font qu’on se gratte la tête à de nombreuses reprises, génie ou grand n’importe quoi. La ligne de séparation est ténue.
Qu’en penser? Comme d’habitude avec chaque sortie de Nine Inch Nails, l’album est fort personnel, et ne se rattache à rien de connu. Reznor est un artiste unique, et son oeuvre l’est aussi. Presque sans compromis, Year Zero est un nouveau coup d’oeil dans l’atelier d’un maître, génie incontesté mais incapable de faire le tri de ses propres créations. Nous devons donc le faire nous-même, mais la tâche est facilitée par la qualité générale de l’oeuvre. Les défauts doivent être pris avec, tout ou rien, comme depuis 1989. À l’année prochaine, pour de nouvelles pièces de puzzle.