Brian Burton, alias Danger Mouse, s’est fait connaître en 2004 avec le Grey Album, mashup non autorisé mixant le Black Album de Jay-Z avec l’éponyme des Beatles. Le résultat, étonnant, fut massivement téléchargé, et il n’en fallait pas plus pour que Danger Mouse se fasse engager par Damon Albarn pour produire Demon Days et The Good The Bad & The Queen, tout en participant à d’autres projets, comme le commercialement réussi Gnarls Barkley.
Cette fois, la collaboration est encore plus impressionnante : non seulement il engage Sparklehorse comme backing band et une myriade de noms respectés comme voix invitées, mais l’album s’accompagne de photos prises pour l’occasion par David Lynch, rien que ça. Mais, forcément, c’était trop beau : EMI a une fois de plus pété un plomb, et refuse de sortir l’album tant qu’une sombre affaire de contrat n’est pas résolu. Coutumier de ce genre de situation, DM ne s’est pas dégonflé, et là où devait se trouver le cd dans le livre de photos se trouve… un cd vierge. Le message est on ne peut plus clair, allez faire un tour sur mon Tumblr pour plus de détails. Et l’album?
Comme on pouvait s’en douter, c’est une drôle de bête. Chaque morceau a son identité propre généralement apportée par son vocaliste, mais Danger Mouse tord et trafique les sons, parfois jusqu’à l’excès, pouvant transformer la plus tranquille folk song en créature de Frankenstein bipolaire. Pourtant, l’album commence assez sagement, avec d’abord un Wayne Coyne (Flaming Lips) fort discret et Gruff Rhys (Super Furry Animals) en mode ballade psyché seventies, rien de très inhabituel, donc. Mais la production subtile et précise de Danger Mouse donne un caractère fort à chacun des morceaux : ainsi, l’orgue Hammond de Jaykub, chanté de manière inimitable par Jason Lytle lui confère une chaleur presque intemporelle.
Les morceaux correspondent plus aux vocalistes que le contraire : Julian Casablancas (qui devrait d’ailleurs recommencer à bosser avec son petit groupe sympa) est toujours aussi cool sans aucun effort, mais le final voit sa voix totalement manipulée par Danger Mouse. Même chose pour le morceau évidemment plus rock (grosses guitares et tout) de Black Francis, alors que cette vieille branche (ou plutôt vieux tronc) d’Iggy Pop nous sort un truc carrément punk. A chaque fois, le même schéma : un territoire assez prévisible, mais DM nous emmène à chaque fois hors des sentiers balisés. L’album compte quand même quelques moments moins fort, dont deux morceaux chantés un peu n’importe comment par un David Lynch qui ne peut pas être excellent dans tout. De même, malgré ses efforts, personne n’arrivera à rendre Suzanne Vega intéressante. Heureusement, le duo entre Mark Linkous (Sparklehorse) et Nina Persson est un autre moment fort avec un morceau simplement mélodique, alors que James Mercer (The Shins) donne totalement son sens au titre « Insane Lullaby ». On doit encore citer le deuxième morceau de Lytle, aux claviers de fête foraine fantômatique, et on se rend compte que chaque piste, ou presque, est passionnante.
Dark Night of the Soul est une expérience, et comme toutes les expériences, elle comprend sa dose de risques et d’éventuels échecs. Danger Mouse, le cerveau derrière tout cela, n’a pas choisi la voie de la facilité, et on l’en remercie. Vu que l’album est facilement disponible, on ne peut qu’honorer sa demande, et se le procurer le plus vite possible.