Quelle immense déception. J’ai écouté cet album dès que j’ai pu, et pourtant… Des milliards de personnes souffrent encore de la faim dans le monde, les Israéliens et Palestiniens ne s’aiment toujours pas beaucoup, l’armée US continue à s’entretuer et Creed existe toujours. Them Crooked Vultures a donc échoué dans sa quête de changer le monde pour toujours.
Non, mais sans rire, je sais que la critique est aisée, et que pas mal de gens ont la grande ambition de voir le reste du monde se planter, mais j’ai beaucoup de mal à comprendre les critiques négatives adressées à Them Crooked Vultures qui est un groupe composé de Josh Homme (Kyuss, Queens of the Stone Age), Dave Grohl (Nirvana, Foo Fighters) et John Paul Jones (Led Zeppelin). Vu les antécédents des trois membres (rejoints en concert par Alain Johannes), il était évident que les attentes seraient grandes. Mais il faut être un tantinet réaliste, it’s only rock ‘n roll and you should like it.
On a dit que la musique de Them Crooked Vultures ressemblait à Queens of the Stone Age. Vu qu’il est chanteur et guitariste, il est probable que Josh Homme soit le compositeur principal du groupe, et effectivement, pas mal de riffs peuvent faire penser à son « autre » groupe. Mais de toute façon, si c’est le cas, cet album comprend les meilleurs morceaux de Josh Homme depuis Songs for the Deaf, album-clé des années 2000 sur lequel apparaissait déjà un certain Dave Grohl.
Dave Grohl, on le sait, est un personnage qui peut rendre dubitatif. Son job principal en tant que leader des Foo Fighters n’aura jamais été vraiment satisfaisant, le succès du groupe étant inversement proportionnel à son intérêt. Par contre, dès qu’il se place derrière une batterie, on ne peut être qu’impressionné par sa rythmique et son expression : Dave Grohl (qui, après le Live in Reading de Nirvana et le Greatest Hits des Foo Fighters, sort trois albums en deux semaines) peut être un chanteur, un guitariste et un compositeur tout à fait décent, il est surtout un excellent batteur, et l’alchimie qui le lie à John Paul Jones est très impressionnante. Il suffisait de le voir lors des premiers concerts du groupe (j’ai assisté à leur troisième, au Pukkelpop) pour lire la joie sur son visage et le sourire d’une oreille à l’autre à l’idée de jouer avec son idole.
Et la musique, dans tout ça? Avec un tel pedigree, les trois vautours tordus auraient pu sortir un excellent album hard rock, fait de riffs perçants, de beats puissants et de basse ronflante. Ils l’ont fait, mais seulement en partie : l’album est clairement une récréation, 66 minutes pendant lesquelles les trois membres ont fait tout ce qu’ils voulaient. Alors que ce genre de trip égocentrique est généralement une très mauvaise idée, ici, ça marche quasi à chaque fois. No One Loves Me (And Neither Do I) commence l’album bizarrement et discrètement mais la voix étonnamment aiguë d’Homme laisse place à un riff tout droit sorti des doigts de Jimmy Page, évidemment. Ca fait très mal, et le duo Grohl-Jones ne font déjà plus qu’un.
Les premiers morceaux de l’album sont relativement classiques, emmenés par des riffs énormes, notamment celui (ou ceux) de Dead End Friends. Combien de musiciens vendraient leur carrière pour ce que Homme est capable de faire les yeux bandés, en dormant. Josh Homme est le personnage le plus important de cette décade de rock, avec Jack White. Mais au fur et à mesure que l’album (et les morceaux) avancent, le tout devient plus complexe. Personne ne fait d’égotrip en envoyant un interminable solo de basse/batterie, mais au contraire, l’expérience et le talent des musiciens permettent de faire évoluer les mélodies dans des recoins insoupçonnés. Elephants le montre parfaitement, avec plus d’idées en 7 minutes que dans la plupart des albums de la décennie presque écoulée.
C’est d’ailleurs dans ce foisonnement d’idées qu’on pourrait – pourrait – trouver des reproches à l’album. Parfois, on a l’impression d’écouter trois gars qui font plus ou moins ce qu’ils veulent, et des morceaux peuvent donner l’impression d’aller nulle part. Question de point de vue, tout dépend de ce que l’on recherche quand on l’écoute, ce n’est pas Weezer, non plus. Homme, par exemple, varie nettement plus sa voix que d’habitude, chantant parfois très haut (le phénoménal Scumbag Blues) ou tellement bas qu’on jurerait entendre Mark Lanegan (Bandoliers, qui l’est tout autant). De même, alors que Homme et Grohl se cantonnent à leurs instruments de prédilection, Jones utilise plus ou moins tout ce qui passe devant lui, mandoline, claviers (Scumbag Blues, encore), slide, voire une sorte de keytar étrange alliant slide et kaoss pad. L’élément de folie du groupe est un mec de 63 ans.
Le groupe se fait donc plaisir, et heureusement, nous fait plaisir aussi. Bandoliers, un des tout grands moments de l’album, commence par un riff tellement évident qu’on croit l’avoir déjà entendu mille fois, avant que Jones ne domine le morceau avec une instrumentation vaguement Europe de l’Est, et carrément bizarre. C’est seulement maintenant que Them Crooked Vultures devient carrément étrange. Reptiles et sa slide guitar, mais surtout Interlude With Ludes, qui semble n’avoir aucun autre but que de faire un peu n’importe quoi. Pour une raison indescriptible, ça marche. Enfin, le quatuor final mérite toute notre attention.
Warsaw or the First Breath After You Give Up est un mégalithe de huit minutes à la rythmique imparable, marqué par un crescendo fantastique de Grohl et Jones, accompagné par la guitare de Homme, montrant que, malgré l’étiquette évident de supergroupe, TCV est vraiment un groupe (qui pense d’ailleurs déjà au second album) qui fonctionne comme tel. Ses membres sont juste plus expérimentés et talentueux que la moyenne, et surtout, ils n’ont pas d’objectif commercial pour un album qui, de toute façon, se vendra bien grâce à leur réputation. Le coquin Caligulove (Caligulove!) emmène encore plus l’album du côté de la folie, avec un solo de synthé assez dingue de JPJ. Gunman ne fait qu’enfoncer le clou, étant un morceau carrément dance, avec la voix de Homme trempée de reverb, et Grohl qui se prend pour une boîte à rythme technoïde. enfin, Spinning In Daffodils conclut l’album de manière intense et époustouflante de maîtrise.
66 minutes, c’est long, pas toujours justifié, mais il serait vraiment mal venu de se plaindre, tant l’album est excellent de bout en bout. Non, ce n’est pas un album révolutionnaire. Mais tant mieux : le rock n’est déjà pas en excellent état, alors, si la révolution devait venir d’un groupe dont les membres ont 36, 43 et 63 ans, on serait vraiment dans la merde. Them Crooked Vultures est fun, et ne veut pas inventer le futur. Ils se contentent d’en faire partie.