Tout le monde se reforme. Ceux qui se tapaient sur la gueule hier sont de nouveau les meilleurs amis du monde, grâce à l’efficace médiation des dollars. Raison de plus pour encenser encore un peu plus ceux qui, envers et contre tout, refusent de gâcher leur légende. Exemple numéro un : The Smiths. Malgré les demandes incessantes et les chèques aux montants probablement indécents, ils n’ont toujours pas décidé de se reformer, même (surtout?) pour un seul concert de charité. Une telle intégrité est tellement rare qu’il fallait le souligner. Intégrité. Un mot intéressant pour définir Stephen Patrick Morrissey, dont Years of Refusal (et sa pochette typiquement invraisemblable) est le dixième album solo, et le troisième depuis son comeback marquant de 2004. Morrissey ne s’est jamais vendu, que ce soit pour la reformation des Smiths, donc, mais aussi à d’autres points de vue : il continue à faire ce qu’il veut, à sortir les albums dont il a envie un peu n’importe quand et pour n’importe qui (ce qui lui a valu quelques soucis avec son label) et – surtout – à tirer sur tout ce qui bouge dans ses paroles.
On se souvient de son engagement en faveur des droits des animaux (un album des Smiths s’appelle Meat Is Murder, et Morrissey refuse la traditionnelle présence de stands à burgers dans et autour des salles où il se produit) et, en général, de sa grande gueule. Morrissey, sur Years of Refusal, ne s’arrête pas une seconde, ridiculisant ses détracteurs tout en y ajoutant une sérieuse dose d’auto-ironie. Mais cette fois, il ne faut pas nécessairement se focaliser sur les paroles pour apprécier l’album, tant Morrissey a réussi à se renouveler, avec son album le plus rock depuis toujours, en fait.
Produit par feu Jerry Fill (Green Day et l’intégralité du punk californien), Years of Refusal est souvent musclé (Something Is Squeezing My Skull, Black Cloud, le carrément grunge All You Need Is Me), parfois limite indus (le rythme de Mama Lay Softly On The Riverbed) mais reste un album de Morrissey, avec ses syllabes bien séparées pour qu’on ne rate rien des bons mots du maître. Morceaux choisis : « I know by now you think I should have straightened myself out / Thank you good day » (Skull), « It’s not your birthday anymore / did you really think we meant / all those syrupy, sentimental things / that we said? » (It’s Not Your Birthday Anymore, violemment pompeux) ou diverses variations sur Morrissey lui-même (All You Need Is Me, I’m Ok By Myself, One Day Goodbye Will Be Farewell et surtout le poignant You Were Good In Your Time).
On l’aura compris, Morrissey ne fait – une fois de plus – pas dans la dentelle, et fournit le bâton avec lequel on adorerait le frapper. Mais que cela ne tienne, on pardonne facilement les quelques défauts de Years of Refusal (production un peu trop bourrine, recyclage de deux morceaux déjà présents sur le best of) parce qu’on aura toujours besoin de Morrissey, et que Years Of Refusal est un de ses meilleurs albums solo.