Dans cet article, je ne vais pas revenir sur l’album en tant que tel, mais sur la valeur ajoutée du coffret collector, qui vaut largement qu’on lui dévoue quelques lignes. D’abord, sa composition : l’album original, produit par le très zeitgeist Rick Parashar et remasterisé en 2009 et la nouvelle version, remixée par O’Brien en forment la pierre angulaire. La version que tout le monde connaît ne change pas, même si le son est fatalement plus puissant, triste conséquence de la loudness war. La version O’Brien, par contre, est stupéfiante. On retrouve des guitares dont on ignorait l’existence, le son est plus clair, plus proche de ce que le groupe fait en concert. C’est surtout les morceaux plus lents qui bénéficient le mieux du traitement de BOB : Oceans (sans l’infâme reverb), Garden, Release et évidemment Black sont intenses de pureté et totalement captivantes. Les emblématiques Alive, Even Flow et Jeremy changent moins (même si le final de ce dernier est étonnament modifié) mais c’est surtout Porch qui impressionne par sa force et la rage d’un jeune Eddie Vedder.
La question à 110€ (le prix minimum du box) est la suivante : est-ce pertinent de vouloir réécrire l’histoire? Est-ce une bonne idée de décontextualiser un album qui est, par définition, un produit de son époque? J’imagine que c’est pour ne pas devoir répondre à cette question que les deux versions de l’album sont comprises dans le coffret. Personnellement, je détestais écouter Ten, justement à cause de cette production. Je préfère la nouvelle version, même si on ne peut pas, pour des raisons historiques, la substituer à la première et seule version légitime. Mais ce n’est pas la seule nouveauté, car le « nouveau » Ten (appelé Ten Redux) ajoute six morceaux bonus.
2,000 Mile Blues est, comme son nom le laisse penser, une impro blues en studio, pendant que le guitariste Stone Gossard était chez le dentiste. Anecdotique, mais comprenant un très bon solo de Mike McCready. Evil Little Goat est plus une blague qu’autre chose, un morceau qui aurait sans doute gagné à etre caché quelque part. On retrouve aussi deux versions alternatives de State Of Love And Trust et Breath (de la BO de Singles). Les versions sont assez brutes et primitives, on ne doit donc pas s’attendre à des versions aussi abouties que celles qu’on connaît. Enfin,les deux morceaux restants sont les plus intéressants. Brother et Just A Girl sont deux morceaux mythiques du groupe, ayant été joués en concert au début de leur carrière, mais ne s’étant jamais retrouvé sur disque (sauf la version instru de Brother sur Lost Dogs). Des versions studio pouvaient être trouvées sur le web, mais c’est ici la première fois qu’ils sont disponibles officiellement. Just A Girl est mon préféré, d’ailleurs un de mes morceaux préférés de cette période, alors que Brother m’a étonné, car les paroles ne sont pas les mêmes que les versions connues. De toute façon, ces deux morceaux sont clairement un des points positifs principaux du coffret, mais représentent aussi la porte d’entrée à ce qui est peut-être sa principale critique.
Comme on peut le remarquer, le nom officiel du coffret est « Pearl Jam 1990-1992 ». Le groupe a aussi annoncé son intention de ressortir chaque album de son catalogue, pour en faire une sorte d’anthologie jusqu’en 2011 et son 20ème anniversaire. Bonne idée, mais le problème, c’est qu’une anthologie, par définition, est censée contenir les meilleurs morceaux. Pour que la boîte soit complète, il eut fallu inclure les faces B, qui sont certes connues, soit via les singles correspondants ou la compile Lost Dogs, mais qui sont absolument cruciaux pour cerner ce qu’était PJ entre 90 et 92. Yellow Ledbetter, pour ne prendre qu’un exemple, est un morceau qui finit traditionnellement les concerts du groupe, et est donc un de leurs morceaux-clés. Forcément, n’importe qui pourrait le graver, ce disque manquant, mais je ne peux m’empêcher de penser que l’occasion était bonne. Tout comme je ne peux m’empêcher de croire qu’il devait bien y avoir autre chose de plus intéressant que deux faux inédits, deux démos et deux morceaux boîteux comme « inédits ».
On peut ensuite continuer l’exploration de la boîte, avec les deux mêmes albums (sans les morceaux bonus, pour une question de place) en vinyl 180 grammes. Forcément, il faut avoir le matériel (une bête platine fait déjà la différence), mais quand c’est le cas, les versions cd deviennent superflues : comme c’est souvent le cas avec de bons vinyls, le son est nettement meilleur, sans volume assourdissant. Le marché étant bien plus réduit, pas de loudness war pour le vinyl, qui est donc préférable au cd.
Ce n’est pas fini, loin de là. Le coffret comprend aussi le DVD de la mythique session MTV Unplugged, qui montre un Eddie Vedder compètement habité et surtout la mode de l’époque, sacré Jeff Ament. Je n’ai jamais été un fan de leur Unplugged, parce qu’il est arrivé trop tôt dans leur carrière : ils n’avaient pas encore assez de morceaux qui pouvaient se prêter au concept, contrairement à Nirvana ou Alice in Chains dont l’Unplugged est phénoménal. Il reste toutefois intéressant de le regarder, même si le Rockin’ in a Free World final manque à l’appel, probablement pour des raisons légales.
Suit encore un double vinyl (mais avec un code permettant de télécharger les mp3 en 256 kb/s) d’un concert légendaire, « Drop In The Park », à Seattle. Une fois de plus, c’est encore Porch qui vole la vedette, avec une reinterprétation passionnée de Tearing, du Rollins Band. Malheureusement, deux morceaux manquent encore à l’appel (Sonic Reducer et Rockin’ In The Free World), de plus, le concert est tronqué par la suppression des interventions parlées du groupe, remplacées par de très vilains fade outs.
On terminera la partie audio/video du box avec une véritable curiosité cette fois véritablement inédite : la reproduction de la cassette comprenant les tous premiers enregistrements d’Eddie Vedder comme chanteur de Pearl Jam. Stone Gossard et Jeff Ament avaient envoyé trois instrumentaux à Vedder, qui a écrit ses paroles et ajouté sa voix sur ce qui allait devenir Alive, Once et Footsteps, trois morceaux connus sous le nom de Momma-Son – ou Mamasan – Trilogy (voir l’article original pour explication). Les trois morceaux sont intéressants, surtout quand on les compare aux versions définitives : Alive est nettement plus lent, Footsteps comprend l’harmonica virée de la version du single de Jeremy mais rajoutée sur Lost Dogs ; quant à Once, c’est la version la plus différente, avec des couplets carrément funk. Note amusante : Pearl Jam n’ayant pas encore de batteur à l’époque, c’est Matt Cameron, alors batteur de Soundgarden, qui joue sur les trois morceaux. Une dizaine d’années après, il allait rejoindre le groupe pour de bon.
On l’aura compris, ce coffret est rempli à ras bord de musique. Mais le côté graphique a aussi été soigné, car on y retrouve des cartes postales, des répliques de ticket de concert, de pass backstage entre autres, mais aussi et surtout un carnet de 80 pages rempli de photos et souvenirs en tout genre.
Malgré les quelques points négatifs relevés ci-dessus, Pearl Jam 1990-1992 est un objet assez extraordinaire, digne témoignage de son époque. Beaucoup de soin et d’efforts ont été fournis pour arriver à un résultat fantastique, qui peut expliquer son prix relativement élevé. Il reste maintenant à voir comment le groupe va suivre ce coffret, vu que la même chose est attendue pour les autres albums, à commencer par Vs. La barre est placée très haut.