J’ai appris la mort de Michael Jackson en direct, en suivant l’info via twitter. Mon impression, deux jours après, n’a pas changé : c’est simplement irréel. Mais d’un autre côté, il n’y avait pas d’autre issue : pour que la légende soit à jamais définitive, il devait mourir brutalement, dans des circonstances qui resteront toujours douteuses. Les hagiographies et critiques cyniques n’ont pas manqué, et ne manqueront pas dans les prochains jours (et je suis très satisfait de ne pas regarder la TV : je n’y ai pas vu une seule image couvrant l’événement). Je vais simplement m’attacher à exprimer mon avis sur l’artiste Michael Jackson, probablement la personnalité la plus connue de l’histoire du show-business.
J’ai vu Jackson en concert une fois, à Ostende, lors de sa méga(lo) tournée HiStory (septembre 97), durant laquelle il avait érigé d’immenses statues de lui un peu partout en Europe. Le show était évidemment impressionnant, mais le son pourravissime (on était quand même dans un hippodrome) et il était impossible qu’il chante en live en dansant comme ça, la performance était partiellement fake. Je n’en ai pas gardé un souvenir imperissable, de plus, je me dois de le signaler : la carrière musicale de MJ est quand même sérieusement inégale.
Sa jeunesse, Jackson 5 et tout, franchement, je m’en fous. Les gosses exploités par leurs parents (ce qui peut facilement expliquer beaucoup de choses dans le comportement futur de Wacko Jacko), je n’ai pas envie de les écouter, surtout quand ils ont une voix suraiguë. ABC, I Want You Back et consorts, ça m’énerve. Par la suite, les choses s’arrangeront, et Can You Feel It reste un morceau funk tout à fait décent, sans atteindre le niveau des génies du genre. Parallèlement à son succès familial, Michael, clairement la star de la famille, allait sortir quelques albums solo qui ne m’ont jamais intéressé (même quand Pearl Jam a repris une partie de Ben pour leur morceau Rats). Il faudra attendre 1979 et Off The Wall pour que la mégastar devienne surhumaine. Seulement, et on ne le savait pas encore, il n’arriverait plus, en trente ans, à atteindre ce niveau : Off The Wall sera son meilleur album, titre éventuellement disputé par le suivant, Thriller. Il faut dire qu’il est excellent, truffé de dancefloor fillers comme Don’t Stop Til You Get Enough, Rock With You ou Workin’ Day And Night, ou de la somptueuse ballade She’s Out Of My Life. Ce dernier morceau montre à quel point la voix de Jackson est exceptionnelle, même proche de la rupture.
À partir de là, la machine était lancée. Les 20 millions d’Off The Wall vendus ne seront pas grand chose comparés à la suite : Thriller (1982) et ses 109 millions (chiffre qui va certainement augmenter ces prochains jours) qui font de lui l’album le plus vendu de tout les temps. Il est d’ailleurs extrêmement probable qu’il le restera éternellement, vu que le concept même d’album est voué à disparaître. Thriller est un disque monstrueux, malgré sa pochette ridicule. Wanna Be Startin’ Somethin’ et son électro claustro ouvre l’album, qui enchaîne ce qui est sans doute la plus extraordinaire série de hits de l’histoire de la musique enregistrée : à un duo gentillet avec Paul McCartney suit en effet la triade fabuleuse Thriller / Beat It / Billie Jean. La caisse claire et basse de l’intro de ce dernier est indescriptible de perfection sonique. À partir de là, MJ ne pouvait que décliner, mais heureusement, cela se fera en douceur. Mais la chute sera progressive, et totalement irrémédiable.
Cinq ans après, l’attente était immense, les moyens aussi. Martin Scorsese réalise un film de 20 minutes illustrant le morceau-titre mais aussi le changement d’image de MJ : il devient Bad. L’album se vendra très bien, mais nettement moins que Thriller. La Jackomania est à son comble : neuf morceaux sur onze sortiront en single (dont quelques perles, I Just Can’t Stop Loving You ou encore l’implacable Smooth Criminal), cinq seront n°1 aux USA, un fait unique à ce jour. Il tournera deux films promo (Captain EO pour Disney, Moonwalker), mais les ennuis allaient commencer. On s’interroge sur sa vie apparemment étrange, on se moque de son caisson d’oxygène et de ses remontées testiculaires dansantes. Leave Me Alone, le dernier morceau de l’album, parle de lui-même. Mais personne ne le fera jamais.
Alors que Jackson est devenu un phénomène qu’on pensait immortel, Dangerous allait faire mal, très mal. Sony voulait mettre à jour le son 80s de Jackson, et enrôla le producteur de l’époque, Teddy Riley. 30 millions de copies partirent, mais MJ perdit son âme. L’album est gonflé de partout, 77 minutes d’excès et de mauvais goût, tant musical (metal/funk/pop/rap/choeur/ballades écoeurantes/Stéphanie de Monaco) et visuel (des clips invraisemblables). L’exploitation commerciale dura deux ans et neuf singles. Le vent commençait à tourner, et Sony trouva une solution inédite : le prochain album serait double, et comprendrait un best of.
HiStory : Past, Present and Future Volume 1 est au moins aussi prétentieux que son titre. Le premier disque comprend quinze succès extrait des quatre albums Sony précédents (la sélection laissant parfois à désirer) et est suivi d’un second de quinze nouveaux, emmenés par le très casse-oreilles Scream, duo avec sister Janet, illustré par le clip le plus cher de l’histoire. Le reste? Un mix de ballades mièvres (You Are Not Alone, Stranger In Moscow) ou affreuses (Earth Song, malgré la bonne intention) et de morceaux plus enlevés, notamment marqués par la présence de guests, comme… Shaquille O’Neal. MJ est toujours fâché, et s’attaque au méchant juge qui veut le foutre en tôle (D.S) et aux tout aussi méchants journalistes (Scream, Tabloid Junkie). Il reprend aussi très mal Come Together, quelques années après avoir acheté les droits de plusieurs centaines de morceaux des Beatles, au nez et à la barbe de leurs compositeurs et ayant droits (il semble que le testament de MJ leur rendrait, on le saura dans quelque temps). Histoire de faire encore pire, l’album sera suivi par une plaque de remix et d’inédits médiocres, alors que le dernier album studio sorti de son vivant, Invincible, ne vaut même pas la peine qu’on lui accorde une phrase complète.
Depuis lors, la vache à lait fait sortir des compiles diverses et variées, mais semble incapable de pouvoir se concentrer sur de la nouvelle musique. Il est vrai que sa vie privée ne le poussait pas spécialement à composer tranquillement en studio. Gageons que d’ici quelques mois, on retrouvera miraculeusement des maquettes, histoire de sortir quelques albums posthumes à la Tupac Shakur. Sa dernière actualité, c’était son come back fracassant sur la scène : il devait jouer 10 fois sur la (très grande) scène de l’O2 Arena de Londres. Des promoteurs naturellement avides ont vite fait de quintupler (!) ces concerts, il semblait alors évident que Jackson n’aurait jamais été physiquement capable de tenir le coup.
On ne le saura jamais, comme on ne saura jamais si l’artiste Michael Jackson allait être capable, comme un de ses modèles, de provoquer sa résurrection. Ce qu’on sait, par contre, c’est l’importance immense de l’artiste pour son art, et pour la société en général. On ne citera que deux exemples : c’est son extraordinaire talent qui empêcha les médias US de ne pas diffuser ses chansons, ouvrant ainsi la porte aux artistes Afro-Américains, de même, il aura créé quelques ponts entre des genres musicaux jusque là séparés (dès le solo d’Eddie Van Halen dans Beat It).
Sa chute fut terrible, et sa grande période créatrice assez courte. Mais quand Michael Jackson était bon, il était extraordinaire.