Nous vivons, ici, maintenant, une période cruciale dans l’évolution du rock. Une fois de plus, on annonce sa mort. Et une fois de plus, une kyrielle de magazines et webzines vont sauter sur l’occasion pour prouver le contraire, comme en 1991 (avant Smells Lile Teen Spirit) ou en 2001 (avant Is This It). Récupération commerciale, certes, mais qui a un gros avantage : faire sortir de l’ombre des groupes qui font une musique « à guitares » pouvant maintenant faire la couverture du NME (et la frontpage de Pitchfork). J’en ai d’ailleurs fait, presque par hasard, un thème récurrent sur le Tumblr de Music Box. Bien qu’il soit toujours très délicat de prédire le succès d’un groupe (quand j’ai vu Matthew Bellamy, avec 200 personnes, se cacher derrière le micro de l’Orangerie du Botanique bruxellois, je n’imaginais pas ce qui allait se passer quelques années plus tard), si je devais miser un euro sur un gros succès futur, ce serait sur The Joy Formidable. Bien que leur premier album, The Big Roar, soit bien meilleur que Showbiz ou Parachutes.
Même si leur son est énorme, TJF ne compte que trois membres, un power trio tout ce qui a de plus classique, emmené par la chanteuse/guitariste Ritzy Bryan. Comment arrivent-ils à sonner comme si My Bloody Valentine écrivait pour Nirvana (ou le contraire) reste un mystère, mais on n’a pas spécialement envie de l’élucider. Pour un premier album, The Big Roar est étonnant. Autant à l’aise dans les morceaux longs et sinueux (l’initial The Everchanging Spectrum of a Lie) que dans le post-grunge furieux de The Magnifying Glass, TJF écrit aussi des mélodies somptueuses, des refrains entêtants et des passages instrumentaux totalement maîtrisés, notamment grâce à une section rythmique qui permet à la voix de Bryan de respirer. Oh, et le batteur sonne comme Dave Grohl. La voix, donc. La voix de Ritzy Bryan, parfois angélique (hello, Kim Deal et Tanya Donnelly), parfois inquiétante, lorsqu’elle détache chaque syllabe (A Heavy Abacus), mais toujours accrocheuse, sans jamais être irritante (ce ne sera donc pas les nouveaux Muse).
On a donc beaucoup comparé le groupe à Nirvana, ce qui n’est pas trop faux, mais pas non plus très représentatif. Par contre, ils semblent hériter de My Bloody Valentine le sens inné du bruit comme atout artistique. Sans jamais arriver dans dans l’excès, ils aiment envelopper leurs mélodies de murs de guitares puissantes, envoûtantes et ensorcelantes, comme on peut l’entendre dans le coda de Whirring, final de concert rêvé, sans être la section holocauste de Shields et Butler. Chaque morceau pourrait être un hit, du gimmick immédiat de Austere à l’Arcade Fire I Don’t Want to See You Like This, en passant par le refrain invraisemblable de A Heady Abacus : vous vous imaginez, dans une plaine de festival, à scander le mot « abacus », vous? On le fera, pourtant.
La première moitié de l’album est une superposition de hits comme on a rarement entendu dans un premier album. Definitely Maybe, Is This It, Whatever People Say I Am That’s What I’m Not? Ouaip, The Big Roar est de ce genre-là, en plus fort, plus ambitieux, plus original, plus varié. Whirring conclut la face A, une pop song parfaite engluée dans un mur de son délicieusement noisy, avant de se transformer en monstre prodigieux de puissance sonore, allant même jusqu’à incorporer des beats death metal. Vraiment, vraiment impressionnant.
La seconde moitié fait un peu retomber la pression, et accorde un peu plus de place à l’expérimentation, comme l’intro très The XX de Buoy, qui laisse toutefois place à une guitare fuzz plus familière, alors la voix de Bryan se retrouve assez peu mise en avant dans le mix. Plus discrète que la face A, cette partie du disque n’est pas inférieure pour autant : Chapter 2 est leur morceau le plus… Nirvanesque, allez, alors que Llaw=Wall offre au bassiste Rhydian Dafydd (oui, ils sont gallois, mais si j’en avais parlé, j’aurais été obligé de dire qu’ils étaient les nouveaux Manics) l’occasion de pousser la vocalise tout à fait décemment. Mais ils ne savent sans doute pas (et tant mieux) s’empêcher d’écrire des tubes en puissance : Cradle (ce que Bryan fait vocalement sur ce morceau prouve qu’elle est une mégastar en puissance) et le final The Greatest Light is the Greatest Shade sont facilement l’égal de n’importe quel morceau trouvé plus tôt sur l’album.
Il faut vraiment chercher loin pour trouver des faiblesses à un album forcément imparfait, mais tellement enthousiaste et novateur, intéressant et simplement excellent qu’il serait idiot de s’y attarder. On ne sait pas si The Joy Formidable connaîtra effectivement la carrière de groupe de stade que d’aucuns promettent. On ne sait pas non plus s’ils vont sauver le rock ‘n roll. On sait juste que le rock ‘n roll n’a pas besoin d’être sauvé, et que The Joy Formidable a sorti un des meilleurs albums de 2011, sans le moindre doute.
Spotify : The Joy Formidable – The Big Roar
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