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Playlist Spotify – Music Box 2010, deuxième partie

En attendant (oui, toujours) la suite des chroniques, voici une nouvelle playlist Spotify reprenant un extrait par album chroniqué cette année, à partir du moment où la précédente playlist se terminait. J’y ai également ajouté quelques morceaux sympas d’albums que je ne chroniquerai pas, pour différentes raisons.

En vrac : Queens of the Stone Age, Soundgarden, Weezer, Cypress Hill & Daron Malakian, Best Coast, Korn, Die Antwoord, The Walkmen, et huit autres, seize morceaux, une heure.

Music Box 2010, deuxième partie, sur Spotify.

Soundgarden – Telephantasm

L’information a peu circulé, mais elle est pourtant authentique. Quand Chris Cornell a tweeté, le 1er janvier 2010, que « The Knights of the Sound Table ride again », la réunion de Soundgarden n’avait pas dépassé le stade embryonnaire. La déclaration était très prématurée, le groupe s’était juste réuni pour discuter sortie d’un album de raretés, voire d’un coffret. Cornell, dont la carrière était devenue la risée de tous, aura pourtant atteint son but : tout le monde a pris la déclaration comme officielle (Cornell s’est défendu en assurant qu’il parlait juste du fan club de Soundgarden), et petit à petit, le groupe s’est laissé convaincre par l’intérêt d’une reformation.

Soundgarden n’est jamais que, grosso modo, le 137e groupe des nineties à se reformer. Mais presque un an après l’autoscoop de Cornell, la situation de Soundgarden est bien différente de, disons, Stone Temple Pilots ou Faith No More. Trois concerts et rien de concret de prévu, ni sur scène, ni sur disque. La faute au batteur Matt Cameron, qui a rejoint Pearl Jam en 1999 et a prévenu dès le départ qu’il jouerait avec Soundgarden entre les tournées et sessions de Pearl Jam, ce qui laissait donc une douzaine de jours par an. A moins que Pearl Jam entame une longue pause dans leur carrière (ce qui n’est jamais arrivé en vingt ans), il est donc probable que Soundgarden ne se relance pas vraiment. Telephantasm, leur première compilation représentative, est censée nous dire si on doit le regretter. Contrairement à A-Sides (1997), disque hâtivement compilé suite à leur séparation, Telephantasm tend à être un aperçu complet de la carrière d’un des quatre titans de Seattle. Exactement comme A-Sides, Telephantasm n’y arrive que par moments, laissant au final un sentiment de gâchis et de travail mal fait.

Pourtant, ça commence bien, avec carrément un morceau d’histoire : All Your Lies est extrait de ce qui est une de deux compilations fondatrices du grunge (il fallait bien que je sorte « le » mot), Deep Six, sortie en 1986. Le premier morceau de bravoure est Beyond the Wheel : Kim Thayil réinvente Black Sabbath, alors que Chris Cornell sort une performance vocale absolument époustouflante. Beyond the Wheel, comme la majorité des deux premiers albums du groupe (Ultramega OK et Louder Than Love) est résolument anti-commercial, lourd, puissant et terriblement impressionnant. C’est simple : personne n’a jamais chanté comme ça. Malheureusement, Telephantasm n’inclut que quelques morceaux de cette époque, dont le parodique Big Dumb Sex et une version live assez pourrie de Get on the Snake. Ce sont là les deux défauts de la compile, on en parlera.

Badmotorfinger sort en 1991, et là, évidemment, on rigole moins. 1991, c’est en même temps le début du grunge, et sa mort. En quelques mois, outre Badmotorfinger, sort Ten (Pearl Jam) et Nevermind (Nirvana), le grunge passe à la tv, Vedder se suspend aux échafaudages, Cobain devient le symbole d’une génération, Staley attend son heure et Weiland affute sa VHS. Pour Soundgarden, c’était le début de la seconde étape, celle de l’accessibilité. Les deux premiers albums étaient bien trop tordus pour pouvoir se vendre, et Badmotorfinger, probablement leur chef d’oeuvre, allait commencer à changer ça. Room A Thousand Years Wide montre le ton, un son moins brutal, plus mélogique, plus « écrit ». La voix de Cornell devient plus enragée, mais le groupe ne quitte pas la bizarrerie pour autant, avec un coda de trompette et saxo, qui fait que, comme souvent, le morceau se traîne en longueur.

Rusty Cage sera le premier hit du groupe, et a même connu les honneurs d’une reprise par Johnny Cash. Thayil n’en avait évidemment pas besoin, lui qui maîtrisait, à ce moment, la science du riff et du son parfait, aussi exprimé dans le sec Outshined et le flamboyant Slaves and Bulldozers. C’est lourd, mais totalement écoutable. C’est aussi fantastique. Malheureusement, Jesus Christ Pose est présent en version live, à son détriment. Pour différentes raisons, Soundgarden n’a jamais sonné aussi bien live qu’en studio, à l’exception possible de Matt Cameron. L’époque Badmotorfinger se termine avec le quasi hardcore Birth Ritual, présent sur la légendaire BO de Singles, et l' »inédit » passable Black Rain, qui clôture le second disque.

On peut donc passer à l’explosion commerciale. MTV, à l’époque, était le media de base pour vendre du disque, il fallait donc faire de beaux clips. Voici donc Black Hole Sun, qu’on ne présente plus. En plein dans la période obsessionnelle Beatles de Cornell, BHS est un morceau passable mais qui décroche la lune à ses auteurs, et leur plus gros hit, leur « belle » chanson. Les autres extraits de Superunknown sont moins soft, mais aussi moins aventureux que ce qui précède, tout en restant tout à fait appréciables, surtout My Wave et Spoonman. On peut quand même se demander pourquoi Let Me Drown a été omis de la compile, mais il faut toujours faire des choix. Comme celui d’avoir pris l’inférieure version vidéo de Fell On Black Days.

Et puis, la merde a atteint le ventilateur. On pouvait déjà le pressentir : le talent de Soundgarden, ce qui les rendait unique (en gros, un guitariste qui faisait passer Tony Iommi pour un jazzman et un chanteur qui pouvait surpavarotter Pavarotti), se diluait petit à petit. Et alors que leurs contemporains connaissaient des fortunes diverses, Soundgarden s’est mis dans le soft rock chiant, avec un chanteur plus proche de Céline Dion que de Robert Plant. Down on the Upside est un chant du cygne indigne de la légende du groupe, et Telephantasm aggrave encore le cas, en choisissant des versions live boîteuses, dont un Pretty Noose carrément horrible. La séparation du groupe était aussi logique qu’inévitable.

Telephantasm donne une impression mitigée, limite désagréable. Oh, les morceaux sont bons (surtout le premier disque), mais les deux gros défauts de la compile (surreprésentation de la seconde période, présence de versions live foireuses) pourraient faire croire que Soundgarden était le groupe surestimé du Big Four de Seattle. Pendant ce temps, Alice in Chains nous a fait le coup du phénix, Pearl Jam vieillit avec grâce et Nevermind n’a pas pris une ride.

Spotify : Telephantasm

Weezer – Hurley

Un album par an, c’est la moyenne actuelle de Weezer. Et encore, c’est sans compter les compiles de démos du leader Rivers Cuomo (deux, avec une troisième à venir), les ressorties deluxe d’anciens albums (le bleu est déjà sorti, Pinkerton arrive début novembre) et même une collection d’inédits (Death To False Metal, le même jour). Tout cela sans doute pour faire oublier un fait : Weezer n’est plus que l’ombre de lui-même, et ce depuis déjà bien longtemps. Oh, à chaque fois, on fait semblant d’y croire. Hash Pipe n’était « pas si mal », Island In The Sun « quand même catchy ». Beverly Hills, c’était juste un incident de parcours, et le rouge avait un ou deux trucs chouettes. Mais non. On se leurre, trompé et retrompé par l’espoir, vain, que le groupe retrouve un jour son niveau d’antan. On peut même rester réaliste : on se contenterait aisément d’album corrects, sans génie (comme le vert et Maladroit), mais Weezer a été bien trop loin, atteignant un embarrassant paroxysme avec Raditude, un album tellement mauvais que l’apparition de Lil Wayne en était un highlight. En bon masochiste, Cuomo n’a pas manqué de nous fournir un autre bâton : alors qu’il racontait en interview que le titre de l’album est inspiré par le sympathique personnage de Lost joué par Jorge Garcia, le guitariste Brian Bell a maladroitement avoué qu’il s’agissait en fait d’une référence au sponsor (!) de l’album, une marque de vêtements de skate. Tout était en place pour une démolition en règle de Hurley. Tout? Non, j’oubliais : Cuomo, qui a composé en solo les premiers albums, s’est cette fois adjoint les services de compositeurs extérieurs, on y reviendra. Bref, ça va chier, quoi.

Finalement, on est presque soulagé, un peu surpris : Hurley, grande nouvelle, roulement de tambours, est moins mauvais que Raditude! Comme quoi, signer avec Epitaph (gros lol quand même) aura peut-être servi à quelque chose, comme par exemple, ressortir les geeeetarz. Attention, pas des guitares à la prod lo-fi, non, on a mis plein de gloss dessus pour que le tout saute aux oreilles comme un album de Metallica mal masterisé (oui, je sais). Memories, premier morceau et single envoie du très lourd dans un refrain tout aussi lourd de sous-entendus pas sous du tout, en fait : « memories make me want to go back there, back there ». Nous aussi, Rivers, nous aussi. C’est donc bourrin, lourd (oui, encore, mais c’est pour bien enfoncer le clou), pas mélodique pour un sou, et comprend des paroles, euh… disons que Cuomo parle d’une époque « when Audioslave was still Rage ». Ce qui est déjà très laid, mais en plus, est-ce que quelqu’un se souvient encore d’Audioslave? Non? Tant mieux.

Memories est assez représentatif de l’album : survitaminé, pas malin du tout, mais quand même assez catchy. Parce que s’il ne fallait retenir qu’une seule chose de la carrière post-Pinkerton de Cuomo, c’est bien ça : 80% des trucs qu’il écrit, aussi douteux soient-ils, restent quand même sérieusement accrocheurs. Hey, j’ai même cru à un moment que (If You’re Wondering If I Want You To) I Want You To était décent, c’est dire. Trainwrecks suit le même schéma : progression d’accords de fête foraine, paroles d’ado en détresse parce qu’il ne se retrouve pas dans le nouveau Linkin Park (« we don’t update our blogs, we are traaaaaaaaaaaaiiiinwrecks ») avec en extrabonus un crédit de composition de Monsieur Desmond Childs, alias le mec qui a écrit plein de morceaux pour Bon Jovi, mais qui n’arrivait pas à conserver une permanente décente. En parlant de crédits de compositions, on retrouve ailleurs Dan Wilson de Semisonic (remember Semisonic? Closing Time? Pas grave.), Ryan Adams en mode non-metal, Tony Kanal de No Doubt (le forcément lourdaud Smart Girls) ou l’évidente et navrante Linda Perry. Tout cela ne vaut franchement pas grand chose, tout comme Where’s My Sex : 3 minutes 28 d’un Rivers Cuomo qui trouve absolument hilarant que « socks » et « sex » se ressemblent presque. Qu’est-ce qu’on se marre.

On sortira quand même du lot Unspoken, un des rares morceaux écrits en solo par Cuomo, dont l’intro acoustique touchante fait regretter la tournure bourrine qui n’aurait pas du être imposée au morceau, ainsi que Hang On, toujours aussi bêtement vulgaire, mais vraiment, vraiment entraînant. Mais bizarrement, c’est le dernier morceau de l’album qui en est le plus intéressant. Co-écrit par le chanteur country Mac Davis, Time Flies reprend la formule classique des morceaux de Weezer, mais en version folk/country/lofi rappelant Led Zeppelin mis à jour par Jack White. Malheureusement, Time Flies n’est qu’un rappel cruel de ce dont Cuomo est capable, et on ne sait toujours pas pourquoi il semble – consciemment! – gâcher son talent. Malgré tout, on reviendra donc dans deux semaines (trois albums en un mois, ce mec est vraiment cinglé), pour la version deluxe de ce qui est sans doute son chef d’oeuvre, Pinkerton, et  l’album de chutes de studio provenant de toute la carrière du groupe : l’espoir de trouver quelques perles est donc là, espérons qu’il ne sera pas, une nouvelle fois, déçu. En ce qui concerne Hurley, c’est donc juste un album de Weezer de plus : pas le pire, certes, mais bien loin de ce qu’on pouvait espérer. En vain.

Spotify : Weezer – Hurley (version spéciale avec reprise de Coldplay, rien ne nous est épargné)

Single : Miles Kane – Inhaler

En vitesse, en attendant la suite (Weezer, Linkin Park, Kings of Leon, plein d’autres choses encore, mais si), voici le premier single solo de Miles Kane.

Miles Kane, c’était le chanteur des Rascals mais aussi (et surtout) le Last Shadow Puppet qui n’est pas Alex Turner.

Inhaler sort le 22 novembre, avec la reprise de Rainbow Woman de Lee Hazelwood en face B, et c’est très bien, voilà.

Miles Kane – Inhaler by Miles Kane

Arcade Fire – The Suburbs

Quel phénomène, Arcade Fire. Un jour, ils seront peut-être dans la liste des plus grands artistes indie de tous les temps. Cette année, ils ont fait la quasi tête d’affiche de très gros festivals en Europe alors que l’album n’était même pas encore sorti, et quand il l’a été, il s’est directement retrouvé n°1 des ventes US. On pourra arguer sans cesse sur les raisons de ce succès, notamment sur le fait que le téléchargement de The Suburbs était très bon marché, cela ne change pas le fait : Arcade Fire, c’est du costaud. Comme souvent, le hype précède l’album, et il est difficile de garder un esprit ouvert après avoir lu quelques critiques dithyrambiques et souvent stupides, du genre « meilleur qu’OK Computer » (Mike Diver, BBC). On peut toujours essayer.

Seize pistes, soixante-quatre minutes pour un album qu’on peut vraiment qualifier de conceptuel : les Canadiens ne font pas dans la dentelle. Et commencent l’album indé le plus attendu de l’année par deux morceaux qui les placent exactement là où on pensait qu’ils seraient. Excellent refrain, montées en puissance, voix inimitable de Win Butler : The Suburbs et Ready to Start comptent directement parmi les plus grands morceaux du groupe, et on se met à espérer : et si le groupe pouvait retrouver le niveau inouï atteint sur les meilleurs moments de Funeral?

The Suburbs est effectivement un album concept, explicité dès le titre. Mais un album concept fin et intelligent, ce n’est pas American Idiot, non plus. C’est un voyage dans les faubourgs, mais aussi dans le passé. Un passé vu de manière mélancolique, à travers des yeux d’enfants : Ready to Start comprend le vers « all the kids have always known », qui renvoie directement au premier EP du groupe, Us Kids Know. Modern Man parle de gosses qui vont au centre-ville (hors des Suburbs, donc) et qui observent, un peu plus tard, les gens « modernes » (Rococo). Suburban War porte le concept à son paroxysme, exhortant une guerre contre les faubourgs, parce que, de toute façon, « the past won’t last ». Et puis, dans le passé (idéalisé), pas de crise financière, pas de businessmen qui boivent notre sang (Ready to Start). C’était donc mieux avant.

Tout cela est délivré avec la puissance d’un groupe à dix têtes (ou plus) comme peut parfois l’être Arcade Fire. Percussions et guitares multiples, les arrangements de cordes d’Owen Pallett et les voix de Butler et de Régine Chassagne, généralement assez discrète mais qui prend le surprenant Sprawl II (alias Arcade Fire goes Blondie) à son compte. Comme concept, cela marche du tonnerre, et certains morceaux sont effectivement grandioses sans être grandiloquents. Butler raconte des histoires, ce qui est assez rare, de nos jours. Mais comme on pouvait le craindre, l’album est trop long, et donc inégal. Pour un superbe We Used to Wait à la vidéo extraordinairement innovante, on a un morceau qui parle de simulateur de jeu d’échecs (Deep Blue), pour un très Springsteenesque City with No Children une face B de Queens of the Stone Age dont on se demande vraiment ce qu’elle y fait (Month of May). Qui aime bien châtie bien (c’est vraiment très, très con, comme proverbe, mais soit), mais il fallait quand même garder un minimum de raison et de bon sens, sinon l’album finira comme Be Here Now (Oasis, 1997 : critiques fabuleuses à sa sortie, nettement moins quelques mois après).

The Suburbs est très ambitieux, et n’arrive que partiellement à ses fins, surtout à cause d’une relative lourdeur d’exécution. Mais quand Arcade Fire décolle, ils volent plus haut que quiconque. Même si Funeral ne sera sans doute jamais égalé, ils restent un des groupes les plus passionnants du paysage musical contemporain, et occupent une place étonnante : celle de groupe indépendant de stade.

Spotify : malheureusement, Arcade Fire n’a pas licencié ses morceaux pour l’écoute sur Spotify.