Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Dinosaur Jr. – Farm

Quand j’ai correctement écouté pour la première fois le nouvel album de Dinosaur Jr. (en vinyl!), j’ai commencé par une petite angoisse : et si c’était mauvais? Et si Beyond n’était qu’une exception? Parce qu’il faut bien le souligner : les groupes qui se reforment, quand ils arrivent à pondre un nouvel album (Pixies, je vous regarde), ce n’est généralement pas terrible. Par contre, Beyond (2007), premier album du lineup classique de Dinosaur Jr. depuis 1988 arrivait sans problème au sommet de leur discographie, avec Bug et You’re Living All Over Me, effaçant ainsi 20 ans d’égarements de J Mascis.

Version courte : pas besoin de s’inquièter, Farm est fantastique. Vraiment fantastique. Il est, de plus, assez différent de Beyond tout en restant totalement inimitable. Inimitable, parce que tout est là, une fois de plus : la batterie puissante de Murph, la basse rageuse de Lou Barlow, et forcément le duo indifférenciable guitare/voix de J Mascis. L’album est classique d’un bout à l’autre, dès le remier morceau, Pieces. Tout y est, et on n’arrive pas à faire mieux que ça. Farm est parfois puissant et lourd, souvent calme, mais toujours très inspiré.

Farm, encore plus que d’habitude, est un album de guitare. Celle de J Mascis, un des meilleurs guitaristes de tous les temps, simplement. Pas seulement un des plus doués techniquement, mais surtout, surtout, il l’est grâce à la manière dont il arrive à s’exprimer à travers elle. Au risque de paraître cliché, c’est l’âme et le coeur de l’artiste qui transpirent de chaque accord, de chaque note, de chaque solo. Peu de monde, dans l’histoire du rock, y est parvenu à ce point. Les solos de J Mascis (et il y en a partout, parfois avec sa voix dessus, parfois dépassant les quatre minutes) sont autant de poèmes récités par un homme qui n’a jamais apprécié sa voix. Mais il a tort : aussi techniquement limitée puisse-t-elle être, sa voix est un parfait complément au romantisme extrême de ses compositions, ajoutant une note aigre-douce parfois déchirante.

Il suffit d’écouter Ocean In The Way : arrivé au refrain, il n’a rien d’autre à dire qu’un « mamamamamama » qui est juste parfait, au bon endroit, au bon moment. Et tant qu’à faire, il le fait suivre d’un double solo de guitare simultané fabuleux. Farm, parfois, semble surnaturel. J’ai du mal à comprendre comment il est possible d’écrire des morceaux aussi beaux, simplement beaux, que Plans, ou See You. Mais il semble que Mascis peut le faire, car Farm est un album moins agressif, moins rentre-dedans : There’s No Here commence assez fort, mais se calme après, tout comme un Said The People entraîné par un Murph au sommet de sa forme. Over It est l’ovni de l’album, single au gimmick assez marrant, mais il a l’avantage de détendre un peu une atmosphère éthérée, lyrique. Lou Barlow a écrit deux morceaux, dont l’excellent Your Weather et Imagination Blind, bizarrement claqué en toute fin d’album. Le meilleur restant pour la fin, avec I Don’t Wanna Go There. Neuf minutes, dont quatre de solo, et pas une seconde ne semble superflue. Dommage qu’il ne clôture donc pas l’album.

Je pourrais parler de chaque morceau en termes extrêmement élogieux, mais une fois de plus, la musique doit parler d’elle-même. Farm étant un des meilleurs albums du vingt-et-unième siècle, il serait criminel de passer à côté. Et le son sortant de J Mascis est un de mes sons préférés sur terre.

Danger Mouse & Sparklehorse – Dark Night Of The Soul

Brian Burton, alias Danger Mouse, s’est fait connaître en 2004 avec le Grey Album, mashup non autorisé mixant le Black Album de Jay-Z avec l’éponyme des Beatles. Le résultat, étonnant, fut massivement téléchargé, et il n’en fallait pas plus pour que Danger Mouse se fasse engager par Damon Albarn pour produire Demon Days et The Good The Bad & The Queen, tout en participant à d’autres projets, comme le commercialement réussi Gnarls Barkley.

Cette fois, la collaboration est encore plus impressionnante : non seulement il engage Sparklehorse comme backing band et une myriade de noms respectés comme voix invitées, mais l’album s’accompagne de photos prises pour l’occasion par David Lynch, rien que ça. Mais, forcément, c’était trop beau : EMI a une fois de plus pété un plomb, et refuse de sortir l’album tant qu’une sombre affaire de contrat n’est pas résolu. Coutumier de ce genre de situation, DM ne s’est pas dégonflé, et là où devait se trouver le cd dans le livre de photos se trouve… un cd vierge. Le message est on ne peut plus clair, allez faire un tour sur mon Tumblr pour plus de détails. Et l’album?

Comme on pouvait s’en douter, c’est une drôle de bête. Chaque morceau a son identité propre généralement apportée par son vocaliste, mais Danger Mouse tord et trafique les sons, parfois jusqu’à l’excès, pouvant transformer la plus tranquille folk song en créature de Frankenstein bipolaire. Pourtant, l’album commence assez sagement, avec d’abord un Wayne Coyne (Flaming Lips) fort discret et Gruff Rhys (Super Furry Animals) en mode ballade psyché seventies, rien de très inhabituel, donc. Mais la production subtile et précise de Danger Mouse donne un caractère fort à chacun des morceaux : ainsi, l’orgue Hammond de Jaykub, chanté de manière inimitable par Jason Lytle lui confère une chaleur presque intemporelle.

Les morceaux correspondent plus aux vocalistes que le contraire : Julian Casablancas (qui devrait d’ailleurs recommencer à bosser avec son petit groupe sympa) est toujours aussi cool sans aucun effort, mais le final voit sa voix totalement manipulée par Danger Mouse. Même chose pour le morceau évidemment plus rock (grosses guitares et tout) de Black Francis, alors que cette vieille branche (ou plutôt vieux tronc) d’Iggy Pop nous sort un truc carrément punk. A chaque fois, le même schéma : un territoire assez prévisible, mais DM nous emmène à chaque fois hors des sentiers balisés. L’album compte quand même quelques moments moins fort, dont deux morceaux chantés un peu n’importe comment par un David Lynch qui ne peut pas être excellent dans tout. De même, malgré ses efforts, personne n’arrivera à rendre Suzanne Vega intéressante. Heureusement, le duo entre Mark Linkous (Sparklehorse) et Nina Persson est un autre moment fort avec un morceau simplement mélodique, alors que James Mercer (The Shins) donne totalement son sens au titre « Insane Lullaby ». On doit encore citer le deuxième morceau de Lytle, aux claviers de fête foraine fantômatique, et on se rend compte que chaque piste, ou presque, est passionnante.

Dark Night of the Soul est une expérience, et comme toutes les expériences, elle comprend sa dose de risques et d’éventuels échecs. Danger Mouse, le cerveau derrière tout cela, n’a pas choisi la voie de la facilité, et on l’en remercie. Vu que l’album est facilement disponible, on ne peut qu’honorer sa demande, et se le procurer le plus vite possible.

Incubus – Monuments And Melodies

Je n’aime pas les best of pour plein de raisons, notamment parce que je préfère écouter les albums entièrement, ou du moins en contexte. Ils peuvent quand même être appréciables, comme la récente compile de Blur le prouve. Ici, not so much. On le sait, Incubus a progressivement changé de style, délaissant leur funk/rap/light metal de leurs débuts vers une consensualisation tout de même parfois appréciable. Ce phénomène, connu sous de non de redhotchilipepperisation est assez fréquent, et ne dure généralement pas longtemps, le groupe finissant par imploser ou, plus souvent, tomber dans l’oubli le plus total. Avant donc qu’on les oublie, Incubus sort un double best of totalement à côté de la plaque.

Ok, Incubus méprise leurs deux premiers albums, mais S.C.I.E.N.C.E. est assez souvent considéré comme étant leur meilleur : ne pas inclure un seul morceau est une stupidité sans nom. Et les albums suivants souffrent aussi : pas de Just a Phase, ni de Circles, ni de Sick Sad Little World, par exemple. Par contre, on doit se taper les jérémiades pseudo-sentimentales de Brandon Boyd, qui devient de plus en plus insupportable avec l’âge. « Love hurts, and sometimes it’s the good hurt. » Ouais, c’est ça. Heureusement (?) les « hits » ne sont qu’une partie de ce que la compilation offre, voyons voir si elle apporte quand même quelque chose de plus.

D’abord, le premier cd est encadré par deux inédits en fait assez décents, et un peu moins safe que d’habitude. Ensuite, le second cd est composé de faces B et d’inédits de qualité inégale, mais Look Alive, Pantomime, While All The Vultures Feed auraient pu se retrouver sur le premier disque. Là aussi, on se demande où se trouve Make a Move, Follow ou encore Crowded Elevator. Le cd se clôture par une version sympathique de Let’s Go Crazy (Prince), même si on ne voit pas trop l’intérêt de réécouter la compilation. Et c’est là qu’Incubus (enfin, Sony) était censé avoir une idée de génie : l’achat de la compilation donne droit à un code, qui permet de débloquer « The Vault », soit plus de 500 mp3/vidéos. Sympa? Oui, en principe. Sauf que dans les 500 morceaux en question, on retrouve déjà tous les albums/singles/vidéos officielles, réduisant les vraies raretés à peau de chagrin. Mais finalement, quand on voit la qualité moyenne du catalogue d’un groupe assez insignifiant, on n’a pas vraiment de raison de vouloir entendre des raretés. Mais j’aime bien la pochette.

Future Of The Left – Travels With Myself And Another

Vous savez ce que j’aime? Le risque et l’incertitude. Écouter un album dont j’attends beaucoup, pour me rendre compte après un petit temps que mes attentes sont satisfaites, voire dépassées. Ce qui arrive assez peu souvent, il faut le reconnaître. Mais en ce qui concerne Andy « Falco » Falkous, c’est régulier. Mclusky était incapable de se planter, et quand le groupe s’est séparé et que Falco a créé Future of the Left, le risque était grand. Curses fut un fantastique album. Ensuite venait le moment du second, avec le danger classique du « sophomore slump ». Une fois de plus, Falco a défié toute attente, avec un album excellent, alliant les compositions plus poppy (enfin, tout est très relatif) de FOTL avec l’attitude que Mclusky a toujours eu.

L’album commence avec quelques secondes de calme, mais l’assaut sonique n’allait pas tarder à commencer, avec la guitare brute de Falco, la basse vrombissante de Kelson Mathias (ex-Jarcrew, tant qu’on est dans le namedropping) alliée à la rythmique puissante de Jack Egglestone (ex Mclusky aussi). FOTL a ajouté une utilisation régulière du tellement peu punk clavier, mais il s’insère cette fois mieux dans les compos, comme si le groupe avait appris à l’intégrer entièrement. On est alors partis pour trente-trois minutes intenses, puissantes mais toujours précises : Falco a toujours insisté sur l’écriture de vraies chansons, comme en témoigne un des autres points forts du groupe, les paroles ironiques/amusantes/franchement barrées. Throwing Bricks At Trains raconte exactement ce que le titre annonce, un raid de deux types qui voudraient commencer une révolution. En lançant des pierres du haut d’un pont.

Ce que FOTL a de plus que Mclusky, c’est une étonnante recherche mélodique, qui pourrait un jour, dans un univers parallèle, leur valoir un hit. I Am Civil Service est le morceau qui s’y rapproche le plus, avec un refrain très catchy, mais avec des paroles comme « If I eat what I fuck, and I fuck what I eat, am I worthy? », c’est pas encore pour tout de suite. Juste après, Land Of My Formers est assez dingue, avec la voix de Falco s’élevant dans un nuage de bruit.

La seconde moitié de l’album est peut-être un chouïa en retrait, mais l’attaque personnelle contre les tenanciers des salles de concerts Barfly (That Damned Fly) est hilarante. Le dernier morceau (le seul dépassant les quatre minutes) est un monument à lui tout seul, synthétisant le groupe, avec paroles grinçantes (« Morgan Freeman would roll in his grave ») et dynamique quiet/loud schizo.

C’est donc une confirmation impressionnante : Future of the Left est un groupe en tant que tel, et n’a déjà plus vraiment besoin des incessantes comparaisons avec le passé glorieux des différentes membres. Mais ce qui est encore plus rassurant, c’est que même si FOTL devait exploser, on sait que Falco reviendra, encore meilleur. Et ça, c’est un sentiment inestimable.