Quatre ans après un controversé second album, le retour des quatre écossais est discret : Ulysses commence par un beat calme et des murmures d’Alex Kapranos, loin des exubérances qui ont leur réputation. Mais sur un cri de « let’s get high », le morceau prend une tournure définitivement FF après une minute : festif, dansant, mais avec les guitares abrasives cette fois aidées par un synthé qui joue les premiers rôles. Pas le single le plus impressionnant possible, mais un choix intrigant, surtout que le morceau se retourne après 2″20 (« you’re never coming home », ben oui, Ulysse et tout). Ulysses est symptomatique de FF en 2009 : incertain, différent mais pas trop.
Il est vrai qu’il n’est pas facile de suivre un album très hype mais au demeurant excellent par un second pas mauvais, mais trop « facile ». Les Strokes ont d’ailleurs toujours à se remettre de First Impressions of Earth. FF tente la différence dans la continuité, ou vice versa : impossible de ne pas les reconnaître, mais Kapranos & co rajoutent des éléments électro (parfois limite kitsch, voir Live Alone) pour varier des plaisirs somme toute agréables mais assez dispensables. Même si les quatre minutes rave Korg de Lucid Dreams sont, hmmm, mal placées?
Tonight : Franz Ferdinand n’est pas mauvais, mais pas trop convaincant non plus : No You Girls suit la formule habituelle, mais manque de punch, et les ballades clôturant l’album, même si bien jolies, ne laissent pas d’impression inoubliable, contrairement au premier album, voire au second. Can’t Stop Feeling est un monstre de dancefloor, ceci dit.
On ne pourra pas dire que FF se plante : l’album compte quelques bons moments (Twilight Omens, Bite Hard notamment), mais en terme d’impact, rien n’aura l’impact de leur production précédente, et en termes de relevance, c’est assez dangereux, surtout pour une scène à la mémoire courte.
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Chroniques d’albums contemporains
Fucked Up – The Chemistry Of Common Life
En 1998, le groupe suédois Refused sortait The Shape Of Punk To Come, qui deviendra un des albums les plus importants des années 90, mais plutôt hardcore que punk, si l’on veut vraiment catégoriser. Cet album de Fucked Up mériterait encore plus ce titre. Simplement, The Chemistry of Common Life est fantastique, extrêmement original et inventif pour le genre. Vous connaissez beaucoup d’albums punk/hxc qui commencent par une flûte? Son The Father le fait, ajoute instrument sur instrument avant que le chant violent et passionné de Pink Eyes (les autres membres s’appellent 10 000 Marbles, Concentration Camp ou encore Mustard Gas) ne laisse rien debout sur son passage.
Fucked Up pourraît très facilement être un très bon groupe punk hardcore, mais ce n’est clairement pas suffisant pour eux. Non, ils font des morceaux de plus de six minutes (Son The Father mais aussi et surtout le morceau titre, climax fabuleux de l’album), ajoutent des instruments étonnants et des passages atmosphériques. Golden Seal est un morceau ambient (et seulement la troisième piste de l’album!) dominé par les effets électro, mais Days Of Last et Crooked Head doivent être un vrai massacre sur scène. Alors, un peu schizo, Fucked Up? A voir leur comportement sur scène, disons, peu retenu, sans doute. Mais les meilleurs artistes ont toujours eu une félure quelque part.
Fucked Up pense, aussi. Les paroles sont loin des clichés du genre, mais le moment le plus admirable de l’album est Looking For God : pas besoin de paroles, juste du bruit ambient, collant parfaitement à ce qu’ils voulaient dire. Et même si on les voit difficilement passer à la radio, Black Albino Bones pourrait etre repris dans un playlist (assez) alternatif, grâce à un refrain chanté plutôt qu’hurlé. Royal Swan, lui, fait dans le registre electro de fête foraine (pas nécessairement une insulte) avant de dégénérer dans une sorte de chanson à boire irlandaise, animée par les backing vocals des Vivian Girls. Enfin, il faut encore mentionner Twice Born et ses refrains sarcastiques, amplifiant le rôle de commentateur social joué par le groupe.
On l’aura compris, The Chemistry of Common Life est un album inestimable, pour ses qualités intrinsèques, mais aussi et surtout pour l’influence qu’il aura par la suite. Fucked Up a fait comprendre qu’on pouvait faire du punk intelligent (oui, je sais, évidemment ce n’est pas le premier, mais jamais à ce point) et rester relativement accessible. De plus, ils se transforment en monstre inarrêtable et passionné en concert, ce qui n’arrive pas toujours non plus.
Même si j’en parle beaucoup trop tard, The Chemistry Of Common Life est un des meilleurs albums de 2008, et peut-être le plus important.
Vivian Girls – Vivian Girls
Comme prévu, voici un coup d’oeil sur l’album des Vivian Girls, potes de la sensation hardcore de l’année (passée) Fucked Up, et qui partage avec Times New Roman un goût prononcé pour la production, disons, minimale. Les filles reprennent un songwriting directement emprunté des années 50-60 (des girl groups à la Ronettes) avec paroles simples et mélodies répétées, et enfouissent tout cela dans un bon gros bordel, mi-shoegaze mi grunge bruyant et bruitiste, sans aucune gêne ni honte.
Le défaut potentiel de l’album tient en cette formule, nécessairement limitée. Mais c’était évidemment prévu : les morceaux ne dépassent souvent pas les deux minutes et l’album tient en une demi-heure (j’ai l’impression de réécrire l’article précédent), ce qui empêche une trop gros sentiment de déjà entendu. Reste que ce mélange de Pixies (basse ronflante), Raveonettes (popnoise) et Mudhoney (garage) est très efficace, et doit être totalement dévastateur en concert. Mais je persiste à croire que trop de lo-fi tue la lo-fi. Vivian Girls est à écouter pour ceux qui ont été bien déçus de 2008.
Times New Viking – Rip It Off
2009, l’année de la production pourrie. Les crimes contre l’humanité commis par Rick Rubin et Metallica (victimes consentantes et confirmées en interview) ont fait beaucoup parler d’eux dans le mauvais sens, alors que les très lo-fi No Age et Times New Viking se retrouvent dans toutes les listes indie de fin d’année. Avec quelques semaines/mois de retard, je m’attaque donc à Times New Viking qui allient mélodies assez catchy à un mur sonore totalement radio-unfriendly.
Le shoegaze, Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine, Raveonettes, Vivian Girls (bientôt sur MB) c’est bien, mais parfois, point trop n’en faut. Ici, ce n’est même plus de la lo-fi, mais de la no-fi. Tout a été fait pour pourrir l’enregistrement le plus possible, surtout sur les voix, souvent ultradéformées au point d’être totalement incompréhensibles. Ce n’est pas mauvais pour autant : un groupe sans concession mérite le respect, surtout quand, finalement, les morceaux sont bien foutus, mélodies classiques dans une esthétique grungy à mort. TNV connaît les limites de son oeuvre, et un seul morceau dépasse les trois minutes, tandis que dix autres ne font pas plus de deux minutes. Grâce à cela, Rip It Off le bien nommé reste appréciable, mais Times New Viking devra faire attention, et commencer un jour à regarder autre chose que leur propre nombril, pour être poli.
Rip It Off reste intéressant, mais assez loin de la dithyrambe pitchforkiste de cette fin 2009. Mais on a entendu bien pire aussi.
Kanye West – 808s & Heartbreak
Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes de parler de « musique urbaine », pour diverses raisons dont, clairement, un certain manque d’intérêt. Mais Kanye West, c’est un personnage. Je n’ai quasi jamais entendu son oeuvre (le manque d’intérêt mentionné plus le fait que je n’écoute jamais la radio, et encore moins les chaînes musicales qui, d’ailleurs, ne diffusent plus vraiment de musique), mais il me fait marrer, quand il insulte George Bush en live, et qu’il monte sur scène aux MTV Awards réclamant un prix qu’il n’a pas gagné. Bref, le type même de tête à claque qu’on adore démonter. Et quand j’apprends que le roi du bling bling sort un album minimaliste, inspiré par une rupture sentimentale et la mort accidentelle de sa mère (dont Kanye se dit responsable, c’est sa vie clinquaillante qui l’aurait poussée à faire une opération de chirurgie esthétique qui lui fut fatale), et sur lequel Kanye ne rappe pas mais chante à travers un auto-tune, je ne pouvais décemment pas passer à côté.
L’auto-tune, tiens, parlons-en. Vous vous rappelez peut-être de Roger Troutman, qui avait popularisé l’usage du vocoder, « instrument » déformant de manière marrante les voix. Troutman avait été repris dans le tube mondial de Tupac Shakur, California Love. L’auto-tune part sur les mêmes bases, mais est en fait (d’où son nom) un programme permettant aux chanteurs de chanter juste, moyennant quelques modifications légères de la voix. Le chasseur d’ours de Metallica, James Hetfield, en a usé et abusé pour Death Magnetic : sans cela, Lars Ulrich arait sans doute du chanter. Mais l’auto-tune a surtout été détourné par quelques rappeurs/RnBistes US, dont le plus fameux est T-Pain. Trafiquer les réglages de l’auto-tune permet d’obtenir un effet semblable au vocoder, et donc un élement de novelty dans certains morceaux. Eh bien, West fait ça durant tout l’album. Tout l’album. Déjà, le type chante mal, et pourquoi pas, ce n’est pas trop son job. Mais là, non seulement ça n’arrange rien, mais c’est en plus totalement ridicule. Il aurait chanté gonflé à l’hélium, ça n’aurait pas été pire. Et comme en plus, il écrit très mal, alignant les rimes faciles comme un Tim Wheeler prépubère, on ne demande qu’à le voir retourner au rap, ou à prendre plus de guests.
Et à part ça? 808s and Heartbreak est très minimaliste niveau production, avec beaucoup de morceaux midtempo. Kanye semble sincère, quand il se rend compte que ses amis ont des gosses, alors qu’il n’a que des grosses bagnoles (Welcome to Heartbreak). Mais il retombe dans l’excès lors de plusieurs morceaux imbécilement sexistes (Robocop, ou Love Lockdown : »I can’t keep myself and still keep you too », pas changé tant que ça, hmm, Kanye?) et une longueur lassante : une heure de logorrhée auto-tunée, non, quoi. Le pire est pour la fin, un freestyle live à Singapour qui devait être une pause pipi parfaite. Heureusement on peut en ressortir quelques beats ravageurs (Paranoid), et une production froide et efficace, hélas dominée par un grand sentiment d’ennui.
Certains critiques US, toujours premiers sur la balle, ont parlé de cet album comme le Kid A de Kanye : un album difficile, mais reconnu comme terriblement novateur. Certaines personnes n’ont pas aimé Kid A, c’est vrai, mais je ne sais pas comment il pourrait être possible de ne pas trouver 808s chiantissime. Alors, s’il s’agit vraiment d’un album catarthique (et pas seulement un gros caprice de gosse pourri), Kanye aurait sans doute du le garder privé. Hélas, la « voix de sa génération » pense que le monde est sa vie privée, ou inversément. Pendant ce temps, le monde soupire, et pense à autre chose.