Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

The Raveonettes – 4 EPs

J’aime bien les Extended Plays, ces « disques » d’entre deux albums, mais qui ne sont pas nécessairement construits autour d’un morceau. Et j’aime bien The Raveonettes, dont Lust Lust Lust était un de mes préférés de 2007. J »ai donc été ravi d’apprendre que le duo danois allait en sortir quatre en autant de mois, fin 2008. Le premier est une collection de quatre remixes de Lust Lust Lust, mais je ne m’intéresserai ici qu’aux trois EP d’originaux, même si on peut y trouver quelques sons intéressants.

Sometimes They Drop By est présenté comme étant uniquement électro, et s’ouvre effectivement sur un déluge sonore synthétique. La guitare de Sune Rose Wagner a tellement l’habitude d’être maltraitée par des pédales d’effets elles-même martyrisées qu’il n’y a pas tant de différence, même si certains morceaux, comme Blood Red Leis sont nettement plus dansants que d’habitude. On le ferait volontiers passer dans une soirée new/no/postwave, son beat entêtant ferait des ravages, avant, évidemment, que le feedback ne fasse son entrée. Les voix, par contre, sont toujours aussi posées et deadpan. Ce virage électro est une chouette déviation de leur norme parfois un peu contraignante, et s’applique parfaitement au concept EP, ni trop court, ni trop long. On pourrait quand même regretter qu’ils n’ont pas vraiment été au bout de leurs idées, Sometimes They Drop By est simplement Raveonettes + synthés, alors que Vintage Future comporte quand même une guitare.

Beauty Dies, le numéro trois, a un titre typiquement Raveonettes et revient à une logique plus basique, même si on retrouve quand même un peu d’electro. Tant mieux, rien de plus emmerdant que les étiquettes contraignantes. Young And Beautiful est carrément un des meilleurs morceaux du groupe. Gardant les influences shoegaze qu’on leur connaît, il s’en affranchit notamment en accélérant le tempo. Sharin Foo fait sa Sharin Foo, et c’est fantastique comme ça. Black/White est emmené par une basse motown, prouvant une fois de plus que Wagner et Foo mélangent les influences, les époques pour en faire leur propre genre. The Thief commence par un déferlement de percussion et de piano, montrant que le duo n’a pas de limites dans son imagination, contrairement à ce qu’on aurait pu croire. La prochaine fois, ils sont capable de sortir un album entièrement acoustique, et encore le réussir.

Enfin, le quatrième et dernier EP est de saison, puisque Wishing You A Rave Christmas est évidemment composé de quatre morceaux de Noël, à la sauce Raveonettes. On parle donc de neige et de sapin mais aussi de sous-entendus (on parle quand même d’un groupe qui chantait, il y a quelques années, « My girl is a little animal, she always wants to fuck »). Sympa, parfois dispensable mais ça fera un excellent effet lors de votre repas en famille. Et une bonne idée de soundtrack si le prochain Sofia Coppola se passe en hiver.

Après quatre albums et autant d’EPs, le duo danois n’est plus une surprise, mais simplement un des meilleurs groupes de pop avant-gardiste contemporaine. Il faut parfois faire des efforts et passer outre l’exercice de style, mais le jeu en vaut largement la chandelle.

Scott Weiland – Happy In Galoshes

C’est peut-être une coïncidence, mais elle est amusante. Deux personnes ne s’appréciant guère, Scott Weiland et Axl Rose, sortent leur album solo en même temps ou presque (oui, je sais, mais non). Pour rappel, Scott Weiland est le chanteur des Stone Temple Pilots, groupe sympathique ayant passé les années 90 dans l’ombre de Pearl Jam et l’ex de Velvet Revolver, où les musiciens étaient en majorité issus de Guns ‘N Roses. Mais Scott Weiland est surtout quelqu’un qui n’est pas fort pote avec la vie, et inversément. Ses problèmes d’addictions variées sont légendaires, et ne semblent jamais s’arranger. Il a récemment perdu son frère (accident), sa femme (divorce), son groupe (le reste de VR l’a viré) pour retrouver STP le temps d’une lucrative tournée de réunion qui sera peut-être éphémère.

Malgré tout, Weiland est toujours là, contrairement à ses anciens collègues Cobain, Staley et Cornell (oui, je sais, mais non). Happy In Galoshes est son second album solo mais arrive dix ans après le premier. Quel est son but? Probablement de gagner un peu de fric, même si les 10 000 ventes de la première semaine sont particulièrement cruelles. On gardera donc l’impression que Weiland, comme la majorité des artistes qui s’émancipent de leur groupe, voulait faire autre chose.

Malgré tout, Happy In Galoshes commence avec un morceau qui pourrait facilement se retrouver dans les derniers STP, Missing Cleveland. Morceau rock assez simple, il nous rappelle que Scott Weiland peut toujours réussir à faire passer une grande émotion avec sa voix. C’est juste dommage qu’il y arrive une fois sur quatre, et que son exceptionnelle voix ne tient plus la distance, les excès se payant cash, à son âge. Initialement, l’album se laisse écouter : sans être exceptionnel, il ne semble pas être la catastrophe prévue. Même l’influence Killers de Blind Confusion ne gâche pas la fête.

Parce que Scott Weiland, la fête, il la gâche bien tout seul. Notamment par des expérimentations électro foireuses, un morceau grandiloquant sans queue ni tête, un autre où il se prend pour Jeff Buckley ou pire, une horrible reprise du Fame de Bowie (déjà pas terrible pour commencer) avec Paul Oakenfold. Tout n’est pas à jeter, on retiendra, outre le début de l’album, l’ambitieux Beautiful Day et ses harmonies Beach Boysiennes, mais sinon, trop de ballades, trop de n’importe quoi qui part dans tous les sens, et une voix qui n’est plus ce qu’elle était. Ce qui me rappelle quelque chose sorti il n’y a pas bien longtemps…

MGMT – Oracular Spectacular

C’est l’évidence même : je ne saurais jamais chroniquer tous les albums (que je juge) intéressants, par manque de temps, simplement. L’album de MGMT est sorti depuis déjà quelques mois, mais j’en parle seulement maintenant, pour je ne sais plus quelle raison. Au moment où les (web)zines vont commencer à publier leurs traditionnellement emmerdantes listes de fin d’année, il est probable qu’Oracular Spectacular s’y retrouvera, donc, pourquoi ne pas en parler. Surtout qu’il possède son lot de fulgurances.

Sous leurs apparats branchouilles, vetêments débiles et nom très zeitgeist (MGMT est la contraction de leur ancien nom, The Management – une référence à Carnivale?), MGMT cache deux gars clairement influencés par une décade (les 70s du prog, des Bee Gees, d’Elton et des claviers Korg) durant laquelle ils n’étaient peut-être même pas nés. Mais heureusement, ils ne sont pas uniquement passéistes. Time To Pretend entame l’album d’une bien belle manière. C’est d’abord une profession de foi semi-ironique (« Let’s make some music, make some money, find some models for wives »… « We were fated to pretend ») mais surtout un morceau vraiment très bon, propulsé par une basse monstrueuse et des synthés étranges (étrange dans le genre « faut oser ressortir ces vieux trucs »). Cheesy, cliché, mais aussi efficace et étonnant : rien de tout cela n’est original en soi, mais un mélange glam-electro réussi, ça fait plaisir à entendre, et ça fait bouger. On pouvait dès lors s’attendre à ce qu’Oracular Spectacular soit une succession de tubes, tous calqués sur le modèle. Ce qui ne sera pas le cas, fort heureusement.

Le truc de MGMT, c’est de tout enfouir sous des couches de guitare, de synthés, de basse vrombissante (sans doute la plus puissante lead bass depuis Death From Above 1979). Ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais montre assez vite les limites du chant, assez faible, et qui plombe certains morceaux (Weekend Wars, The Youth). Mais le one-two punch dévastateur Electric Feel (le morceau disco de l’année, sans aucun doute)/Kids (le second Time To Pretend) fait de la première partie de l’album une réussite, surtout pour un premier album (même si le groupe n’est pas si récent). L’important, c’est que MGMT ose. Même si cela ne marche pas toujours (le solo de synthé « flûte de Pan » d’Electric Feel est vraiment too much), ils essaient. Malheureusement, comme on pouvait le craindre, l’album ne tient pas trop sur la durée. On retrouve les mêmes ingrédients, mais le produit fini devient lourdingue, et parfois vraiment dispensable, tout en restant parfois complètement cinglé.

Oracular Spectacular n’est pas Is This It, mais il est prometteur. Et même là où il échoue, il vaut toujours la peine d’y jeter une oreille, tant les idées lancées un peu partout par le duo Goldwasser/VanWyngarden sont intéressantes. il faudra juste un peu organiser tout cela, y ajouter un peu de substance et de constance, et on risque d’avoir un bien bon album dans le futur.

Guns N’ Roses – Chinese Democracy

Non, je ne reviendrai pas sur la genèse de l’album, les treize ans et treize millions de dollars nécessaires à sa production : tout le monde en a parlé, et l’info est disponible partout. Je vais uniquement m’intéresser à Chinese Democracy, sixième album de Guns ‘N Roses (dont Axl Rose est le seul membre fondateur restant), qui sort ce 23 novembre. Oui, c’est tout à fait incroyable, mais franchement, on s’en fiche : ce qu’on veut savoir, c’est ce qu’il vaut, et si Axl Rose nous a donné le bâton ultime avec lequel il adore se faire frapper.

Une bonne partie des morceaux sont connus de longue date, pour avoir été joués en concert ou pour s’être retrouvés « par hasard » sur internet. Maintenant, on a enfin entre les mains le produit fini, et il commence par un choc, un avertissement. Chinese Democracy, le morceau, débute lentement, par un bruit de fond, puis par quelques accords de Buckethead et un megariff industrieux avant qu’Axl ne pousse un cri primal, qui rappelle immanquablement le premier morceau d’Appetite For Destruction, Welcome To The Jungle. Shackler’s Revenge revendique aussi ces influences industrielles, et lorgne bizaremment vers le Tanzmetall, avec un Axl enfouissant sa voix sous des couches d’effets. So far, peut-être pas so good, mais en tout cas, ça va.

Comme si. Better commence à inverser la tendance, avec deux refrains débordant de saccharine mais une vraie mélodie. Probablement le hit de l’album, il nous ramène à l’époque du rock FM, dans laquelle Axl Rose vit sans doute toujours. Mais il manquait un élément majeur du rock FM, le piano. Ouaip, un piano qui ficherait la honte à Elton John, et qui est responsable de l’intro du déjà légendaire Street of Dreams. Si jamais (et c’est pas gagné) des terroristes se trouvent vraiment à Guantanamo, alors je conseille à Barack Obama de faire passer ce morceau (et les suivants) en boucle avant de fermer la prison, Ben Laden, Al Zawahiri, tout le monde serait retrouvé en trois minutes. C’est pire que Nothing Else Matters.

Il semble qu’en treize ans, Axl n’a écouté personne qui aurait pu donner un avis critique. A la place, Rose compile et empile les excès et le mauvais goût manifeste, comme If The World qui commence sympathiquement avant de devenir une mauvaise ballade des derniers jours de Faith No More, ou encore There Was A Time (dont l’abréviation est ô combien adéquate) qui dure au moins cinq minutes de trop (« it was a long time for me / it was a long time for you / it was a long time for anyone », on a attendu treize ans pour ça?)

Bien sûr, la voix d’Axl occupe toujours le premeir plan. Elle est trafiquée une fois sur trois, et quand elle ne l’est pas, on est parfois surpris du fait qu’elle a relativement bien passé les années. Ceci dit, le multitrack systématique fait qu’on se sent vite agressé par une vingtaine d’Axl prépubères qui nous hurlent dans les oreilles. Pas toujours une bonne idée. Musicalement, malgré le fait qu’il se soit entouré d’excellents musiciens, on ne peut pas dire que cela vole très haut. Rose a payé Bryan « Brain » Mantia à prix d’or, tout ça pour qu’il rejoue à l’identique les parties de Josh Freese (!), ou pire, pour le remplacer par une boîte à rythmes. Niveau guitares, Axl en a engagé cinq, qui jouent d’ailleurs sur quasi tous les morceaux. Oui, ça veut donc dire que parfois, on a trois lead guitaristes (Buckethead, Ron « Bumblefoot » Thal et Robin Finck) et deux rythmiques (Richard Fortus et Paul Tobias) en même temps. Même chose pour la batterie, ou Brain et Frank Ferrer sont crédités simultanément.

Cette longue liste de dramatis personae (et encore, je passe les claviers) est symptomatique : Chinese Democracy a été tellement difficile à enregistrer qu’il ressemble plus à un énorme patchwork de copiés/collés de studios (sept personnes sont crédités pour Pro-Tools) qu’à un album cohérent de vrai groupe. Mais on le sait, le « Guns ‘N Roses » actuel, c’est juste Axl Rose. Encore pire : l’album est tellement produit qu’il est parfois difficile d’entendre qui joue quoi. En d’autres termes, Axl a réussi à faire jouer Buckethead comme n’importe quel autre guitariste, ce qui est vraiment dommage. Les passages où il est vraiment reconnaissable sont trop peu nombreux, mais se retrouvent facilement parmi les meilleurs de l’album.

Chinese Democracy est aussi bien trop long. OK, il a fallu treize ans blah blah mais quand même, les morceaux de six minutes, les albums de 71, c’est limite. Surtout quand certains passages sont étendus inutilement, comme l’intro de Riad N’ The Bedouins, pourtant un des meilleurs morceaux ici (compte tenu de la chute vertigineuse des espérances). Et quand on se demande ce que Rose peut encore sortir de son chapeau pour nous faire marrer/pleurer, il ne trouve rien de mieux qu’une collaboration avec un autre vieux type semi-oublié, Sebastian Bach. Ce dernier avait décrit Sorry comme un morceau doom metal avec un beat grind, il est donc encore plus cinglé que Rose. Même si le refrain a effectivement une certaine puissance. Dans le même ordre d’idées, l’album est souvent surproduit et bourrés d’artifices divers et variés. Exemple, There Was A Time. On a un orchestre, un choeur, des percussions tribales, des cordes de BO ciné, un break hip-hop, une backing track à l’envers (sans doute pour Charlie Manson), un solo de guitare et Axl. Et ce, durant les vingt premières secondes : après c’est moins sobre. Rose a sans doute voulu caler le plus de trucs possible, mais c’est très vite fatigant, comme l’est aussi la sur-représentation des ballades.

Si l’album a un point positif, c’est de nous rappeller ce que c’était, les fameuses ballades « de l’époque ». « And III will loooooove you babyyyyy aaalwayyyyys », de ces braves gens de Bon Jovi, remember? Messieurs K. Cobain et L. Staley y ont donné leur vie, mais ce putain de cadavre est toujours en train de frétiller, et Dr Axl Frankenstein a tenté de le faire marcher. Catcher In The Rye (quelle insulte) y réussit peut-être, je ne veux pas me prononcer, ignorant totalement ce qu’est une bonne ballade rock FM, si seulement ça existe. Mais en tout cas, c’est loin d’être un bon morceau. La tendance ne se démentira pas, avec une grande partie des morceaux comprenant au moins un passage lent, souvent au piano, avec un Axl vraiment triste (peut-être n’aime-t-il pas le Dr. Pepper). This I Love serait ridicule, s’il ne venait pas d’un vieux type paranoïaque et psychopathe. Là, c’est juste pathétique.

Dommage, car la fin de l’album comprend son lot de passages sympathiques à aller chercher, comme dans IRS, Scraped, Madagascar ou Prostitute. Mais la folie mégalo mal placée de Rose ne permet jamais à un seul morceau, à une seule simple mélodie de se développer tranquillement. Ok, Axl Rose n’a jamais voulu être calme, et cela lui a réussi dans le passé. Chinese Democracy, malgré tout, déçoit (forcément) mais montre une image sans doute fidèle de son géniteur. Si seulement l’album portait son seul nom, je suis sur que les choses seraient très différentes. Malheureusement, Chinese Democracy est un album de Guns N’ Roses, doit être jugé comme tel, et se plante. Avec panache, certes, mais il se plante.

Cradle Of Filth – Godspeed On The Devil’s Thunder

Cradle Of Filth… Rarement un groupe aura suscité autant de haine dans le milieu du metal « extrême ». Pourris, sellouts, poseurs, on leur aura tout lancé à la gueule, avec finalement assez peu d’arguments. En fait, Cradle a eu la mauvaise idée de tourner le black metal en dérision, notamment avec la video parodique hilarante de From The Cradle Of Enslave. De plus, il faut reconnaître que leur musique n’était pas spécialement difficile, mais je ne pense pas que c’était une mauvaise chose de rendre le black metal plus accessible. Mais évidemment, les puristes n’étaient pas de cet avis.

Vendus ou pas, Cradle of Filth n’a quand même plus sorti grand chose de terrible ces derniers temps, et a multiplié les albums-remplisseurs, genre live, best of, compiles diverses et variées, éditions spéciales. Et voilà que Godspeed On The Devil’s Thunder est le meilleur album de CoF depuis Midian (2000), au moins. Comme souvent chez le groupe du ptit Dani Filth, il est basé sur un concept, cette fois le tueur en série, déviant sexuel et contemporain de Jeanne d’Arc Gilles de Rais. L’album raconte ses oeuvres jusqu’à sa rencontre finale avec le vieux barbu, et est entrecoupé de narrations de l’artiste, une fois de plus réalisées par Doug Bradley (Pinhead!).

Après une intro symphonique, Shat Out Of Hell (ah, ce raffinement…) est ravissant d’agressivité, comme on ne l’attendait plus trop chez CoF. Tout n’est pas de cet acabit, mais Godspeed comprend suffisamment de morceaux décents pour être écouté (en jouant à D&D). Malheureusement, même si c’est le meilleur album de Cradle Of Filth, c’est aussi… un album de Cradle of Filth.

La voix de Dani Filth, même si toujours efficace, est quand même parfois irritante, et finalement, c’est quand même encore toujours la même chose, en juste un peu mieux, plus agressif. Mais rien ne peut excuser l’infâme The Death Of Love, dont le refrain serait rejeté pour un album d’Evanescence. Cradle Of Filth, même s’ils ne méritaient pas la terreur médiatique dirigée contre eux, ne méritent pas non plus leur titre de plus gros groupe metal UK depuis Iron Maiden. Godspeed a beau être leur meilleur album depuis huit ans, cela ne veut pas dire grand chose, hélas.