Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Gojira – The Way Of All Flesh

Quel étrange animal, ce Gojira. Non seulement c’est un groupe de metal français qui bénéficie d’une solide réputation internationale, ce qui n’est pas courant, mais en plus ils sortent un album original et difficilement classifiable. Depuis leur troisième album (From Mars To Sirius), ils se sont fait remarquer grâce à un metal aggro-progressif (mais pas trop), des paroles étonnantes (partiellement centrée sur la protection écologique, ce qui leur a valu l’amusante étiquette d’éco-metal) et un leader reconnu (Joe Duplantier, par ailleurs bassiste de Cavalera Conspiracy).

The Way Of All Flesh est puissant, violent, agressif, mais ne joue pas dans la surenchère du bruit : les passages plus calmes, ou du moins moins cinglés, permettent de préparer le chaos suivant. Le chant est éraillé, habité, et la batterie puissante : comme chez Meshuggah, c’est la pierre angulaire du groupe. On trouve des influences death, trash, mais aussi un peu d’industriel, et carrément des choses inattendues dans un genre pas souvent connu pour son caractère innovant. Tout cela fait que la musique de Gojira n’est pas fort aisée, il faut d’ailleurs plusieurs écoutes pour complètement rentrer dans un univers personnel mais parfois obtus, ce qui n’est pas aidé par la longueur de l’album (75 minutes)

On peut difficilement s’ennuyer, ceci dit, tant les rythmes sinueux sont hypnotiques et parfois poignants, et même quand Gojira décide de quitter leur domaine de prédilection pour s’aventurer dans le metal contemporain un peu plus classique, ils ont le bon goût de s’assurer les services gutturaux de Randy Blythe (des porte-drapeaux du metal US Lamb of God).

Mais The Way Of All Flesh est un album qui parle de mort, et est ainsi totalement implacable, sans concessions. Il est brutal, mais plus par le fond que par la forme, le groupe n’ayant pas jugé utile de forcer le ton, ils ne tombent donc pas dans une caricature de type Slipknot mais participent à la rénovation d’un genre parfois poussiéreux. Mais tant que le metal pourra compter sur des groupes comme Gojira ou Meshuggah, son avenir est assuré.

Oasis – Dig Out Your Soul

Pour la première fois depuis bien longtemps, Noel Gallagher n’a pas annoncé Dig Your Own Soul comme le meilleur album d’Oasis depuis (What’s The Story) Morning Glory. Est-ce pour cela qu’il l’est?

Être surpris par un album d’Oasis, c’est quasi impossible (enfin, sauf lorsque tout le monde l’a été par le bien mauvais Standing On The Shoulder Of Giants), mais ici, on l’est doublement : par la qualité générale de l’album, mais aussi par certains morceaux individuels assez éloignés de ce qu’on attend des Mancuniens depuis quelques années, comme le premier morceau, Bag It Up. Plus blues poisseux que Britpop, il voit Liam changer partiellement sa façon de changer, et aussi la démonstration d’une basse proéminente : cet élément, typiquement peu présent chez Oasis, le sera tout au long de l’album. Le refrain est déjà plus classique, mais c’est clairement un bon début, surtout que The Turning surprend encore plus avec son intro au piano et une atmosphère vraiment différente. Bon, le coda inspiré par Dear Prudence nous rappelle à l’ordre, mais quand même, c’est étonnant.

Noel a maintenant l’habitude de chanter au moins trois morceaux par album, ce qui est généralement au moins deux de trop. Ici, Waiting For The Rapture tient parfaitement la distance, Noel chante bien, et profite d’un groove de basse protorock terrible : Dig Your Own Soul est leur album groove, mais oui. Le single The Shock Of The Lightning est un peu plus classique, et suit la tradition du bon gros morceau rock comme premier single (Go Let It Out, The Hindu Times, Lyla), mais malgré son « emprunt » aux Strokes (allez voir l’intro de The Way It Is, sur Room On Fire) et son manque d’originalité, il est très efficace.

Quatre sur quatre, il faut remonter à très longtemps pour qu’un album d’Oasis commence aussi bien, sans doute à Morning Glory, justement (Be Here Now a ses bons moments, mais Magic Pie n’en fait pas partie). Et la plus grosse surprise est encore à venir, avec I’m Outta Time, premier morceau de Liam Gallagher. Depuis Standing…, Noel a arrêté d’être le seul songwriter du groupe, et les résultats n’ont jamais été terribles. Les morceaux de Gem Archer et Andy Bell sont rarement mémorables, et Little James était si risible que les efforts ultérieurs de Liam n’ont pas été pris au sérieux. Ca devrait changer avec I’m Outta Time, ballade 50% Lennon, 50% Harrison et donc 100% Oasis, avec une ligne mélodique à tomber par terre et des paroles même pas ridicules. Le meilleur morceau de Liam depuis Born On A Different Cloud, et la fin de la première partie d’un album vraiment stupéfiant.

Ca ne pouvait pas vraiment durer. Dig Your Own Soul ne tombe jamais très bas, mais la seconde moitié déçoit. (Get Off Your) High Horse Lady ressemble plus à un interlude, avec la voix de Noel passée sous filtre téléphonique et une guitare sortie d’un moment peu inspiré de la période country de Neil Young. Falling Down relève tout de suite le niveau, avec son rythme évoquant (fatalement) Tomorrow Never Knows et un Noel qui chante vraiment de mieux en mieux, ce morceau étant sans aucun doute une de ses meilleures performances. Mais à partir de là, c’est un peu comme s’il avait décidé de partir trois semaines à Ibiza en laissant le reste du groupe boucler l’album : les quatre derniers morceaux viennent des autres membres.

Et même si la décision de Noel de ne plus tout écrire avait été bien accueillie à l’époque, force est de constater que les meilleurs morceaux ici (I’m Outta Time exclus) sont de Noel : The Nature Of Reality (Andy Bell) est tellement ennuyeux que Liam semble s’être fait royalement chier en le chantant, Ain’t Got Nothin’ est une tentative de Liam d’écrire comme Pete Townshend (conclusion : raté), Soldier On est une tentative de Liam d’écrire comme les Stone Roses (vous aurez compris) et To Be Where There’s Life (Gem Archer) secoue le vieux sitar de George Harrison comme si The Verve s’en était emparé.

Autrement dit, moins on parle de ces morceaux, mieux c’est, et c’est vraiment dommage : Dig Your Own Soul n’est qu’un album à moitié excellent, mais quand il l’est, il se retrouve non pas qu’avec les meilleurs morceaux du groupe, mais comme Oasis est capable de sonner après quinze ans d’une évolution qu’on pensait impossible. Comme souvent avec eux, il reste à écouter les faces B (ou plus précisément le cd bonus de l’édition limitée) pour en sortir les gemmes habituelles, et regretter la séquence finale de l’album, forcément améliorable.

On ne doit quand même pas bouder notre plaisir pour autant : on sait que les jours de gloire sont passés et ne reviendront jamais, mais d’un autre côté, l’Oasis de 1996 n’aurait jamais pu écrire un album aussi bien produit, aussi abouti que Dig Your Own Soul. Un album solide, d’un groupe qui vient tout doucement de repasser du bon côté de la barrière.

6,5/10


NB : Malheureusement, le cd bonus se trouvant dans l’édition spéciale n’a rien de bien extraordinaire : les premiers remix autorisés par Oasis n’ajoutent rien d’intéressant (il faut dire que Jagz Kooner et les Chemical Brothers…) et les inédits et version alternatives démontrent pourquoi elles ne sont pas sur l’album. Et pourquoi Oasis n’a plus compilé ses autrefois phénoménales faces B depuis Be Here Now. OK, I Believe In All est encore sympa, mais uniquement parce que Liam chante « I can see for miles ».

TV On The Radio – Dear Science,

TV On The Radio ne m’a jamais spécialement intéressé. Pas que je les trouvais mauvais, juste qu’ils ne me touchaient pas. L’album que Dave Sitek a réalisé pour Scarlett Johansson non plus d’ailleurs. Mais vu que Pitchfork a donné un assez hystérique 9.2 à Dear Science, il fallait quand même que j’y jette une oreille. Pour la science.

Je n’ai pas eu tort. Même s’il n’est évidemment pas exempt de tout reproche, Dear Science est un album très particulier, et surtout qui se suffit à lui même : les influences se font discrètes, l’album est fort varié et prend systématiquement l’auditeur par surprise. Le glorieux premier morceau, Halfway Home, est parfaitement représentatif : une mélodie entêtante, une instrumentation originale dominée par les claviers, et un break terrible après quatre minutes. Typiquement, le second morceau (Crying) est totalement différent, emmené par un lick de guitare terrible, une voix différente (l’avantage d’avoir deux chanteurs) et une atmosphère générale rappelant Prince, ou plus proche de nous, Andre 3000. Toujours dans le contre-pied, Dancing Choose commence par sonner comme Bloc Party devrait sonner s’ils avaient tenu leurs promesses, avant d’asséner un refrain antithétique sur fond de cuivres.

TVOTR a parfois été comparé à Radiohead, et on peut le comprendre. Musicalement, ils n’ont pas vraiment de points communs, mais ils transcendent le rock, passant d’un genre à l’autre sans se planter, en réussisant à les mélanger pour rendre le résultat final très personnel et invraisemblablement varié : Stork And Owl fait ainsi dans l’introspectif mélancolique, en utilisant des violons de manière inventive tandis que Golden Age rappelle Michael Jackson (entre Wanna Be Startin’ Somethin’ et Don’t Stop ‘Til You Get Enough, donc ça va) et le Beck de Midnite Vultures, avec peut-être un petit détour chez les Flaming Lips.

Il faudrait presque un paragraphe pour décrire chaque morceau, mais ce ne serait même pas leur rendre justice : il suffit d’écouter Family Tree pour voir où le groupe veut en venir, comment ils tentent de prendre différents éléments qui ne vont pas nécessairement trop bien ensemble et réussissent à en faire un ensemble cohérent et attachant. Love Dog et l’électro rendue célèbre par Radiohead, Red Dress et un gros beat hip-hop, Shout Me Out et un synthé reggae : bizarrement, ça marche. Il faut dire que la grande force de TVOTR, c’est d’avoir carrément trois frontmen/compositeurs : Tunde Adebimpe (celui qui sonne comme un Kele Okereke qui ne serait pas de Londres), Kyp Malone (l’autre vocaliste) et Dave Sitek, producteur multi-instrumentaliste. En résulte un album phénoménalement varié, mais qui se tient parfaitement.

Dear Science est (très) original, et élève TV On The Radio à un niveau supérieur, même si la bizarrerie intrinsèque des morceaux ne devrait pas leur apporter un succès immense (quoique, on a déjà vu plus étrange). Malgré la construction très stricte et étudiée des morceaux, les constructions alambiquées et la part non négligeable d’électronique, cet album a une âme. C’est suffisamment rare pour être souligné, et pour en reparler dans les classements de fin d’année.

Glasvegas – Glasvegas

La sensation british du moment, dont le succès commercial a fait trembler Metallica. L’album de Glasvegas se vendait tellement bien que Metallica (ou sans doute son management) a décidé d’avancer la sortie de Death Magnetic de deux jours, histoire de assurer la première place des charts albums. Bien leur en a pris, mais Glasvegas se contente aisément de la seconde place, totalement inespérée il y a seulement quelques semaines. Même si Alan McGee (l’homme qui a découvert Oasis, entre autres) en parle régulièrement depuis des années, peu de monde hors de Glasgow connaissait le groupe : dorénavant, plus rien ne sera comme avant.

Autant lâcher ça tout de suite : le nom du groupe est assez stupide, et se réfère donc à un surnom dont la ville est affublée, en comparaison avec Las Vegas. Glasgow, Las Vegas, on voir le rapport tout de suite, non? Si l’on peut trouver un point commun, c’est peut-être avec le groupe n°1 du Nevada : même si les styles sont (heureusement) différents, Glasvegas pourrait obtenir un succès comparable aux Killers.

Pourtant, rien ne semble être commercialement très facile, chez Glasvegas. Leurs morceaux ne sont pas spécialement accessibles, et se noient dans une couche de reverb et de feedback plus qu’influencée par The Jesus And Mary Chain. Il n’empêche : la voix de James Allan, son accent à couper au couteau, la recherche mélodique et le feeling général de l’album en font une oeuvre facilement identifiable, qui peut parler à beaucoup de monde : c’est exactement ce qui s’est passé. Mais est-ce pour autant une bonne chose?

Le début de l’album, même si un peu dérivatif d’évidentes influences, est habité : on sent qu’à l’image d’Arcade Fire, par exemple, que le groupe a une âme. Flowers And Football Tops est nettement plus romantique qu’on ne pourrait le croire, et ce thème perdure tout au long d’un album mélancoliquement puissant. Sans refrain écrasant, les morceaux de Glasvegas se suivent et se ressemblent parfois un peu trop, tant dans l’atmosphère shoegaze-light que dans un pathos exacerbé. Stabbed tente de couper cette logique, mais la narration sous fond de piano manque de pertinence, et tend même vers la prétention.

Glasvegas est un très bon premier album. Il laisse au groupe une grande marge de manoeuvre, ce qui peut être une bonne chose, s’ils le concrétisent dans le futur. Mais ce n’est pas non plus le sauveur de je ne sais quel mouvement musical, ni les nouveaux Smiths/My Bloody Valentine/Oasis/Arctic Monkeys. Et tant mieux.

Kings Of Leon – Only By The Night

K

Trop, trop tôt, trop vite. Only By The Night arrive à peine un an après Because Of The Times, qui a vu les trois frères et cousin du Tennessee devenir un groupe alliant reconnaissance critique et succès populaire. On s’en rend compte dès la première écoute : c’est trop tôt. Malheureusement, on peut voir pourquoi l’album sort maintenant : il fallait battre le fer tant qu’il était (très) chaud.

Because Of The Times, malgré son haut rendement en décibels et mélodies, comprenait des prémices d’une certaine facilité, qu’on pouvait perfidement qualifier de U2isation. On pouvait espérer que ce n’était pas le cas, et que Kings Of Leon avait bien le droit d’écrire des mélodies faciles. Et puis, la voix de Caleb Followill pouvait, semble-t-il, rendre n’importe quoi passionnant. Peut-être, mais Only By The Night va un peu loin, et manque tout simplement de bons morceaux.

Closer et Crawl entament très bien l’album, entre paysages sonores intenses et agressivité retenue, mais le single Sex On Fire est le premier signe que quelque chose ne tourne pas trop bien. Oh, le morceau est chouette (la ligne de basse est terrible, comme souvent chez KoL), mais il est juste trop évident. La suite déroule : des tics vocaux irritants alors que Caleb Followill a une voix extraordinaire, des mélodies recyclées et des tempos bien trop consensuels. De même, les paroles parfois (rarement) politiquement engagées sonnent assez faux, surtout à côté, justement, d’un Sex On Fire lamentablement littéral.

Use Somebody est dégoulinant de bonnes intentions, fort éloignées de l’attitude qu’on attendait de la part de Kings Of Leon, et qui s’est peut-être envolée avec leurs nouvelles coupes de cheveux tellement sexy. Mais ils arrivent encore à sauver tout ça avec un bridge tellement Pixies qu’on imagine (pas trop longtemps) Caleb crâne rasé avec 120 kilos de trop. C’est cela qui permet à Only By The Night de ne pas trop s’enfoncer. Pour chaque décision étrange, chaque hook formaté, chaque exagération vocale, on aura une ligne de basse monstrueuse, une guitare ingénieuse et un moment de bravoure vocale. Le problème, c’est qu’avant on ne devait pas attendre ces moments, ils nous sautaient directement à la gueule.

Tout cela est donc acceptable, mais jusqu’à un certain point. Revelry a tout ce qu’on ne voulait pas avoir chez Kings Of Leon : des fins de vers énervantes, des paroles bidon, un arrangement kitschissime. Mais en milieu de concert, avec les lumières tamisées et les GSM dressés, ça marchera bien, évidemment. 17 (devinez de quoi ça parle?) commence comme un … chant de Noël, avec les cloches et tout ça. Même pas drôle. On touche ici à ce qui est à ce jour la grande faiblesse des albums de Kings of Leon : la difficulté de produire une seconde moitié aussi bonne que la première. Le piano de Notion ne fait rien pour changer ça, et on aurait vraiment espéré que le groupe attende un peu et écrive de meilleurs morceaux avant de revenir si vite.

Only By The Night ne doit pas signer l’arrêt de mort d’un excellent groupe, juste tirer le signal d’alarme. Les quatre Kings Of Leon ont deux routes devant eux. L’une est large, fréquentée, pavée de lumières claires (et de filles nues, mais de toute façon toutes leurs routes sont pavées de filles nues) et les emmènera vers la mégastarification, l’autre leur offrira la possibilité de sortir leur grand album, leur chef d’oeuvre. Mais Only By The Night est déjà leur quatrième : ils n’auront plus de droit à l’erreur. Il est temps qu’ils nous montrent ce qu’ils ont dans les tripes, mais qu’ils attendent deux bonnes années.