Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Motörhead – Motörized

Etre critique rock, c’est aussi devoir assumer certaines contradictions. Un artiste qui fait la même chose album après album, c’est le mal. On se doit de descendre en flamme ce genre d’album, oeuvre de groupes fatigués et fatigants, incapables de se réinventer, et qui ne méritent que notre mépris. Ouais, mais voilà : Motörhead.

Motörhead, ils n’ont qu’un morceau. Celui qui commence avec une basse invraisemblablement puissante, quelques accords de guitare, une batterie monstrueuse et une voix passée à l’acide chlorhydrique. Ils repassent le même depuis des années, et 20 albums studio. Le problème, c’est que le morceau en question est très très bon.

Blague (?) à part, voici ldonc le XXème album de la bande à Lemmy, Légende incontestable du rock n’ roll, et sans doute la seule personne au monde à avoir parlé à Jimi Hendrix et Elvis Presley tout en continuant à tourner inlassablement partout dans le monde. On peut s’attendre légitimement que leur production discographique soit aussi insignifiante que celles des Rolling Stones, mais ce serait une grosse erreur. Motörhead n’a jamais été aussi bon. Inferno (2004) donnait le ton et enfonçait nombre de jeunes groupes contemporains, et ce Motörized enfonce le clou (qui ne sera pas celui du cercueil de Lemmy : il est immortel).

On sait à quoi on s’attend, en écoutant Motörhead, mais on imagine difficilement réussir à avoir encore plus : Runaround Man offre tout ça et un refrain terrible, qui ferait pâlir d’envie n’importe quel faiseur de hit anglo-saxon. Teach You How To Sing The Blues est la profession de foi de Saint Lemmy, alors que Rock Out reprend la formule classique d’Ace of Spades pour en faire un hymne à l’intention des ptits jeunes de maintenant. English Rose rappelle la légende de Lemmy le séducteur, mais ce qui serait prétentieux et totalement hors de propos est transformé grâce un refrain énorme, qu’on scandera sans honte.

On n’en parle pas assez, mais Lemmy est loin d’être un auteur idiot : When The Eagle Screams s’attaque à l’absurdité des guerres avec un recul étonnant de la part de « ce genre de groupes » (ou l’art de passer outre les stéréotypes), alors que The Thousand Names of God est le morceau critique envers la religion et la guerre (mais est-ce vraiment différent?) de l’album, un thème récurrent chez Lemmy.

Motörhead est encore et toujours au dessus du lot, ils pourraient simplement se contenter de leur réputation et ne plus rien sortir, voir se reposer sur leurs lauriers et devenir un pastiche d’eux même (non, je ne vise pas le groupe chroniqué ci dessous). Non seulement ils ne le font pas, mais sortent à intervalles réguliers de nouveaux albums dont certains arrivent à un niveau étonnant. Motörized est définitivement de ceux là, c’est même carrément un de leurs meilleurs albums tout court. Enfin, courez les voir sur scène : l’expérience est inimitable.

Metallica – Death Magnetic

C’est tellement facile de se moquer de Metallica. Ils n’ont plus rien pour eux, malgré deux des meilleurs albums de l’histoire du metal. Quels sont les chefs d’accusation? Avoir rendu le metal très accessible (autrement dit, s’être vendu corps et âme) avec un album truffé de morceaux assez faciles et d’une (sainte horreur) ballade, s’être lancé dans le rock country discutable, avoir sorti un album qui ne ressemble à rien, s’être totalement ridiculisé dans un (fantastique) documentaire, et, last but not least pour les internautes, l’affaire Napster. N’en jetez plus, la coupe est pleine.

Death Magnetic devait changer tout cela. D’abord, ils ont (enfin) changé de producteur, Rick Rubin remplaçant Bob Rock. Ensuite, on a souvent entendu les mots « Master » et « Puppets » lors des interviews durant l’enregistrement, ce qui pouvait être considéré comme prometteur. Puis les premiers morceaux sont arrivés, mais on s’est promis d’attendre l’album avant de juger. Maintenant, il est là : dix morceaux, dont neuf dépassant les six minutes, deux atteignant même les neuf. Le tout est de l’écouter, autant que possible, sans préjugés.

Et là, on se surprend presque à rêver. That Was Just Your Life sonne comme un vieux Metallica. Vraiment vieux, genre 1986. Le riff est là, le groove est même meilleur. James Hetfield se met même à chanter très vite, on jurerait être tombé sur un Slayer. Il sonne un peu usé, mais Kirk Hammett retrouve enfin la possibilité de faire un solo, parfois, il n’en faut pas plus pour raviver la flamme. Mais une flamme, ça s’entretient, et on va vite déchanter.

The End Of The Line m’a bien fait rire, parce que le riff, qui arrive après 42 secondes est immense. Mais il est aussi méchamment pompé à Pearl Jam (Why Go). Petit à petit, les éléments irritants se font sentir. Hammett a ses solos, c’est vrai, mais il a aussi une pédale wah wah qui aimerait sans doute se reposer une fois de temps en temps. Ulrich montre aussi bien vite ses limites, quand on le compare à d’autres batteurs de la génération suivante, comme Joey Jordison, par exemple. Broken, Beat and Scarred a ses moments, mais pâtit de paroles absolument abyssales. Puis, la longueur des morceaux semble assez artificielle : couper certains passages aurait été pertinent.

Mais rien de tout ça ne pouvait préparer au premier single, The Day That Never Comes, sorte de mauvais hybride entre One et Nothing Else Matters, se distinguant par un Hetfield à la limite du supportable (« The day that never comes-aaaah »). On s’était habitué aux morceaux sans solos de St Anger, maintenant on doit faire avec les solos interminables, difficilement justifiables et en plus assez limités. Heureusement, Metallica Inc. s’est bien rendu compte qu’il fallait banker sur les rumeurs de retour aux sources, c’est ainsi que All Nightmare Long comprend d’entrée des éléments de trash : ça va très vite, mais bizarrement (ou pas, ils ne sont plus tout jeunes), ça s’arrête aussi sec. Le refrain sauve les meubles, et en fait un des meilleurs morceaux d’un album assez éclaté, et dont la seconde moitié est, disons, discutable.

Le tandem Cyanide/The Unforgiven III suit, comme un mauvais poisson d’avril. J’enfonce le clou, ou une porte ouverte, mais Hetfield (ou qui que ce soit responsable des paroles) doit vraiment faire des efforts, parce que ça ne marche pas du tout. C’est bien le même type qui a écrit Ride The Lightning? Disposable Heroes? Je voudrais presque faire ressortir la vieille théorie de l’enlèvement alien. De plus, James joue vite, et Lars est tellement limité qu’on se demande s’ils jouent ensemble. Enfin, non, on ne se demande plus rien du tout…

The Unforgiven, on s’en souvient, c’était une des power ballads du Black Album, et on l’a bizarrement fait suivre par la version II sur Reload. Voici la 3.0, et devinez quoi? Elle craint. Non, mais là elle craint vraiment. C’est pompeux, lourd, commence par un piano, des cordes et des cuivres (pourquoi pas, mais pas comme ça…) et on se met à regretter St Anger. Et Load. Nan, j’déconne.

Si l’album se finissait ici, il serait déjà long, mais non non, on a encore vingt minutes. The Judas Kiss est insignifiant, Suicide & Redemption rappelle que Metallica a écrit d’excellents instrumentaux (Orion, The Call of Ktulu, To Live Is To Die), mais n’y arrive plus, et enfin, My Apocalypse apporte une bouffée d’air frais : cinq minutes à peine, et un bon rythme suivi, qui ressemble un peu trop à un Slayer fort fatigué, mais au point où on en est, on ne discute.

L’album n’est donc pas folichon : on se demande si Metallica n’aurait pas du continuer à faire autre chose, que tenter de réveiller un cadavre qui voulait juste qu’on lui foute la paix. Load, Reload et St Anger, au moins, étaient différents. Ici, on a juste un mix de différentes époques du groupe, joué par la plus faible incarnation de Metallica depuis leurs débuts (et Rob Trujillo n’a rien à voir là-dedans, on ne l’entend pas).

Pour empirer la situation encore un peu plus, je me dois de mentionner la masterisation de l’album, totalement calamiteuse, et adhérant parfaitement au concept de Loudness War. Rick Rubin est un grand habitué de la chose, certains de ses albums (Californication, par exemple) étant excessivement mal fichus en cd. On aura peut-être un meilleur son avec le vinyl, mais si vous vous demandez pourquoi le son sature, et pourquoi le snare a tendance à clipper, voilà la réponse, merci au Team Rubin.

Allez, sortez-nous un album entièrement acoustique la prochaine fois, au moins, on aura moins à dire.

The Verve – Forth

L’ambiance au sein de Verve, c’est un peu comme Police à la grande époque (quoique rien n’a changé, apparement) : tout se monde se déteste, mais on fait comme si. C’est d’autant plus vrai entre le chanteur-diva Richard Ashcroft et le guitariste Nick McCabe, à un point tel que le groupe s’est déjà séparé deux fois, pour revenir ensuite.

Mais The Verve, dans l’imaginaire collectif, c’est surtout le mégahit de 1997 Bitter Sweet Symphony et un album imparable et truffé de tubes, Urban Hymns, qui leur a offert un nouveau public, car ils végétaient depuis deux albums dans une scène indie/psyché UK.

Forth est leur quatrième album (on notera le subtil jeu de mot), et tente de concilier la recherche mélodique rassembleuse d’Urban Hymns au psychédélisme débridé des débuts. Sur le papier, ça se défend, mais malheureusement, enfer, route, bonnes intentions et tout ça…

Sit And Wonder entame très bien l’album, on retrouve je jeu de guitare aérie de McCabe avec une section rythmique dense et tendue. Ashcroft fait son messie, mais c’est ce qu’il fait, c’est comme ça. Les parties instrumentales sont très efficaces, et Ashcroft atteint rapidement un paroxysme limite Morrisonnien. On en redemande, des comme ça.

Hélas, après arrive cet infâme single, Love Is Noise, et ses tics vocaux invraisemblablement insupportables. Quel producteur peut laisser ça dans un produit fini? Apparemment, un qui doit partager les mêmes champignons que le groupe… Love Is Noise est vraiment naze, transparent et répétitif. Ou comment avoir tout et rien en l’espace de deux morceaux. Forth est un peu comme ça, switchant entre passages insignificants à une certaine brillance instrumentale (Noise Epic, au final stupéfiant), de ballades sans âme à d’autres nettement plus envoûtantes (Numbness).

Forth est nettement moins user-friendly que Urban Hymns, c’est un fait et ce n’est pas désagréable en soi (on ne sait pas écrire deux The Drugs Don’t Work dans une carrière), mais de là à faire un peu n’importe quoi, c’est autre chose. Surtout que, et cela ne surprendra personne, tout cela sonne assez prétentieux, comme si Verve et (surtout) Ashcroft avaient encore une quelconque relevance dans le paysage musical actuel.

Forth est frustrant, parce qu’il montre un groupe capable de faire des bonnes choses, mais qui oublie (à de rares exceptions près) la plus simple recherche mélodique, et se perd en morceaux à rallonges et en mauvaises rimes. Vu que le groupe va probablement encore se séparer, prouvant ainsi les véritables raisons de la reformation, on ne s’épanchera pas de trop, mais Forth est juste inutile, pire, il est à la limite de l’embarras, les mauvais choix dépassant les bons moments.

The Verve a cité George Byron auparavant, ils ne l’ont malheureusement pas suivi : all farewells should be sudden.

Slipknot – All Hope Is Gone

Cela ne nous rajeunit pas, et tout ça, mais l’année prochaine marquera le dixième anniversaire du premier album de Slipknot. Ce fut un choc sensationnel, à l’époque. Neuf types issus de Fucktown, Iowa, en boilersuits numérotés et munis de masques inspirés de différents classiques d’horreur faisaient un boucan pas possible et se distinguaient pas leurs concerts invraisemblables où les membres n’étaient jamais ensemble sur scène en même temps : dans le public, sur les hauts-parleurs, au-dessus des échafaudages, on en trouvait partout.

Leur image n’était pas la seule chose remarquable : leur début, Slipknot, était innovateur et le second (Iowa) restera sans doute à jamais un des albums les plus heavy/malsains jamais enregistrés. Ensuite, ils se séparèrent momentanément, et rien n’allait plus jamais être comme avant. Les deux personnalités qui, musicalement parlant, sortaient du lot se sont fait un nom ailleurs. Le batteur Joey Jordison créera le glam-metal Murderdolls et jouera pour (excusez du peu) Korn, Ministry, Metallica ou encore Marilyn Manson, tandis que Corey Taylor (et le guitariste Jim Root) se retrouve dans Stone Sour, combo de rock mélodique assez léger.

Toutes ces influences se retrouvèrent dans le bien mou Vol 3., et donc, on attendait un retour au heavy, qui avait de plus été annoncé par le percussioniste psychopathe Sid « Clown » Crahan. Force est de constater de Crahan n’a pas vraiment dit la vérité. Oui, All Hope Is Gone comprend son lot de riffs et de grosse caisse, mais il sonne souvent plus Stone Sour que Stone Sour. Ce n’est peut-être pas nécessairement un mal, mais ce n’est plus vraiment Slipknot.

On commence très heavy, avec Gematria (The Killing Name) qui est vraiment excellent, violent, puissant et encourageant. Mais très vite, on sombre. On avait pris l’habitude des voix claires, et même si cela peut surprendre, Taylor chante très juste. Mais souvent, on tombe carrément dans le classic rock. Á peu de choses près, on prend Psychosocial ou Dead Memories et on a le Black Album. La question est, est-ce une bonne chose? Ils retombent parfois dans l’expérimental à la Iowa (Gehenna) ou dans le très heavy (This Cold Black), mais pour les faire suivre de Snuff, qui sonnerait ridiculement léger et emo pour… Stone Sour.

On a l’impression que Slipknot a voulu faire de All Hope Is Gone un récapitulatif ce qu’ils pouvaient faire, de l’étendue générale de leurs capacités. En résulte un manque de cohérence, et un sentiment permanent de montagne russe. Le bon con cotoie de douteux et le carrément dispensable, et on se tournera rapidement vers leurs deux premiers albums, quand « concession » ne faisait pas encore partie de leur vocabulaire. Si All Hope Is Gone est leur épitaphe, elle n’est vraiment pas adaptée. Dommage.

Bloc Party – Intimacy

Hop là, encore un! Quelles que soit les opinions individuelles sur le filesharing, difficile de ne pas être d’accord sur ce point : des artistes qui annoncent la sortie de leur nouvel album trois jours après, c’est fantastique. C’est donc au tour de Bloc Party de s’y lancer, quelques jours après leur single Mercury. Ce dernier annonçait des influences assez dance (comme Flux avant lui), Intimacy va permettre de les vérifier. Ares commence puissamment, avec une programmation électro implacable, et la voix de Kele Okereke qui joue au ping-pong entre nos oreilles. C’est puissant, dansant, entêtant, et cela ne ressemble ni à l’indie-rock-acéré Silent Alarm ni au plus atmosphérique A Weekend In The City. Bloc Party nous prépare encore un album très spécial.

On connaissait donc déjà Mercury, et force est de constater qu’avec sa basse ronflante et son rythme endiablé, il fonctionne mieux dans le contexte de l’album qu’en single solitaire, surtout quand les cuivres font leur étrange entrée. Mais j’entends déjà la grosse question post-Kid A : elles sont où, les guitares? Pas loin. Halo rappelle les heures de Silent Alarm, mais en nettement, nettement plus puissant. Voilà un groupe qui a grandi, et qui s’est terriblement amélioré, entre autres grâce au fameux difficile second album.

Okereke conserve ses habitudes au niveau des paroles : assez cryptiques, elles demandent assez clairement qu’on leur foute la paix, comme le titre de l’album peut le confirmer. Okereke a déclaré dans une interview qu’Intimacy était son break-up album, et on peut supposer que les supputations aussi incessantes que futiles sur sa sexualité l’ont également inspiré. Bloc Party a toujours laissé la musique parler d’elle-même, et c’est tant mieux : Biko rappelle la mélancolie sous fond de delay de guitares de So Here We Are, accentuant la variété impressionante du début d’album. Les éléments électro continuent à être présents, et on peut parfois craindre qu’ils déforcent un peu le propos, les beats de Biko sont peut-être un peu trop appuyés.

Trojan Horse, quant à lui, fait la parfaite synthèse entre l’atmosphère aérée du second album, les guitares du premier (quoiqu’ici sérieusement déformées) et la touche dance de leurs dernières productions. On notera aussi une insistance à refuser les constructions classiques : on se perd parfois au sein d’un morceau pour ne pas toujours s’y retrouver, ce qui n’est pas un défaut pour autant. One Month Off ressemble à un étrange mélange entre AC/DC et eurohouse, mais ça marche, très bien même. Intimacy est clairement un album dansant (dans sa majorité), et même si cela semble bizarre, c’est tout à fait réussi.

La fin de l’album est épique. Better Than Heaven commence par rappeler Depeche Mode mais se termine dans un maelstrom sonore totalement jouissif alors que Ion Square est peut-être le meilleur morceau de leur phase (si l’on peut dire) électro, en plus d’incorporer un poème de e.e. cummings.

Bloc Party réussit ici un troisième album impressionnant, rappellant l’énergie des débuts, y ajoutant des accents électro sans perdre leur pertinence. Ils ne sont pas encore arrivés à produire leur chef d’oeuvre, mais ils peuvent le faire, ils l’ont en eux. Encore un peu de patience…