Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

N.E.R.D. – Seeing Sounds

Tout le monde connaît Pharrell Williams. Il y a cinq ans, une étude montrait que plus de 40% du top radio US était passé entre ses mains, faisant de lui le Midas du hip-hop mondial. Depuis, Timbaland et Kanye West lui ont un peu volé la vedette, et son album solo n’a pas vraiment fait l’unanimité. Qu’à cela ne tienne, Pharrell a rappelé ses troupes (Chad Hugo, alias l’autre moitié de son duo de production The Neptunes et le rappeur Shay) pour ce troisième album de NERD, le « groupe » de Pharrell, entendons son projet avec des vrais instruments et des vrais gens derrière.

In Search Of était roots, Fly Or Die nettement plus étrange. Seeing Sounds est pile entre les deux. L’album commence par un Pharrell expliquant la synesthésie qui donne son nom à l’album avant qu’une ligne de basse monumentale montre la voie : celle du groove. Il ne faut plus grand chose d’autre qu’un ordinateur pour faire un album, Pharrell le sait, mais ici il fait exactement le contraire. Tous les sons auraient pu être obtenus autrement, mais non, les beats sont réels, ainsi que la basse et la guitare, souvent vicieuse. On retrouve également d’autres trouvailles neptuniennes, comme des vieux synthés limite space rock, une disto dans la voix et un soupçon de folie.

Pharrell chante au-dessus de tout cela, et se débrouille pas mal, en ne forçant pas trop sur son falsetto. Mais c’est un album de groove, et quelques beats sont affolants : Everyone Nose, Spaz, Laugh About It rendraient dingue n’importe quel dancefloor.

Vers la moitié de l’album, on peut observer un virage vers des morceaux plus lents, mais on ne parle pas de (argh) R’n’B, plutôt de soul et de funk: les répères sont Michael Jackson (Yeah You) ou Prince. Malgré tout cela, et des influences qu’on entend sans trop savoir les situer, Seeing Sounds n’est pas un album-plagiat et comprend suffisamment d’originalité, comme Anti Matter et son riff rappellant (si!) Mudhoney. Enfin, Chad et Pharrell ont eu l’intelligence de ne pas trop marquer l’album niveau zeitgeist, lui conférant une impression générale d’éternité : Kill You fait penser à Run-DMC ET aux Beatles.

Tout n’est pas parfait, ni aussi percutant (la seconde moitié s’essoufle), mais le bon domine le reste, et prouve que Pharrell n’a rien perdu de son talent. Seeing Sounds est un excellent album, versatile et intelligent.

Weezer – Weezer

Un nouvel album de Weezer, c’est avant tout un plongeon dans le psyché de Rivers Cuomo, auteur/compositeur/geek en chef, qui a décidé de ne pas donner de nom à l’album, pour la troisième fois. Après le bleu, le vert, voici donc le rouge. Ensuite, c’est aussi une interrogation après les relatives (et moins relatives) déceptions des précédents. On n’a pas spécialement envie que Weezer revienne au style des débuts, mais faire mieux que Beverly Hills, ça serait bien quand même.

Troublemaker, annoncé erronément comme premier single, sera sans doute le second : sympa mais sans grand intérêt, ce qui n’augure rien de bon pour la suite. Mais en parlant de suite, Rivers en a dans les idées : The Greatest Man That Ever Lived est de loin le morceau le plus complexe du groupe, et ferait passer Bohemian Rhapsody pour un morceau des Ramones. Petit résumé : intro au piano / grime avec sirène et Cuomo qui rappe (mal) / guitare sèche / un choeur big band / un falsetto à la Mercury avec la guitare de Brian May / un couplet punky / j’en passe et des meilleures / un spoken word sur un solo de basse / une polyphonie à la (encore) Bohemian Rhapsody / encore d’autres trucs, et un final tout en riffs metal.

C’est étrange, mais assez bien réussi. On peut regretter que certaines idées n’ont pas été développée en chansons entières, mais on est surpris, ce qui est toujours agréable. Pork and Beans suit, et est sans doute le meilleur single de Weezer depuis Hash Pipe, voire même avant. On peut se moquer des paroles de Cuomo, mais le morceau n’est pas mal du tout.

Problème : l’album ne garde pas du tout le même niveau. Heart Songs, une ballade (évidemment) est sauvée par son thème, à savoir une liste des artistes et chansons qui ont influencé Cuomo, dont un couplet entier sur un extrait d’un album sorti en 1991 avec un bébé nu sur la pochette (réponse sur carte postale à l’adresse habituelle). C’est bien parce que ça parle personnellement à beaucoup de monde, sinon, délit de kitscherie intense. Que dire d’Everybody Get Dangerous, alors? Rivers rappe encore, les paroles sont pourries et le middle eight me rappelle Papa Roach. Papa Roach! Evidemment, comme souvent avec Rivers Cuomo, il est difficile de savoir s’il faut prendre tout cela au premier degré, mais si je voulais de la parodie, j’irais écouter Weird Al.

La suite et fin de l’album est assez oubliable et fort peu inspirée. Rivers cède le micro sur deux morceaux, mais il n’aurait pas du. Ok, quasi chaque morceau possède au moins un bon plan, mais cela reste assez médiocre. Ceci dit, comparé à l’innommable Make Believe, c’est un mieux indéniable. Mais c’était mieux avant, ma ptite dame.

Panic At The Disco – Pretty. Odd.

Je sais, je ne suis pas censé écrire sur Panic At The Disco, mais j’ai une bonne raison : depuis qu’ils ont supprimé le point d’exclamation dans le nom, la police du bon goût nous autorise officiellement à en parler. Ben non, c’est juste que 1) l’album n’a plus rien à voir avec ces falloutboyeries emo auxquelles le groupe été accolé et 2) il n’est pas mal du tout.

Il débute par une référence métatextuelle : « We’re sorry we’ve been gone / We were busy writing songs for you / … / You don’t have to worry / We’re still the same band. » We’re So Starving est non seulement un avertissement pertinent, mais une référence évidente à Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, intro de l’album du même titre, lui-même nouvelle référence étonnante du groupe.

En effet, non seulement Brendon Urie peut chanter comme Paul McCartney dans un bon jour, mais les références beatlesiennes période Sgt Pepper’s sont légion : trompettes, rythmes ou parfois une certaine complexité de structure. Il suffit d’écouter le début de The Piano Knows Something I Don’t Know pour s’en persuader, et quand la référence vient d’ailleurs, c’est de la britpop anglaise des années 90 (That Green Gentleman).

Mais l’album n’est ni un pastiche ni une copie sans âme : Nine In The Afternoon est terriblement catchy, She’s An Handsome Woman plein de vie, Do You Know What I’m Seeing arrive à sonner classique mais pas (trop) kitsch. On pourrait être un peu fatigué par le caractère baroque de l’ensemble, et par une certaine longueur, mais l’effort fourni est suffisamment important pour être remarqué. De plus, le bon submerge largement le reste, comme le très Beach Boys Behind The Sea fait oublier I Have Friends In Holy Spaces : trompette et ukulélé = un peu too much quand même. On est toutefois surpris par la qualité de l’écriture, qu’on attendait pas de leur part : She Had The World est vraiment bon, et c’est loin d’être le seul.

En fait, le gros point positif, c’est la folie ambiante : ils ne font rien d’attendu, de prévisible, surtout quand on pense à leurs antécédents. Behind The Sea mute en plein milieu et est suivi par un « intéressant » mais apparemment ironique Folkin’ Around. Cependant, Pretty. Odd. est long, et pas facile à digérer du premier coup, comme si (et c’est sans doute le cas) le groupe avait voulu caser le plus d’éléments possible : ça déborde un peu de partout. On ressent aussi un effet de dents de scie : le très bon cotoie l’oubliable.

Pretty. Odd. n’est pas l’album de l’année, mais, pour emprunter un terme de sport US, Panic At The Disco est clairement le Most Improved Player de la saison 2008, à défaut de son MVP.

Mudhoney – The Lucky Ones

Le légendaire label Sub Pop fête cette année ses vingt ans, et quelle meilleure célébration qu’une double sortie d’un de ses plus illustres représentants, les « survivants du grunge » (ce qui est faux à au moins deux niveaux, mais ça me fait marrer) Mudhoney. On a donc d’un côté une ressortie remasterisée et bonustrackée du très influent Superfuzz Bigmuff, et de l’autre un tout nouvel album, leur neuvième, The Lucky Ones.

Avec Mudhoney, on s’attend à du rock roots, intense, à la pédale de disto omniprésente. Et c’est exactement ce qu’on a ici, en encore plus roots et intense que d’habitude. Là où l’album précédent ajoutait des cuivres, ci c’est du pur putain de rock, remontant tout droit au MC5. On se souvient que le chanteur Mark Arm avait participé à la réunion de ces derniers, et on retrouve dans sa voix toute l’intensité requise. Arm, vingt ans après, est toujours aussi habité. Et tant pis s’il ne chante pas toujours très bien : le rock n’est pas une science exacte.

Inside Out Over You est aussi proche du son Mudhoney que possible. Bruyant, sludgy, organique, tout l’album sonne live et vrai. La section rythmique est toujours aussi monumentale, et la classe naturelle de Steve Turner s’exprime grâce à ses guitares tantôt agressives, tantôt Neil Youngiennes (We Are Rising) ou lorgnant du côté de Sonic Youth.

Forcément, on ne va pas réinventer la roue. Rien de ce qui se retrouve dans cet album n’aurait pu se retrouver au coeur des seventies, mais on sait ce qu’on aura, et on l’a, à la perfection. Tales of Terror est une bombe rock ‘n roll, qui rend futile toute innovation pendant trois minutes.

Mudhoney n’est pas un groupe grunge du tout (qui l’a d’ailleurs été?), mais juste un très bon groupe de rock, qui a très bien vieilli et qui continue à sortir de bons albums, selon leurs envies et leurs propres termes.

Foxboro Hot Tubs – Stop Drop and Roll!!!

Comment faire quand on a sorti un des plus gros albums des dix dernières années, comment le suivre? C’est déjà la seconde fois que Green Day se retrouve face à cette situation (Dookie fut un énorme succès début des années 90, Insomniac beaucoup moins), mais cette fois, la méthode utilisée est toute autre. Voici quelques mois, des morceaux téléchargeables de Foxboro Hot Tubs, groupe à influences et imagerie 60s très poussées se retrouvaient un peu partout en ligne. La voix du chanteur (entre autres éléments) ressemblant fort étrangement à celle de Billy Joe Armstrong, les suspicions n’ont pas tardé, surtout qu’ils nous avaient déjà fait le coup avec The Network. Les légers doutes qui pouvaient subsister ont été balayés avec la sortie physique de l’album, Armstrong ayant confirmé par ailleurs que FHT, c’est bien Green Day et leurs deux musiciens additionnels de scène. On va donc s’en contenter en attendant la suite d’American Idiot, et ce n’est peut-être pas plus mal.

Les influences stylistiques démontrées ici ne sont pas surprenantes : Green Day les a toujours revendiqué, de l’accent anglais des débuts jusqu’à la reprise des Kinks (Tired of Waiting for You). Elles sont juste majoritaires ici, loin des prétentions métaphysiques d’American Idiot. On est donc en présence du pur rock ‘n roll, avec accords de puissance crunchy et paroles à l’unisson. C’est hautement sympathique, et parfois, on n’est pas très éloigné du registre de Green Day (Mother Mary), on a même l’impression d’entendre des démos avant que Rob Cavallo ne les godzillise.

Par définition, les morceaux et l’album sont assez courts : on ne s’ennuie pas, et on ne doit pas se fatiguer à suivre les tournants narratifs du dernier album. Ceci dit, les influences c’est bien, les pastiches aussi, mais Alligator sonne exactement comme You Really Got Me (qui non, n’a pas été écrit par Van Halen). Un peu too much quand même, mais bon, Foxboro Hot Tubs n’est pas vraiment censé être pris au sérieux : c’est juste la récréation d’un groupe qui doit avoir une sérieuse pression sur les épaules.

Stop Drop and Roll!!! est un exercice de style réussi, doublé d’un album complètement anachronique mais très sympathique, et nous rappelle que tout au long de leur longue carrière (vingt ans, quand même), Green Day aura sorti nettement plus de bon que de mauvais. Foxboro Hot Tubs est une ligne en plus dans un cv bien rempli, en attendant le « vrai » nouvel album.