Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Thrice – The Alchemy Index Vol 3 Air & Vol 4 Earth

Le post-hardcore n’a jamais sonné aussi post. Après les deux premiers quarts sortis l’an dernier, Thrice conclut son ambitieux projet avec les éléments air et terre, qui comme les deux autres prennent un cd de six morceaux chacun, créant ainsi un tout cohérent, c’est en tout cas le but.

Comme pour le feu et l’eau, les thèmes ne sont pas qu’un prétexte : les morceaux appartiennent tous à leur élément, ce qui se réflète souvent jusque dans le titre (Broken Lungs, Silver Wings, Digging My Own Grave). De plus, l’ambiance musicale correspond : les morceaux de Fire étaient violents, ceux de Earth presque entièrement acoustiques.

On peut forcément être dubitatif face à une telle ambition, qui peut se confondre avec de la prétention démesureée : on est face à un quadruple album de vingt-quatre morceaux qui semble arrangé assez artificiellement. On pourra toujours leur tenir ce reproche, un peu comme on peut critiquer Mars Volta pour leurs titres invraisemblables et morceaux à rallonge. Reste qu’à l’écoute de l’album, on sent une cohérence, et un ensemble fort.

Pour les deux parties qui nous occupent (Fire et Earth étant évoqués ici), AirIllusion Of Safety, The Artist In The Ambulance). Thrice arrive à trouver un bon compromis entre expérimentation (cela peut sembler évident, mais aucun morceau d’Alchemy Index n’est vraiment “facile”) et relative accessibilité. A Song For Milly Michaelson, par exemple, aurait très bien plus se retrouver sur Adore (Smashing Pumpkins), sans la voix geignarde de Billy Corgan, et est un bon exemple du caractère – fatalement – aéré du disque. Ajoutons à ça la force de Broken Lungs ou la mélodie captivante de Daedalus (morceau intégralement passionnant) et on ne serait pas loin de penser qu’Air est le meilleur quart de l’album.

Earth, comme déjà évoqué, est majoritairement acoustique, et rappelle parfois l’atypique Howl, de Black Rebel Motorcycle Club, en plus mélancolique : c’est une autre occasion pour Dustin Kensrue de montrer qu’il sait faire bien plus qu’hurler, sa voix se prête à beaucoup de choses, dont le quasi soul Moving Mountains. Sans trop sombrer dans le pathos, l’ambiance est largement dans l’introspection, ce qui fait de cette partie une autre réussite, encore plus qu’un Fire “simplement” violent et Water un peu trop dissolu.

Après un Vheissu déjà ambitieux, mais finalement en demi-teinte, Thrice a réussi une oeuvre d’une ampleur majeure. Elle a le défaut de ses ambitions, certainement, mais ils ont le grand mérite d’avoir été jusqu’au bout de leurs idées. Il est donc très difficile de voir quelle direction sera suivie dans le futur, mais une chose est sûre : on devra être attentif, car Thrice confirme qu’il est un des groupes actuels les plus intéressants et intrigants.

Supergrass – Diamond Hoo Ha

C’est un grand classique du hype, tous les éléments sont rassemblés. Un groupe qui a déjà de la bouteille (douze ans depuis leur premier single, quand même), dont le dernier album était très introspectif, et aux antipodes des sensibilités pop-rock auxquelles il nous avait habitué. Ajoutons-y quelques troubles d’ordre privé et inissons avec un morceau s’appellant The Return Of Inspiration, et la conclusion est limpide : Supergrass is back. Alors? Not quite.

Oui, les guitares reviennent en force, et avec elles une envie indéniable d’écrire des morceaux rapides, enlevés et moins sérieux. Pour cela, ils choississent un ton assez seventies, assez glam. Pourquoi pas, mais une fois de plus, la route vers l’enfer est pavée, etc etc. D’abord, les morceaux sont quand même moins solides qu’avant. Oui, le BITE ME de Diamond Hoo Ha Man est jouissif, mais le gimmick s’efface vite, comme les effets de guitare qui deviennent vite répétitifs.

C’est dommage, parce qu’ils sont toujours capables d’écrire de très bons morceaux pop, comme un Ghost Of A Friend dylanesquement chanté, ou le mouvementé Whiskey And Green Tea. Et c’est encore plus dommage, parce que Diamond Hoo Ha (c’est quoi ce titre, en plus?) est le moins bon album du ‘Grass jusqu’ici, dans une discographie très recommandable qui a atteint l’excellence (In It For The Money, un des meilleurs albums British des 90s). Ici, on voit juste un groupe qui en a envie, certes, mais qui peine à se renouveler, à (re)trouver sa place. Ce qui n’est pas bon du tout.

Vampire Weekend – Vampire Weekend


Qu’est-ce qui est hype en 2008 : le courant vaguement dancerock anglais, Foals et Does It Offend You Yeah? Oui, mais non. On va une fois de plus se tourner vers New York, où les jeunes gens de Vampire Weekend sont prêts à s’asseoir sur le trône de Sir Julian et sa troupe.

Comme Pitchfork le dit assez justement, Vampire Weekend n’est pas un album durant lequel l’auditeur va crier au génie toutes les trois secondes, où va penser être un présence d’un nouveau Surfer Rosa ou OK Computer. Mais il l’écoutera deux fois par jour, sans jamais se lasser, pendant des mois. Ce qui est peut-être encore plus rare.

L’originalité de VW, c’est justement de revêtir une esthétique proche des Strokes, mais en incorportant des éléments qui n’ont pas du tout l’habitude d’être là, notamment des influences africaines : la batterie sort tout droit de l’école Tony Allen, et le ton de la guitare, souvent claire et espacée, renvoie aux traditions sénégalaises, sud-africaines ou maliennes, dont Amadou et Mariam ne sont que les plus connus sous nos nuages.

Mais VW, c’est tout sauf de la world music : ce n’est pas parce que qu’ils citent de nom Peter Gabriel qu’il ont signé chez Real World : la guitare et le refrain de Campus aurait pu se trouver de Is This It. Certains morceaux sont d’ailleurs nettement plus poussés, niveau influences africaines, comme Cape Cod Kwassa Kwassa (même si faire rimer Louis Vuitton et Benetton casse un peu le charme) ou Bryn et la ligne claire. On retrouve aussi des claviers discrets, et une voix qui rappelle parfois Julian Casablancas ou Pete Doherty, tout en gardant sa propre identité, qui se retrouve aussi ou niveau des textes.

L’album est adorable, les cordes de M79 pourraient rendre Hillary Clinton de bonne humeur, et il est soigné de bout en bout, même si quelques petites répétitions se font sentir çà et là : c’est un premier album, il faut s’en souvenir. Il n’est pas parfait non plus, mais l’excellence de I Stand Corrected ou Walcott valent bien un ou deux morceaux de remplissage. De là en découle son principal problème : il va bien falloir le péréniser, et la formule deviendra vite fatigante. Mais ça, c’est pour plus tard, maintenant, réjouissons-nous simplement de ce vent de fraîcheur aussi charmant qu’inattendu.

The Presidents Of The United States Of America – These Are The Good Times People

Oui, ils sont toujours là. Après un petit succès indépendant dans les années 90 (vous vous rappelez de Lump et Peaches?), ils auront connu une traversée du désert assez longue, mais Love Everybody (2004) leur aura redonné, si pas le succès, une certaine visibilité et la possibilité de continuer à tourner et sortir des albums, celui-ci étant le cinquième.

C’est aussi une belle petite surprise. Il est efficace, reprend tout ce qu’on peut attendre d’un album du groupe tout en étant leur plus varié. Même si le fondateur Dave Dederer a quitté le navire, remplacé par Andrew McKeag, lls gardent leurs instruments à cordes habituelles (guitbass et basitar, wikipedia le fera mieux que moi), mais ajoutent des éléments de ska (Sharpen Up Those Fangs), de music-hall (Flame Is Love) et même un duo soul avec la chanteuse Fysah Thomas (Deleter).

Mais c’est un album des PUSA. Donc, trois accords, simplicité et efficacité mélodique, paroles surréalistes et souvent assez tordues, parlant d’animaux (Ladybug, Poor Turtle) d’amour (Mixed Up SOB, French Girl), ou de ballon d’hélium (Loose Balloon).

Limité, certes, mais efficace et bien exécuté, tout ce qu’on demande. Et je parie que le nouveau Weezer ne sera pas aussi bien, hélas. Cet album au titre trop long d’un groupe au nom trop long est très sympathique à défaut d’être révolutionnaire, et une fois de temps en temps, cela fait un bien fou. Tout en me fichant un nouveau coup de vieux.

R.E.M. – Accelerate

Á chaque fois qu’un nouvel album d’un groupe majeur et assez ancien sort, on essaie toujours de caler les mots “retour en forme”. Parfois en dépit du bon sens (Pearl Jam), parfois par espoir déçu (Metallica depuis dix ans au moins). Dans ce cas-ci, on parlerait plutôt de retour en puissance : on ne peut pas vraiment dire que les trois derniers albums de R.E.M. étaient mauvais, mais plutôt expérimentaux et pas spécialement faciles à écouter. Ok, ils n’étaient pas non plus à la hauteur du passé. Le temps seul dire si Accelerate l’est, mais il est de loin l’album le plus péchu du groupe depuis Monster.

Malgré quelques bons moments (The Great Beyond, Imitation Of Life, l’album Up), le R.E.M. post-New Adventures In Hi-Fi (qui correspond au départ du batteur irremplacé Bill Berry) a manqué de pertinence, voire de cohérence. Rien de toute cela ici. Une bonne demi-heure de musique, onze morceaux où prédominent les guitares énervées : on sent un… retour en forme.

D’ailleurs, le tout début de l’album rappelle celui de Monster, tant l’intro de Living Well Is The Best Revenge fait penser à What’s The Frequency Kenneth? Heureusement, on quitte vite les souvenirs de prétentions maladroites pour entendre un R.E.M. revigoré, qui n’a jamais sonné aussi bien comme trio. Basse très rythmique, guitare puissante et un Michael Stipe inimitable mais précis et décidé. Man-Sized Wreath étonne par sa rapidité d’exécution, alors qu’Angus Young voudra sans doute récupérer le riff de Supernatural Superserious, un classique immédiat du groupe, le genre de morceau qu’ils semblent écrire dans leur sommeil depuis plus de vingt ans.

Même si les six cordes dominent, on retrouve, mais avec plus de pertinence, des claviers rappelant les dernières expériences d’Around The Sun. Houston en est un très exemple, mais on sent que le groupe possède une envie, une volonté qui semblait manquer à l’époque. D’ailleurs, alors que la production récente du groupe était assez mid-tempo, on ne retrouve qu’une seule ballade, qui n’est d’ailleurs pas vraiment le sommet de l’album. Hollow Man, quant à lui, commence tranquillement avec une simple guitare acoustique avant d’offrir le refrain le plus entêtant qu’on ait entendu depuis bien trop longtemps.

Accelerate est rapide, on l’a compris, et se conclut sur le binôme Horse To Water/I’m Gonna DJ. Le premier rappelle étrangement un autre vieux groupe mais qui a très mal vieilli, alors que le second est connu depuis belle lurette car joué depuis 2005. Il termine le tout sur une note positive : “Music will provide the light you cannot resist”, on ne peut qu’acquiescer.

Alors oui, Accelerate est sans trop de doutes le meilleur album de R.E.M. depuis la fin du XXème siècle. Mieux encore, il redonne envie. Envie au groupe de refaire de la musique avec passion, mais aussi envie de réécouter l’ensemble de leur catalogue, d’une grande richesse peut-être inégalée. Accelerate fait tout ça, en plus d’offrir à 2008 un de ses meilleurs albums rock.