Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

British Sea Power – Do You Like Rock Music?

Ce début d’année 2008 est assez calmes en sorties majeures, et même mineures d’ailleurs. Mais il n’aura fallu attendre que deux petites semaines avant qu’un des meilleurs disques de 2008 ne voie le jour, et ceci quelle que soit la qualité de la production de cette année. British Sea Power a toujours été considéré comme un secret bien gardé, un très bon groupe peut-être un peu trop enfermé sur lui-même. Do You Like Rock Music? ne va pas changer ce second point, mais son excellence pourrait leur valoir une plus grande reconnaissance.

Arcade Fire. Le groupe qui mouillait toutes les culottes des journalobloggers indie il y a deux-trois ans, vous voyez? En 2 minutes 11 secondes, l’intro de l’album fait plus que Neon Bible. Et ce n’est pas une critique facile d’Arcade Fire, qui reste un groupe tout à fait décent, mais ici, on est carrément dans une autre ligue. Les morceaux ne sont jamais évidents, car complexes et intelligents, mais ils restent toujours basés sur des mélodies pop parfois phénoménalement imparables.

Lights Out For Darker Skies est justement assez proche d’Arcade Fire, mais un Arcade Fire qui ne voudrait simplement que jouer dans la salle du coin, et pas au Madison Square Garden avec Bono et Springsteen. Le morceau est intense, et transporté par une guitare en crescendo démoniaque. 6 minutes 36, mais on ne s’ennuie pas une seule seconde. No Lucifer pourrait être carrément pop, mais dans un monde assez malsain, dangereux. BSP reste un groupe rock avant tout, et les instruments classiques dominent. La section rythmique est irréprochable, et on n’est pas surpris d’assister à quelques vrais explosions sonores, peut-être que la présence d’un Godspeed You! Black Emperor aux manettes en est une des causes.

Mais les comparaisons avec le groupe de Montréal s’arrêtent assez vite. Down On The Ground est plus direct, limite adorable, et The Great Skua est aussi prog que son nom indique. Mais un prog eminemment écoutable. Atom, premier extrait (via l’EP Krankenhaus) en est peut-être le morceau le plus immédiat, mais il reste complexe. La preuve qu’une grande chanson dépend souvent d’une grande mélodie. L’album se clôture comme il a débuté, ou plutôt avec la suite de All In It : We Close Our Eyes.

Ces deux signets englobent parfaitement une oeuvre complète, dense, intense mais immédiate, qui n’a certainement pas livré ses secrets. Dans onze mois, il ne faudra oublier janvier sous aucun prétexte, et 2008 va devoir faire fort, très fort.

The Pyramids – The Pyramids

Parfois, on tombe sur des albums qui semblent venir de nulle part. The Pyramids, deux tiers de Archie Bronson Outfit, en ont fait un. Très bruyant, très sec et cru, The Pyramids est une bombe immédiate, qui allie l’urgence des éphémères Death From Above 1979 à la vitesse malsaine des Sonics, avec les accroches psycho-mélodiques de Clinic chantées par un Win Butler echappé de l’asile. En tout cas, c’est l’impression qu’on peut avoir au début de l’album, où chaque instrument semble venir d’un différent cercle de l’enfer. A White Disc Of Sun, même s’il traîne un peu en longueur, est emmené par un riff monolithique destructeur, et ça fait du bien où ça passe.

Hunch Your Body Love Somebody enfonce le clou, avec un rythme effrené, frénétique alors que Gala In The Harbour Of Your Heart réussit même à ajouter une mélodie. Ceci dit, l’album ne dure que 31 minutes, et réussit à compter un peu de déchet, comme Guitar Star, 3 minutes 30 assez inutiles, mais la densité est là, jusqu’au dernier morceau, Glue You, noyé dans un sublime feedback.

Court, imparfait, inégal, mais quel album.

Thurston – Trees Outside The Academy

Sonic Youth, pour un groupe qui serait censé avoir rangé ses pédales depuis longtemps, est en forme majeure. Les derniers albums sont excellents, et montrent une sensibilité mélodique qui n’a pas été très souvent vue tout au long de leur carrière. Thurston Moore, guitariste et vocaliste du groupe, dort son second album solo, douze ans après le premier. Et comme on pouvait s’y attendre, il est différent de SY tout en étant très Thurston Moore, qui ne signe d’ailleurs que de son seul prénom.

Enregistré chez J Mascis, l’album ne comporte que peu de guitares bruyantes. En fait, le violon est l’instrument majeur sur quelques morceaux, joué avec une émotion palpable par Samara Lubelski. Moore ne fait parfois qu’accompagner avec sa guitare, toutefois toujours inimitable. Parfois, il pose sa voix, comme s’il venait se se souvenir vers la fin d’un morceau qu’il pouvait chanter aussi.

Honest James, duo avec Christina Carter (Charalambides) ne montre d’ailleurs ses voix qu’après quelques minutes, alors que le magistral morceau-titre, dédié à Ian Curtis, est lui carrément instrumental. Moore montre son talent, mais sans forcer du tout. L’album est personnel, mais accessible, beau et intense, complexe et simple. Mascis ne place qu’un seul solo, mais d’anthologie (The Shape Is In A Trance), car l’album n’est pas placé sous le signe de la virtuosité d’un musicien impressioniste mais pas professeur. D’autres guitaristes se voulant star devraient s’en inspirer.

Bon album discret avec un dernier morceau amusant, montrant l’intérêt précoce de Thurston Moore, 13 ans, pour le son en tant que tel. Il allait devenir un des musiciens les plus respectés du rock alternatif.

Guerilla Poubelle – Punk = Existentialisme

Le rock français a mauvaise réputation. Souvent enclin à mal imiter les courants commerciaux anglo-saxons, leurs représentants connus se couvrent de ridicule localement et n’arrive pas à passer les frontières. De plus, l’ombre immense de Noir Désir plane au-dessus de tout le monde, et s’émanciper ne doit pas être chose aisée.

Il n’empêche qu’il existe une scène underground très remuante, notamment une mouvance punk gravitant autour de Guerilla Asso et comprenant les fondateurs Guerilla Poubelle, ou encore Dolores Riposte ou Justin(e). GxP, pour faire court, vient carrément de sortir un des meilleurs albums punk de ces dernières années, un brûlot phénoménal alliant efficacité musicale et textes engagés.

Musicalement, cela reste basique, mais c’est forcément le concept, il n’empêche qu’on ressent jamais de déjà vu en écoutant l’album, porté par des riffs destructeurs et une section rythmique très solide. L’album débute par un manifeste, Punk Rock Is Not A Job (les textes sont tous en français), avant que des morceaux à caractère social ne suivent, comme Tapis roulant, ou les non équivoques Libéral et propre et Cogne sur un flic pas sur ta femme (« Tu parles à ta blonde comme à une merde / Tu parles à ton chien comme à un roi »). L’équipe Z s’attaque aux imbécillités d’appartenance à un groupe, soit-il sportif ou national, alors que Être une femme continue ce thème féministe étonnant mais franc et rafraîchissant.

Dans le genre, un album parfait.

Sigur Rós – Hvarf/Heim

C’est très difficile de parler d’un album de Sigur Rós. D’abord, à moins de parler soit islandais soit leur langage imaginaire (ce qui n’est pas mon cas, surtout pour le second), on ne comprend rien de ce qu’ils racontent, donc, ça fait déjà quelques lignes d’analyse poétique en moins. Ensuite, vu qu’ils sont islandais et que leur musique n’est pas à proprement parler fort marrante, on doit éviter les clichés genre glaciers, fjörds, geysers et Björk. Presque aussi ardu que de parler de Pete Doherty. Enfin, la raison principale : leur musique est tellement magnifiquement intemporelle qu’elle défie l’expression, comment pouvoir en parler, la décrire décemment?

Un truc : parler des faits. Hvarf/Heim n’est pas exactement leur cinquième album, mais une double compilation. D’un côté, cinq morceaux inédits ou rares, et de l’autre, six versions acoustiques de morceaux déjà parus. Loin d’être une collection de rejets, Hvarf possède deux morceaux immenses. Í Gaer, tout d’abord, qui appelle l’esprit de Mogwai pour en faire six minutes aussi bruyantes que mélancoliques ; Hljómalind ensuite, sans doute leur morceau le plus simpliste mais qui accroche par sa mélodie et une basse que n’aurait pas renié Radiohead. Les autres extraits sont peut-être moins percutants (même si l’épique Von est tout aussi excellent), mais en ne sélectionnant que cinq morceaux, il n’y avait que peu de risques de trouver quelque chose de mauvais.

200px-Heim-coverCeci dit, il est tout aussi facile de détester Sigur Rós, notamment en s’attaquant au chant de Jónsi Birgisson, ou au concept même tournant autour du groupe. De plus, un double album avec cinq raretés et six versions acoustiques, c’est un peu n’importe quoi, surtout pour un groupe qui peine à se renouveller. Hvarf est assez accessible, cependant, par rapport à d’autres morceaux du groupe : même si Hafsol dure presque dix minutes, on ne s’y ennuie pas une seule seconde, et le crescendo final est impressionnant.

Heim est plus intime, mais aussi moins transcendant. Staralfur sort du lot, mais parce que la version originale était déjà phénoménale. Sinon, ça se traîne, et Birgisson est même carrément à côté de la plaque sur Von.

Drôle d’idée que cet album, dont la seule (et douteuse) raison d’être est l’accompagnement du DVD Heima. Il comprend des morceaux de brillance, mais sa relative inutilité joue contre lui, tout comme une seconde partie tout à fait remplaçable. On attend mieux.