Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Radiohead – In Rainbows

On va passer très vite au dessus du contexte qui entoure l’album, pour deux raisons : d’abord, parce qu’on a déjà entendu tout ce qu’il faut savoir, sur Music Box Off et ailleurs, ensuite, et surtout, on parle ici du nouvel album de Radiohead, le premier en quatre ans, et c’est tout ce qui compte maintenant. Première remarque : seulement dix morceaux. On en aura une dizaine de plus lors de la sortie du discbox, début décembre, mais en attendant, on peut trouver ça court, surtout que huit des dix morceaux ont déjà été joués en concerts, et sont donc largement disponibles.

15 Step ouvre l’album, et nous emmène en terrain connu, pour une fois, avec une intro toute en beats. Thom Yorke murmure des paroles cryptiques, mais les premières notes de guitares nous transportent très vite : même si il a fallu passer par Kid A pour arriver là, il n’aurait pas pu s’y trouver. Radiohead est de retour, et avec lui un son inimitable, difficile à décrire : Nigel Godrich et les cinq d’Oxford ont truffé les morceaux de bidouillages sonores en tous genres, sans négliger le silence et l’atmosphère générale, ce qui sépare Radiohead du reste du monde. Bodysnatchers est sans doute le morceau le plus « guitares » depuis OK Computer, évidemment sans y ressembler. sorte de cousin bruyant de The National Anthem (pour la basse), Bodysnatcher rocke, et Thom chante clairement, ce qui manquait, franchement. La batterie de Phil Selway est toujours aussi exceptionnelle de précision, et conduit le morceau vers un final apocalyptique (« I see they’re coming! ») en passant par un duel de guitares jouissif entre Ed O’Brien et Jonny Greenwood. Enfin, probablement, car avant de les voir en concert, il est difficile de savoir qui fait quoi.

Le premier morceau de magnificence totale arrive juste après. Nude, un vieux morceau prédatant OK Computer et joué quelques fois en concert sous d’autres appellations, dont Big Ideas (Don’t Get Any), est tout simplement beau. Beau comme le groupe n’a plus voulu en faire depuis Street Spirit (Fade Out). C’est d’ailleurs une des caractéristiques de bien nommé in Rainbows, peut-être l’album le plus positif du groupe depuis, depuis toujours, en fait. Certains passages sont assez sombres, mais l’impression générale est plus détendue. Surprenant, mais agréable. Nude est gentiment emmené par une basse chantonnante, et des guitares minimalistes avant que des cordes fassent envoler le morceau vers le milieu. Simplement, parfaitement, magnifique, y compris dans la voix : on l’avait oublié, mais Yorke est un très bon chanteur.

On pourrait écrire un paragraphe par morceau, car aussi cohérent puisse-t-il être, No Rainbows peut aussi s’écouter à petites doses. Weird Fishes/Arpeggi exemplifie Radiohead : beats de batterie, basse, guitares légères mais cette fois avec un espace aéré, qui permet au morceau de respirer. Forcément, un album comme ça, ça ne s’enregistre pas en trois minutes dans un garage, mais faut-il encore réussir dans la complexité. Ici, rien à redire.
All I Need est un autre bon exemple du retour de Thom Yorke chanteur, sa voix en crescendo faisant merveille sur une nappe de claviers et une basse qui pulse (Colin Greenwood est, avec son compère Selway, la base de Radiohead, c’est indéniable). Le milieu de l’album est assez posé, comme on l’entend sur Reckoner, ancien morceau complètement retravaillé avec, notamment, l’ajout de percussions. House Of Cards change la donne, et étonne avec son rythme limite reggae, ce qui fait que le morceau est étrangement détendu, et sonne encore moins comme le Radiohead qu’on pensait connaître. Videotape conclut l’album de manière phénoménale, quatre notes de piano qui ont le potentiel de hanter l’esprit de quiconque y prêtera une oreille distraite.

In Rainbows est un grand album. Il n’a pas le potentiel d’innovation de OK Computer ou Kid A, mais il occupe, comme les autres, une place à part dans la discographie du groupe : on ne peut pas dire qu’ils reviennent à un style, ils sont juste Radiohead, poussant encore plus loin leur créativité, après un Hail To The Thief peut-être un poil décevant. On appréciera l’étonnante ambiance positive de l’album, tout en attendant avec impatience les quelques nouveaux morceaux qui restent à entendre. Mais il est peu probable qu’un album surpassera In Rainbows cette année.

Robert Pollard – Coast To Coast Carpet Of Love & Standard Gargoyle Decisions

Robert Pollard ne peut pas s’empêcher de sortir des albums, mois après mois, années après années. On pouvait peut-être croire que sa décision d’enterrer Guided By Voices allait le calmer, mais non, bien au contraire, car il sort ici ses cinquième et sixième albums de l’année, sous différents alias. On savait qu’il était un adorateur des Who, mais ici, les deux albums sont dédiés à deux facettes de sa personnalité, à savoir ses côtés Beatles et Stones. Concept intéressant, surtout à la sauce Pollard.

Non seulement il est incapable de s’arrêter d’enregistrer, mais il ne sait pas non plus réduire le nombre de morceaux sur ses albums. 33 au total ici, dont peu dépassent, comme d’habitude, les trois minutes. C’est Pollard : on trouve une mélodie, un riff, un truc ou deux, puis on passe vite au suivant. Coast To Coast Carpet Of Love, le disque « Beatles » donc, est plus proche de GbV que l’autre : des pop songs simples, directes, efficaces et peu produites. Le caractère Beatles, comme le Stones du suivant, est à prendre très relativement : mis à part quelques ambiances, comme dans Exactly What Words Mean, on a du mal à vraiment trouver le rapprochement. Il s’agit donc plus d’un état d’esprit qu’une véritable inspiration.

Robert_Pollard_CD_cover Ceci dit, on pourra sans doute préférer Standard Gargoyle Decisions, où Pollard n’hésite pas à sortir les guitares et les pédales, comme sur Psycho Inertia, par exemple. Il s’amuse aussi, en faisant un peu n’importe quoi avec sa voix, ou en expérimentant en distortions diverses et variées… Il arrive quand même à caler une ballade acoustique terriblement lo-fi à la fin, avant de finir avec sans doute le meilleur morceau du lot, Spider Eyes.

Sans édition, sans trop de réflexion, la logorrhée de Pollard ne semble pas vouloir s’arrêter. Même s’il faut parfois faire le tri, on préfèrera toujours ça à l’arrivée du jour où ce génie pop toujours méconnu se taira.

Oceansize – Frames

Fait : Oceansize est un des meilleurs groupes rock du Royaume-Uni. Peut-être le meilleur, avec les autres Mancuniens d’Amplifier. Deux albums, un EP, tous excellents. C’est maintenant l’heure du troisième album, sans trop de pression commerciale. La musique d’Oceansize n’est pas à proprement parler anti-commerciale, mais les morceaux sont longs (de 6″32 à 10″40), sans recherche particulière de refrain. Mais c’est tellement bon. En fait, Frames est proche de la perfection dans ce qu’ils font. tout est extrêmement bien exécuté, chaque instrument prend une place importante, les voix sont bien chantées, et le ton reste poignant, malgré que la musique peut sembler fort technique.

Commemorative 9/11 T-Shirt entame l’album par un long motif guitare/piano, avec que chaque instrument rentre dans la danse, dont la voix, après 3 minutes 30. Difficile de faire mieux, et au moins aussi difficile de mettre des mots sur quelque chose qui doit être écouté, vécu. Si on soit trouver un point de comparaison, on peut penser à Mogwai. Comme les Écossais, Oceansize aime abuser des effets et des variations de volume ; mais eux le font de manière plus progressive, moins brusque, mais au final, tout aussi puissamment. Unfamiliar est là pour le prouver. Oceansize accorde aussi beaucoup d’importance au chant : Only Twin en est d’autant plus chargée émotionnellement; ainsi qu’aux petits trucs musicaux qui font varier et évoluer les morceaux, comme le double bass drum à la fin de Trail Of Fire ou les cordes de Savant, qui lui confèrent un sentiment classique, presque intemporel.

La fin de l’album apporte encore plus de variété, avec l’instrumental expérimental An Old Friend Of The Christies, le schizophrène Sleeping Dogs And Dead Lions (batterie drum and bass, hurlements à la Deftones) ou enfin Frame, un des rares morceaux qui peut être qualifié non péjorativement d’emo.

Alors, que dire d’un tel album? Le groupe s’est peut-être enfermé dans un style musical très personnel, qui ne laisse que peu de place à l’accessibilité. Mais il est tellement bien fait, aussi bien techniquement qu’émotionnellement, qu’on ne peut que l’admirer.

Babyshambles – Shotter’s Nation

Pete Doherty est toujours là. Pour payer son crack, pour assurer sa légende, l’un ou/et l’autre. Shotter’s Nation est vu comme son retour en force, sa première déclaration publique post-Kate Moss, post-30% de la surface totale des tabloïds. Il est vrai qu’il a cette fois opté pour un vrai producteur (Stephen Street remplaçant le navrant Mick Jones) et raccourci l’album : 20 minutes en moins que Down In Albion, et 100% en moins de reggaeman taulard.

De fait, le son est très différent. Le groupe joue en même temps, et en rythme, rien de moins. Bon, Doherty ne sait toujours pas trop chanter, mais cela n’a pas empêché le grand frère Gallagher de sortir quelques hits. De plus, j’aimerais vous y voir, chanter avec la capacité pulmonaire de Doherty. Delivery, single et premier grand moment de l’album, sort tout droit de l’héritage pop anglais, avec une intro très Jam, et des paroles explicitant l’optique prise par Doherty (« This song might deliver me / From the harshness of misery »). Shotter’s Nation permet aussi d’enfin prouver le fait qu’il est capable d’écrire de grandes et belles mélodies, comme Unbilotitled ou Unstookietitled.

Maintenant, même si l’album est amplement supérieur à son prédécesseur, on peu quand même froncer les sourcils à quelques reprises : les paroles de Doherty ressemblent plus au journal intime d’un trentenaire râleur qu’à la poésie dont il nous avait habitué, et son groupe, même si Street le maîtrise bien, n’est pas aussi bon que The Libertines, où la section rythmique était impeccable. Heureusement, Doherty a soigné ses compositions, ce qui permet de ne pas trop s’ennuyer : le sentiment de similitude craint n’arrive pas, grâce notamment à quelques éclairs de génie. Dans cette catégorie, on peut retrouver les passages pied au plancher de Side Of The Road, le très serré Crumb Begging, le jazzy There She Goes ou la ligne de basse Motown funky de French Dog Blues, malheureusement à la recherche du morceau qui va avec, problème récurrent d’un disque encore trop égocentrique.

Bert Jansch contribue au dernier morceau, superbe complainte acoustique qui conclut un album encourageant, même si encore clairement imparfait. Alors, qu’attendre de Doherty? Si on tient cet album en compte, difficile à dire. Il a prouvé qu’il savait faire mieux que Down In Albion, mais pas beaucoup mieux, en tout cas pas au point de justifier sa réputation. Il faut se rendre à l’évidence : le premier album des Libertines ne sera pas égalé, ni par Doherty, ni par Dirty Pretty Things. Une reformation, sans doute tôt ou tard inévitable, fera peut-être l’affaire, mais on peut en douter. Allez, did you see the stylish kids in the riot…

Down – Over The Under

Down n’est pas un jeune groupe, loin de là : il s’est formé en 1991, et si Over The Under n’est que le troisième album, c’est parce que les membres étaient tous occupés dans d’autres groupes majeurs, dont Pantera et Corrosion Of Conformity. Entre 2001, année de leur second album, et 2007, beaucoup de choses se sont passées, notamment dans le chef du vocaliste Phil Anselmo.

Pantera, un des grands groupes heavy US, s’est séparé avec douleurs et rancoeurs, qui ont persisté jusqu’au meurtre du guitariste Dimebag Darrell, assassiné sur scène par un malade mental. Anselmo n’a jamais pu enterrer la hache de guerre avec Dimebag, et certains morceaux de l’album reviennent sur la tragédie, même si indirectement. Anselmo a du également faire face, avec succès, à ses addictions, alors que d’un point de vue plus général, la ville où Down est basé, New Orleans, a connu une énorme tragédie aussi bien météorologique que politique. Le contexte était donc malheureusment fécond, et Anselmo et ses comparses en ont profité pour créer un album totalement monstrueux.

Là où Pantera faisait plutôt dans le hardcore, Down suit les pas de Black Sabbath, reprenant leur science du riff et de la rythmique lourde pour créer un sludge/doom metal puissant, violent et très intense. Anselmo confirme facilement qu’il est un des plus grands vocalistes heavy de tous les temps, et le reste du groupe assure, tout en force et retenue. Il est d’ailleurs difficile de sortir des morceaux du lot, tant le lot est virtuellement sans faute. Le riff de Pillamyd est plus puissant que Katrina, en tout cas, alors que certains passages sont plus atmosphériques, comme le presque prog Never Try (leur Planet Caravan?). Pour revenir à la section rythmique imparable, l’intro de Mourn suffit pour prouver le talent au service du groupe de la paire Rex Brown/Jimmy Bower, tandis que Beneath The Tides évoque les marais de Louisiane, à coups de pédale fuzz. Oui, c’est bizarre, mais c’est vrai. Les neuf minutes finales apportent une respiration bienvenue qui permet de mieux digérer ce qui vient de se passer durant l’heure écoulée.

Over The Under sera sans doute vu comme un retour en force pour Anselmo, qui a littéralement été en enfer avant de revenir. On ne pourra que nourrir d’éternels regrets pour Pantera, mais il conserve un groupe excellent, qui pourrait finalement être son meilleur. Over The Under est, en tout cas, un des meilleurs albums de l’année.