Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Gallows – Orchestra Of Wolves

À une époque où les groupes débutants ont de plus en plus de mal à obtenir un contrat, que penser du fait qu’un groupe hardcore sans concession, comme les Anglais de Gallows se fassent signer sur une major? Sell out, ou survie? On penchera pour la seconde solution, faut quand même bien manger. Surtout que Orchestra of Wolves, sorti l’an passé et maintenant ressorti, n’a pas été modifié : la violence discordante est toujours là, tout comme les hurlements et éructations vocales. On notera juste deux inédits, et une reprise de Black Flag, comme bonus tracks.

L’album n’avait pas besoin d’embellissements, ceci dit, sa puissance intrinsèque suffit amplement, une sorte de Bronx plus chargé emotionnellement (je n’ai pas dit dit emo, attention), maus tout aussi rapide et dévastateur. Gallows, c’est du hardcore pur, pas foncièrement meilleur que d’autres groupes, mais qui se classe dans un des rares genres musicaux qui n’a pas encore été trop corrompu par les affres du marketing. Pas facile à écouter, loin de là, à tendance répétitive mais c’est comme ça, et pas autrement. Les punks de 77 auraient probablement aimé sonner comme ça trente ans après.

Battles – Mirrored

Le petit monde indie US parle de Battles comme le futur du rock, ou quelque chose comme ça. On a l’habitude, évidemment, mais cela n’empêche pas de prêter une oreille attentive : et s’ils avaient raison? Mirrored est le premier album du groupe, après deux EP expérimentaux. Il est composé de quatre musiciens connus pour leurs tendances novatrices, comme l’ex-batteur de Helmet et Tomahawk John Stanier ou le vocaliste/multi-instrumentaliste Tyondai Braxton, par ailleurs fils du jazzman avant-gardiste Anthony Braxton.

Un gros cliché : l’album ne ressemble à rien de connu, à rien de déjà entendu. Tout simplement. Il n’y a pas trop d’électro comme on l’entend habituellement, les instruments traditionnels sont joués live, mais sont ensuite reprogrammés. C’est d’autant plus impressionnant pour la batterie, souvent multi-trackée (Stanier tient des rythmes absolument époustouflants), et pour les voix, souvent déformées au point de sonner comme Roger Troutman sous hélium.

Les morceaux, généralement longs, se déroulent petit à petit, en retournant souvent vers une sorte de fil rouge mélodique, qui rentre par les oreilles et n’en sort plus. Je suppose que c’est donc techniquement pop, comme musique. Mais l’emballage est tellement bizarre, que, oui, finalement, le concept de groupe rock du futur est assez alléchant.

Il suffit d’écouter Atlas, premier extrait de l’album, pour s’en rendre compte. Le morceau est sévèrement dingue, passe par un crescendo impressionnant avant de se conclure par une sorte de résumé des six minutes précédentes. Mais on reste accroché, grâce à une recherche mélodique au moins égale à la technique mise en place. Ddiamondd est encore plus barré, riffs électriques, basse vrombissante, et voix de chimpanzé sous LSD.

Finalement, au fur et à mesure, on finit par trouver des points de repère, comme la troupe expérimentale Animal Collective, ou les différentes guises de Mike Patton, jamais le dernier quand il s’agit de faire des choses bizarres avec sa voix. Certains passages font d’ailleurs penser à l’esprit de Fantômas. Un petit bémol : le milieu de l’album se perd un peu en exercices de style, faits de ralentissements et d’accélérations techniquement parfaits mais peut-être difficiles à digérer. Heureusement, la fin reprend le niveau du début, avec les mélodies de fête foraine de Tij et l’outro Race:Out, qui conclut cet étrange mais ô combien enrichissant voyage.

L’album n’est pas parfait : le milieu de l’album est dispensable, et le groupe n’a pas encore assez d’atouts et de diversité à proposer. Mais Mirrored est d’une originalité sans bornes, et comme premier album, plein de promesses. Certainement un des albums de l’année, on verra si c’est vraiment la musique du futur. En tout cas, c’est aussi celle du présent.

Biffy Clyro – Puzzle

Autant lâcher la conclusion tout de suite : Puzzle est, de loin l’album le plus accessible et le plus « commercial » de Biffy Clyro. Est-ce le moins bon? Peut-être, peut-être pas, mais cela n’a pas d’importance, comme nous allons voir.

En raccourci, Biffy Clyro est, sans ambages, un des meilleurs groupes rock contemporains, ayant influencé plus ou moins tout groupe plus ou moins metallo-avantgardo-postnimportequoi, à commencer par System of a Down, dont le double Mezmerize/Hypnotize devient tout de suite nettement moins original, quand on connaît le trio écossais. Après des débuts postgrunge intéressants, le dernier, Infinity Land, était simplement extraordinaire, d’une originalité sans faille. J’en avais parlé il y a plus de deux ans, apparemment. On pouvait légitimement se demander où le groupe allait aller, après tant de chemin vers l’inconnu. On a maintenant la réponse, et elle surprend.

Puzzle, sans être un mauvais album (loin de là) ne comprend pas de signatures modifiées constamment, des méandres de mélodies, des hurlements effrayants juste après un chant de miel. Ce qu’il comprend, ce sont des morceaux de rock alternatif, avec des vrais refrains, des guitares qui sont là où on les attend, des voix peut-être pas apaisantes, mais en tout cas presque – gasp – prêtes pour un passage radio. Et des cordes. Oui, des violons et tout, comme sur le premier morceau, Living Is A Problem Because Everything Dies. Mais on s’en fiche, en fait, parce que la nouvelle facette de Biffy est très impressionnante, comme s’ils n’avaient jamais fait que ça.

La majorité de l’album ne démentira pas ce principe, Saturday Superhouse est un des meilleurs singles (ça existe encore, des singles?) de l’année, Who’s Got A Match réussit à être (un peu) bizarre et terriblement catchy, avec quand même un passage presque hardcore. L’approche est différente, le résultat aussi, mais la qualité est là. Cela n’empêche évidemment pas la recherche et les petites trouvailles, comme la guitare qui suit les paroles (ou le contraire) de Now I’m Everyone, mais cette fois, ils ne construisent plus des morceaux entier autour de bizarreries. L’album se conclut sur l’expérimental (quand même) 9/15th, et le calme et splendide Machines.

Chaque groupe a besoin d’évolution, sous peine de devenir Oasis. Cela marche parfois bien (Arctic Monkeys, sous réserves), parfois modérément (Manic Street Preachers et la règle « un album sur deux »), parfois nettement moins (Idlewild). Dans le cas de Biffy, il ont grandi, tout en conservant la fougue et l’inventivité de leurs débuts. Ils restent, avec ces morceaux-ci ou les anciens, bien au dessus de la concurrence.

Black Light Burns – Cruel Melody

Pas vraiment la peine de faire des blagues sur Limp Bizkit, leur pathétique vocaliste et leurs très mauvais derniers albums. Mais pour ceux qui ne seraient pas au courant, leurs deux premiers étaient généralement acceptables, en immense partie grâce au guitariste, Wes Borland, qui a inventé un son personnel, proche de la tendance nu-metal tout en s’en différenciant clairement. Son éclaboussait les premiers morceaux de Limp Bizkit : comme John Frusciante, Borland était bien meilleur que le groupe dans lequel il se trouvait.

Après une dispute myspacienne avec Fred Durst, Borland a (semble-t il définitivement) claqué la porte de Limp Bizkit, pour se concentrer sur un projet solo qu’il prépare depuis de nombreuses années. Tout d’abord sous le pseudo Big Dumb Face, dont l’hilarant album Duke Lion Fights The Terror valait bien une écoute ; ensuite en tant que Eat The Day. Ce dernier projet n’a jamais vu le jour, à cause du fait que Borland n’a pas pu trouver un vocaliste qui convienne. Il a donc décidé de se charger lui-même des voix, et de fonder ce nouveau projet : Black Light Burns, signé sur le nouveau label de Ross Robinson, I AM : WOLFPACK.

Mesopotamia montre d’emblée que Borland n’a plus grand chose à voir avec son ancien groupe : au contraire, il semble tirer une partie de son inspiration chez Trent Reznor, comme on le verra encore plus loin. Étrangement, la voix de Borland est aussi comparable à Reznor, ce qui rend Animal assez étonnant, on se croirait presque sur un bon morceau de With Teeth, et ailleurs, on se prend à imaginer ce que serait Nine Inch Nails avec le retour des guitares.

Les talents de guitariste de Borland sont mis en évidence, mais ce n’est nullement un album pour guitariste. Ce sont des morceaux de groupe, et ce dernier est plus que compétent : il comprend quand même Danny Lohner et l’énorme Josh Freese, qui démolit encore tout sur son passage à la batterie. On peut trouver des rapports avec Limp Bizkit, ce qui est logique, Borland ayant été leur principal compositeur. Mais les riffs et breaks nu-metal (enfin, façon de parler) sont employés à bon escient, et pas par pure ambition commerciale. Mark, par exemple, aurait pu être utilisé sur Significant Other, même si l’autre abruti aurait tout ruiné avec son rap inepte. Mais la composante electro (voir Stop A Bullet) éloigne définitivement Borland de ses anciens travaux. L’album se termine sur des morceaux plus expérimentaux, mais tout aussi intéressants, jusqu’au quasi ambient Iodine Sky.

L’album est assez dense, comme si Wes Borland voulait truffer ses morceaux de sons divers et variés, et ainsi prouver ses talents en tant que songwriter et vocaliste. C’est fait, car il semble que Cruel Melody ressemble vraiment à Borland : tourné vers le futur, sans renier le passé. Et un guitariste qui sait chanter, c’est suffisamment rare pour être souligné. Cruel Melody est donc un début encourageant, même si un tout petit peu dérivatif, d’un artiste qui a choisi la voie la plus difficile, mais en ce faisant, pourrait en trouver une, de voix.

Marilyn Manson – Eat Me Drink Me

Il faut bien s’en rendre compte, depuis quelques années, Brian Warner et son freak-show sont tombés en désuétude. Des albums pas folichons, beaucoup trop de reprises pas très inspirées, on était loin du personnage controversé de l’époque Antichrist Superstar (son passage aux MTV Awards est peut-être le plus grand moment de l’histoire du show). Et voilà, sans prévenir, alors que personne ne s’y attendait, il nous envoie en pleine tronche son meilleur album depuis Mechanical Animals, il y a presque dix ans. Si pas le meilleur tout court.

Nettement plus metal, nettement plus bruyant et pourtant très mélodique, Eat Me Drink Me prend par surprise, les guitares sont puissantes, passant facilement de riffs stoner à des solos classiques, avec une grosse composante industrielle, sans doute attribuable à son compère Tim Skold (ex-KMDFM). L’album ne s’attarde pas sur le caractère gothique de l’animal, ce qui devenait, à force, fatigant ; au contraire, seuls quelques claviers et violons rappellent un passé heureusement bien éloigné.

La voix de Manson reste toujours éraillée, et ceux qui ne la supportent pas ne l’apprécieront pas plus maintenant, mais on ne peut pas dire qu’il surchante, cette fois. Il l’utilise pour créer une atmosphère, un peu comme Robert Smith, dans un autre registre, même si les références à Cure sont légion. If I Was Your Vampire est heureusement bien meilleur que son titre, Red Carpet Grave sonne comme si Slash jouait une intro des Libertines avant de remplacer Tony Iommi, et They Say That Hell’s Not Hot est simplement metal, avec un jeu de guitare impressionnant. Les refrains sont mémorables, sans être pute pour autant, ça change, et tant mieux, comme on peut le remarquer dans Evidence.

Bizarrement, le single Heart-Shaped Glasses est en marge, en tant que morceau formaté radio. C’est aussi le moins bon, certainement moins intéressant que Are You The Rabbit, où Manson continue son obsession d’Alice avec des riffs, littéralement, d’enfer. Je pourrais carrément citer tous les autres titres, ce qui est une grand première pour un opus de MM, sans remplissage. Mutilation Is The Most Sincere Form Of Flattery (bon ok les titres, c’est toujours pas ça) allie rythme implacable et mantra ‘fuck you, fuck you, fuck you too’, et étrangement, on a l’impression que Manson le pense vraiment, et semble vouloir relancer une carrière jusqu’ici en déclin. Son apparence physique est aussi moins flamboyante qu’avant, sans doute un signe de refocalisation dans la musique plutôt que l’artifice.

Je n’aurais jamais cru écrire une critique positive d’un groupe qui, même au sommet de sa gloire créatrice, ne m’a jamais impressionné plus que ça. Mais je suis vaguement impressionné par Eat Me, Drink Me, comme quoi, tout arrive.