Archives de catégorie : Chroniques

The Good, The Bad And The Queen

Ne vous trompez pas, ce groupe n’a en fait pas de nom, car ils sont trop vieux pour en avoir un, de l’aveu même du leader, chanteur et claviériste, un certain Damon Albarn. Á bientôt 40 ans, Albarn peut, et doit, déjà être considéré comme un des songwriters les plus importants de la musique britannique, ayant défini la Britpop avec Blur, et prouvé qu’on pouvait faire de la musique commerciale intelligente avec Gorillaz. TGTB&TQ, conçu à l’origine comme projet solo, est sans doute l’album le plus personnel, et sans doute le plus particulier de son longue carrière.

D’abord, un coup d’oeil sur les membres du groupe. Outre Albarn, on retrouve à la guitare l’ex-Verve, ex-Blur (il remplaça Coxon en tournée) et actuel Gorillaz Simon Tong; derrière les futs, le légendaire batteur afrobeat Tony Allen; et à la basse, le non moins légendaire Paul Simonon, The Clash. Le tout produit par Dangermouse, DJ avant garde qui a récemment connu le succès comme moitié de Gnarls Barkley. Impressionnante et étrange combinaison, mais qui fonctionne extrêmement bien.

Dès le début, on remarque que TGTB&TQ n’aura rien (ou presque) à voir avec Blur, Gorillaz, Clash ou autre, c’est un projet hautement personnel de Damon Albarn, qui, comme Parklife à l’époque, est fermement ancré dans son époque (guerres et calamités climatiques comprises) et lieu principal (la vie à Londres en 2007, qui est aussi le thème du nouveau Bloc Party). En conséquence, l’album est sombre, parfois oppressant, rugueux et sans trop de concessions. Ce qui n’empêchera pas quelques rayons de soleil, un peu comme ceux qui arrivent parfois à traverser le smog et éclairer les rues de Soho, un jour d’été comme un autre.

History Song, qui entame le disque, donne le ton : Allen ne se la jouera pas démonstratif, la basse de Simonon se bornera à baliser le chemin, et la guitare de Tong sera plutôt discrète. La voix d’Albarn, quant à elle, est éraillée, semble usée et fatiguée. Un des rayons de soleil mentionnés vient des claviers music-hall employés avec parcimonie et efficacité, comme dans l’intro du magnifique 80s Song, qui rappelle les meilleurs moments mélancoliques de Blur (ah, This Is A Low). Mais cela ne dure pas, et Albarn distille ses conseils, destinés à (sur)vivre ce maudit début de 21ème siècle (« Drink all day, ‘cos the country’s at war », ou encore « Move to the country, the town has told its tale »). Forcément, les thèmes sombres confinent les morceaux dans une certaine similitude, mais cet apparent manque de variété se révèle être un atout cohésif plutôt qu’un défaut.

Tout cela est servi dans une ambiance lo-fi, qui cadre parfaitement avec l’ambiance générale de l’album, Dangermouse ajoutant parfois une petite pointe éléctronique, mais à des années lumière de Gorillaz. Les amateurs de guitare crasse devront attendre le dernier morceau pour avoir quelque chose à mâcher (et encore), mais il serait stupide de leur reprocher : chaque seconde est bien remplie, chaque instrument parfaitement utilisé, et permet à The Good The Bad And The Queen d’être un album impressionnant, un des meilleurs de récente mémoire et bien plus que ça : un futur classique intemporel.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’Albarn arrive à ses fins, et attire Coxon pour que Blur réalise son album final. Une époque s’achèvera, mais la suite a déjà débuté.

The Cooper Temple Clause – Make This Your Own

Il aura fallu presque quatre ans à The Cooper Temple Clause pour écrire un successeur à Kick Up The Fire …, un des premiers albums parus sur ce site, et aussi un des meilleurs. Leurs deux premiers albums étaient, et sont toujours, stupéfiants, fantastiques d’innovation, de puissance et de qualité d’écriture. Le public est passé à côté, sans doute parce qu’ils n’appartenaient pas à une des tendances de l’époque, mais cela n’a pas d’importance.

Ce qui est important, c’est comment le groupe a pu surpasser son passé, et le départ du bassiste Didz Hammond, parti se perdre chez les médiocres Dirty Pretty Things. Constat? FUCK.

Je ne comprends pas. Oh, j’ai connu la merdification de Metallica, d’Oasis, et des tonnes de bons groupes sortent des albums décevants chaque semaine. Mais pas TCTC. Rien ici, ou presque, n’atteint le niveau de ce qu’ils ont commis auparavant. Les morceaux rock (Damage, Homo Sapiens) sont bêtement rock, mainstream, sont le côté novateur qu’on leur connaissait. Les éléments électro, un des gros points forts du groupe, tombent comme un cheveu dans la soupe, et les tentatives de se la jouer mélancolique (pour émuler leur magnifique Into My Arms, par exemple) ne réussissent qu’à être sous-emo (Waiting Game). Et imiter Depeche Mode (Connect), en 2007, ça ne sert à rien. Et dans le genre idées géniales, c’est pas fini : on avait un exceptionnel chanteur (Ben Gautrey), et on le remplace sur 3-4 morceaux par un mauvais Brian Molko. Le syndrome System Of A Down n’est pas encore guéri.

Quand on pense qu’on est perdu pour la cause, on retrouve la bile de Gautrey, perdue au sein d’un morceau long et traînant, mais c’est trop tard. TCTC ont été remplacés par des cylons, qui pensent émuler l’original, mais qui manquent de substance. On va dire ça comme ça, plus rassurant.

Puis, après que la rage passe, quelques dodos/cafés/Reign in Blood plus tard, je repasse le cd (ou dossier de mp3, au choix), et, bon, c’est clairement une déception, mais si jamais on ne connaissait pas le groupe, si jamais ceci venait d’un nouveau groupe de gosses paumés du nord-ouest du Pays de Galles, alors là, on pourrait se dire qu’ils ont de l’avenir. Mais un artiste se doit de tenir en compte son passé, même si c’est parfois excessivement difficile : on comprend maintenant que The Cooper Temple Clause ne sont jamais que cinq types qui ont bien le droit de perdre, momentanément on l’espère, leur génie/talent qui éclaboussait leurs deux premiers disques.

Arctic Monkeys, on vous souhaite bonne chance, vous en aurez tellement besoin.

Minor Threat – Complete Discography (1981-1983)

On dit souvent qu’un tel album est « essentiel », « doit figurer dans tout collection », etc etc. C’est parfois vrai, parfois beaucoup moins. Dans ce cas, c’est complètement et totalement indéniable. Sur un album se trouve la totalité des enregistrements sortis officiellement par Minor Threat, alias le groupe qui inventa le hardcore.

47 minutes, 26 morceaux, et l’idée de jouer le plus violemment, le plus rapidement et le plus intelligemment possible. Minor Threat, emmené par le légendaire Ian MacKaye, faisait de la musique pour le peuple, pour l’underground. Il a permis le lancement du mouvement « straight edge », d’après le morceau du même nom : une éthique de vie qui refuse toute intervention extérieure sur le corps et la personnalité, pas d’alcool, de drogue, de nourriture animale et d’origine douteuse, voire dans certains cas extrêmes, pas de tatouages.

Tout musicien faisait de la musique dite dure doit écouter Minor Threat, et l’a sans doute déjà fait : dans son album de reprises, Slayer a repris quatre morceaux de Minor Threat (en réinterprétant Guilty of Being White dans leur classique ton raciste, soit). Thrice, ou encore Rage Against The Machine (welcome back!) ont aussi repris du Minor Threat.

En écoutant la compilation, qui couvre donc les trois petites années d’existence du groupe (1981-83), on remarque que le groupe a pris de temps d’évoluer, les derniers morceaux étant plus construits, moins directement in your face. Ceci dit, il est évident que la formule était extrêmement limitée, et ne pouvait pas durer. MacKaye saborda donc le groupe, pour former le non moins légendaire Fugazi quelques temps après.

Un petit mot sur Dischord Records, le label crée par MacKaye : depuis le début, il met un point d’honneur à vendre sans intermédiaire leurs artistes, au prix invariable de 10 dollars par album. Et il existe toujours, so fuck the majors (and fuck iTunes).

MacKaye, et Minor Threat ont été d’une importance capitale dans le développement de la musique indépendante telle qu’on la connaît maintenant, autant du côté artiste que du côté business. Leur influence ne doit jamais être oubliée.

The View – Hats Off To The Buskers

J’en ai marre. Non, vraiment. J’aime beaucoup The Libertines, leur premier album est un des meilleurs des 10 dernières années, idem pour Arctic Monkeys. Donc, c’est assez compréhensible que d’autres groupes tentent d’émuler leur succès, critique et/ou public, certains y réussissent d’ailleurs. Mais y en a marre que des groupes pourris pensent qu’ils sont la nouvelle sensation parce qu’ils jouent « garage » (lisez: mal) et qu’ils chantent avec un accent authentique (lisez: on pige rien et c’est ridicule).

Concédons-le, The View ont deux morceaux assez bien fichus, évidemment sortis comme premiers singles (Wasted Little DJs et Superstar Tradesman). Mais le reste est mauvais, alliant voix de chat (écossais) étranglé et accords brouillons. De plus, certains sonnent tellement Libertines (The Don) que Doherty devrait demander à Kate Moss d’aller leur péter la gueule, parce que vraiment, ce n’est pas drôle.
Évidemment, Mark Beaumont du NME aime beaucoup, ce qui est le dernier clou de leur cercueil.

The Beatles – The Beatles (1968)

Que peut-on encore dire des Beatles qui n’ait pas déjà été dit ou écrit? Tout et son contraire, sans doute. Vu qu’absolument tout concernant les différentes sessions d’enregistrement de chaque morceau se trouve déjà décrit avec minutie dans trois tonnes d’ouvrages, je vais ici me concentrer sur un review « classique » d’un album du groupe. J’ai choisi leur album éponyme, mais j’aurais pu évidemment en choisir un autre. Ceci dit, je le trouve particulièrement intéressant, sans doute de par sa longueur, et ses faiblesses inhérentes.

Sans trop s’étaler, il faut garder en tête deux éléments importants de la vie des Beatles pour tenter de comprendre l’album. D’abord, les conflits étaient très nombreux à l’époque : entre autres, jalousie entre McCartney et Lennon, sentiment d’infériorité de Starr, et évidemment l’affaire Yoko, accusée d’exercer une mauvaise influence sur Lennon. Ensuite, leur pelerinage en Inde : les 4 Beatles ont suivi pendant plusieurs mois les enseignements d’un maitre spirituel local, ce qui les a clairement influencés, même si, comme on le verra, leur visite s’est mal terminée.

Back To The Music, et Back In The USSR pour commencer. Composition pop rapide, elle est emmenée, comme la plupart des morceaux semblables du groupe, par la rythmique impeccable du duo McCartney/Starr, mais elle est surtout chargée politiquement, même si le ton n’est pas très sérieux. Dear Prudence suit, et ne pourrait pas être plus différente, calme, douce et poétique. La principale caractéristique de l’album apparait dès ce moment : il est difficile de trouver une quelconque cohésion entre les morceaux, ce qui apporte une variété très intéressante, mais peut aussi dérouter. De plus, il faut savoir que les 4 Beatles ont participé à l’écriture de l’album (même si Ringo n’a écrit qu’un morceau), ce qui peut expliquer cela, même s’ils ont tous écrit dans des styles différents.

Glass Onion est le premier morceau bizarre du double album, et se moque de l’analyse que certaines personnes ont pu faire des chansons des Beatles (« the walrus was Paul », se référant au fameux épisode Paul is Dead). Malheureusement, l’histoire rattrapa Lennon, car Charlie Manson et son groupe de malades mentaux ont basé leur série de meurtres sur leur propre interprétation de l’album.

Juste après, Ob-La-Di Ob-La-Da est la dernière chanson purement pop d’un album qui sombre dans l’étrange : Wild Honey Pie, The Continuing Story of Bungalow Bill, le très politique Piggies, Rocky Raccoon ou encore Savoy Truffle. Aujourd’hui, jamais un groupe aussi populaire que les Beatles ne l’étaient à l’époque oserait inclure tant de bizarreries dans un album (sauf peut-être Radiohead mais eux en ont fait un album complet). Mais The Beatles reste toujours poignant : Blackbird, et surtout Julia, dédiée à la grand-mère de Lennon, comptent parmi leurs meilleurs ballades, tout comme le sous-estimé Long, Long, Long ; et engagé : Sexy Sadie est une violente attaque, à peine déguisée, contre le charlatan indien cité ci-dessus, Revolution 1 une réaction post mai-68 (la version single, face B de Hey Jude, est une terrible offensive rock n roll).

Restent enfin les morceaux immenses. Pour moi, j’en retiens trois, sans aucun doute. D’abord, Happiness Is A Warm Gun, pour son message pacifique puissant et ses changements de rythmes purement extraordinaires, qui influenceront énormément de musiciens, et influencent toujours aujourd’hui (voir le Paranoid Android de Radiohead, justement). Ensuite, While My Guitar Gently Weeps, probablement le meilleur morceau d’Harrison et agrémenté d’un solo d’Eric Clapton. Et enfin, évidemment, Helter Skelter, bombe atomique totale qui créa le heavy metal, exactement comme Tomorrow Never Knows a créé la musique électro.

Il faut toutefois constater que les aléas de l’enregistrement ont poussé le producteur George Martin à inclure quelques morceaux, disons moyens : Don’t Pass Me By est là uniquement pour ne pas que Ringo quitte le groupe, et Revolution 9 est un collage, certes innovateur, mais tout à fait déplacé ici. Il est probable que le morceau soit majoritairement l’oeuvre de Yoko Ono. Enfin, les deux derniers morceaux de l’album ne sont pas à la hauteur de ce qui précède, mais on mettra cela sur le compte de la désorganisation thématique de The Beatles.

The Beatles reste évidemment un album majeur, malgré, ou finalement grâce, à ses défauts. Il montre le talent immense des quatre Beatles dans sa splendeur incontrôlée, tout en montrant le début de la destruction du groupe. Il est très intéressant de noter que l’album suivant, Abbey Road, est sans doute le mieux arrangé, le plus précis dans son édition, surtout lors du Long Medley. Abbey Road contient moins de morceaux mineurs, mais ne laisse pas la même impression que ce The Beatles, oeuvre majeure des Beatles, du popart, et de l’art musical en général. Et je n’ai même pas parlé de la pochette, tiens…