Archives de catégorie : Retro

Chroniques d’anciens albums

Radiohead – OK Computer (1997)

Radiohead.okcomputer.albumartOK Computer a tout juste dix ans, et plutôt que de perdre son temps en rééditions, Radiohead a préféré sorti un nouvel album, ce qui est une très bonne idée. D’ailleurs, pas besoin de réédition pour parler d’un des albums les plus importants, impressionants et influents des années 90. On ne le savait pas encore à l’époque, mais OK Computer marquait la transition entre le Radiohead post-grunge de Pablo Honey et The Bends vers le groupe aventureux de Kid A.

Fortement influencé par des artistes électro comme DJ Shadow, les morceaux de l’album comprennent tous des touches électroniques, parfois discrètes mais parfois cruciales, comme pour l’ouverture d’album Airbag, ou Paranoid Android, qui le suit. Á l’époque, on l’a comparé à Bohemian Rhapsody, par rapport aux différentes parties qui le composent. Mais la comparaison est faible, Paranoid Android est bien plus important, mais une fois de plus, les mots ne suffisent pas, il faut l’écouter, comme tout l’album, en fait.

Exit Music (For A Film) est un des morceaux les plus poignants jamais composés : le début nous empêcher de respirer, puis à 2"50, une basse vrombissante soulève le morceau avant que le final ne l’envoie dans des cieux rarement atteints. Une pure merveille alliant technique et émotion, comme l’etouffant Climbing Up The Walls, ou l’étourdissant No Surprises. Karma Police est un morceau simple, mais qui se termine par des bruitages étranges, comme un avant-goût de ce qui allait arriver ; de même, Electioneering rappelle les vieilles guitares en les mettant à jour.

C’est assez étrange d’évoquer OK Computer aujourd’hui. À l’époque, on louait son caractère innovant, mais maintenant, quand on voit l’oeuvre dans son ensemble, on voit que c’était une étape cruciale dans l’évolution de Radiohead. Pour réussir à réunir le meilleur des deux mondes, il sera peut-être toujours considéré comme leur meilleur, mais Radiohead est un groupe pour lequel la hiérarchie des albums n’a que très peu d’importance.

L’étape la plus importante restait à venir, et une des plus grandes surprises du rock contemporain. Kid A.

 

Paranoid Android

 

Exit Music (For A Film) 

Radiohead – The Bends (1995)

Radiohead.bends.albumart

Radiohead est l’archétype même de l’artiste qui évolue constamment. Peu de groupes, peut-être aucun, ne l’a fait autant et aussi bien. En quatre articles, je vais tenter de décrire ce qu’ils ont fait en une dizaine d’années, pendant lesquelles ils sont devenus l’artiste le plus inspirateur depuis que Robert Johnson a rencontré Satan.

On passera le premier album, Pablo Honey. Il n’est certes pas du tout dénué de qualités, mais il pâtit de la présence de Creep, morceau emblématique et rejeté maintes fois par ses concepteurs. De plus, l’album suivant, The Bends est peut-être le plus grand album à guitares jamais réalisé. C’est d’ailleurs difficile à comprendre, quand on sait que le groupe a quasi eliminé toute guitare de l’album Kid A, mais il faut dire qu’après The Bends, il n’auraient pas pu continuer dans ce style : la perfection ne peut pas être améliorée.

L’album commence doucement, avec Planet Telex tout en délai de guitares, comme un Edge sous stéroïdes, et des couches de claviers, qui ne sont que la première étape de processus de mutation. Comme tous les morceaux de Radiohead, la base basse/guitare est très importante. Versatile, la paire Colin Greenwood/Phil Selway n’a que très peu d’égal, il faut chercher loin pour en trouver (Chancellor/Carey, peut-être). Mais ce sont les guitares qui fount tomber tout le monde. Thom Yorke, Ed O’Brien et Jonny Greenwood y participent tous trois, avec des talents et des rôles différents, Greenwood étant le manipulateur en chef, rôle qui ne fera que s’accroître avec le temps. The Bends, le morceau titre est simplement parfait, et plus loin, les différentes guitares de Just sont admirables, y compris un solo injouable et complètement étrange. Ces deux morceaux, avec le post-grunge Bones, forment l’épine dorsale bruyante de l’album, et en fait les derniers gros morceaux rock jamais composés par le groupe. Comme évoqué plus loin, ils en avaient fait le tour.

Le reste de l’album est remarquable : des morceaux d’une pureté totale comme High And Dry, (Nice Dream) ou Street Spirit (Fade Out) ont forcé la création de trois millions de groupes, dont Coldplay. Merci, les gars… My Iron Lung, qui est en fait sorti en EP pile entre les deux albums, se moque ouvertement du succès de Creep, en reprenant sa base mélodique et en ajoutant des paroles comme "This is the new song / Just like the old one / A total waste of time. Parce que Yorke fait dans l’humour noir, quand on arrive à percer le mystère de textes qui, c’est vrai, sont encore compréhensibles. De même, il chante très bien, et arrive à transporter tout un spectre d’émotions dans un seul couplet. Tout cela va aussi évoluer, on le verra.

 
On parlait de Coldplay tout à l’heure, mais Black Star, vers la fin de l’album, a crée Muse, exactement comme Tomorrow Never Knows a crée la musique électronique. Enfin, Street Spirit (Fade Out), qui clôture l’album, est une des plus belles ballades jamais écrites. Immerse your soul in love… Il faudra attendre douze ans, et le tout nouveau In Rainbows, pour que Radiohead retrouve ce type d’ambiance. Ce qui ne veut pas dire que les quatre albums suivants ne valent rien, bien au contraire : OK Computer sera encore plus important que celui-ci.

The Bends reste un album exceptionnel, d’un groupe exceptionnel. Même si on ne comprend pas, ou si on n’adhère pas à leurs changements de style à venir, la perfection (oui, perfection) de l’album est difficile à nier. C’est un des meilleurs albums jamais réalisés, surtout au point de vue guitaristique.

The Bends

Street Spirit (Fade Out)

Joy Division – Unknown Pleasures (1979)

UnknownpleasuresAlors qu’on approche le trentième anniversaire du premier album de Joy Division, différents événements nous évoquent le groupe. La sortie du film Control, réalisé par Anton Corbijn, mais aussi la mort de Tony Wilson, le légendaire propriétaire de Factory Records et celui qui a découvert et popularisé Joy Division. Ces raisons sont amplement suffisantes pour se plonger dans un groupe exceptionnel, qui influence toujours des tonnes de groupes, notamment Interpol ou Editors.

Joy Division, c’est surtout Ian Curtis, génie disparu trop tôt, comme souvent. Il s’est pendu à 24 ans, d’une manière tristement prévisible. La musique, et les textes de Curtis n’étaient pas très marrants, et ont fini par être prophétiques. Unknown Pleasures, premier des deux albums du groupe, est sombre, glacial, romantique et mélancolique.

Ce n’est même pas la peine d’isoler un morceau, tant c’est l’ensemble qui est important, qui est impressionnant. La batterie métronymique et truffée de reverb, la basse lead de Peter Hook et les coups secs et brusques de la guitare de Bernard Sumner ont été fabuleusement mis en valeur par le producteur Martin Hannett, qui a créé une atmosphère tellement désagréable qu’elle en devient attirante. La voix de Curtis plane au dessus de tout cela, comme un Jim Morrison conscient de sa propre mortalité. Il suffit d’écouter la fin de Day Of The Lords, avec Curtis qui répète "Where will it end?" sans fin. Curtis, qui à une vingtaine d’années, était déjà capable d’écrire une terrible réflexion sur la vieillesse, le temps qui passe : Insight.

L’intensité ne diminue jamais, que dire de New Dawn Fades, de She’s Lost Control (avec un intro électro en avance sur son temps), du caverneux Shadowplay. Le final enfonce le clou, si l’on peut dire : I Remember Nothing, 6 minutes puissantes, pleines de vie, de mort, de tout ce qu’il y a entre les deux. On dit souvent que certains albums peuvent changer une vie, ce qui est généralement ridicule, ou alors, ça prouve que la vie en question ne valait pas grand chose. Unknown Pleasures a changé des vies, et va encore continuer à le faire.

Interzone

Pink Floyd – The Piper At The Gates Of Dawn (1967)

PinkFloyd-album-piperatthegatesofdawn_300Pink Floyd. Je n’aime pas Pink Floyd. Les grandiloquences scéniques, les solos qui n’en finissent pas, The Wall, les morceaux connus, ceux qui ne le sont pas, Waters et Gilmour, tout ça, c’est pas mon domaine, vraiment pas. Oh, j’ai rien contre un peu de prog (mais un peu), mais là, non. Ceci dit, je considère Syd Barrett comme un excellent compositeur, qui a réussi à détruire quelques barrières avant de devenir littéralement dingo et passer les trente dernières années de sa vie en réclusion chez sa mère.

Barrett n’a en fait joué que sur le premier album de Pink floyd, avant qu’il soit effectivement remplacé par David Gilmour. The Piper At The Gates Of Dawn est aussi, mais de peu, le plus digeste. Car parfois, derrières les artifices, on trouve quelques chansons, et même des mélodies. Il faut parfois chercher, mais quand on se rend compte des progressions d’accords étranges et novatrices d’Astronony Domine, on n’est pas loin de crer au génie.

Et un génie, ça fait de tout. Y compris trafiquer les sons avec des échos et de la reverb, parler de son chat, balancer des solos de synthé à la masse (Richard Wright) et raconter la vue d’un gnobe s’appellant Grimble Gromble. Mais aussi tirer dix minutes d’un riff efficace mais limité (Interstellar Overdrive) ou faire quand même n’importe quoi (Pow R Toc H). D’un autre côté, Barrett est capable de sortir des pop songs par essence, comme The Gnome, Bike, ou les singles non album Arnold Payne et See Emily Play, deux deux plus grands moments du compositeur. On peut retrouver ces derniers dans la toute récente version 40ème anniversaire, qui comprend l’album en mono original, un mix stéréo et un troisième cd de singles, faces B et raretés.

Mais rien ne me fera changer d’avis : Pink Floyd me semble fort surrévalué, et même si Piper a ses moments, l’album est trop cinglé (et pas dans le bons sens) pour vraiment fonctionner. Dans cette optique, le pire restait à venir, mais je préfère ne pas m’y aventurer, vu le trolling probablement élevé que cet article va provoquer. Mais au moins, j’en aurai parlé.

Astronomy Domine

 

Blondie – Parallel Lines (1978)

Blondie_-_Parallel_LinesÀ l’heure qu’il est, on doit sans doute être en train de remasteriser/fouiller les archives pour l’édition spéciale 30 ans à venir l’an prochain. Qu’importe, Parallel Lines est un de ces albums qui ne sonnera jamais daté, autant en parler maintenant. Pour des raisons imbéciles et sexistes, Blondie évoque souvent seulement Debbie Harry, et le reste, on devrait s’en foutre pas mal. Ben non, on ne s’en fout pas, parce que non seulement c’est un des meilleurs albums des seventies, mais aussi et surtout un précurseur New Wave qui fera encore des vagues vingt ans plus tard, quand des gosses new yorkais pas encore appelés The Strokes trouvent l’album par hasard.

Il suffit de comparer le premier – et meilleur – album des Strokes à ceci. Même désintéressement apparent et froid du vocaliste, mêmes guitares acérées et minimalistes, même rythme sec, même basse bondissante. Avec des différences, forcément, mais l’influence est telle qu’il est impossible de ne pas la remarquer. La pochette d’Is This It, malgré la tentative, restera nettement moins iconique que celle de Parallel Lines, qui voit la reine de glace, Debbie Harry, devancer ses discrets compères (dont même le look inspirera les Strokes) sera devant un fond de lignes parallèles noires et blanches. Un classique.

Debbie Harry, donc. Sex appeal sur vinyl (ou cassette, ou cd, même sur mp3). Il suffit de l’écouter sur One Way Or Another, et puis se demander ce qu’on a pu trouver à Madonna. Quand elle ne prend pas ce ton détaché, elle subit l’influence des groupes pop 60s (Picture This) ou se lance dans le légendaire falsetto démoniaque de Heart Of Glass. Mais malgré ce dernier, Parallel Lines n’est pas pop pour un sou : même s’il reprend quelques uns des tubes du groupe, on retrouve suffisamment d’innovations étonnantes, comme l’intro synthé/guitare immense de I Know But I Don’t Know, 1978 personnifié, les beats (oui, beats) de Fade Away And Radiate ou le heavy metal vs le thème de Batman (série TV) qu’est Will Anything Happen. Ou le rock n roll pur I’m Gonna Love You : pas innovant mais totalement jouissif. Un seul point noir : du au succès en club du 12" Disco Remix de Heart Of Glass, quasi toutes les versions de l’album comprennent ce remix, inutilement alongé. Mais cela tient plus du détail.

Parallel Lines est un album stupéfiant, qui, s’il devait sortir la semaine prochaine, ne perdrait rien de sa fraîcheur, ce qui représente un cas de figure excessivement rare. Définitivement un des meilleurs albums de la période, et dont l’influence ne s’est jamais démentie à ce jour.

 
 
I Know But I Don’t Know