R.E.M. – Part Lies, Part Heart, Part Truth, Part Garbage 1982–2011

R.E.M., c’est donc fini. Jusqu’à l’inévitable réunion lucrative, disent déjà les plus cyniques. Peut-être, on verra bien. Mais là, maintenant, R.E.M. a tiré un trait sur trente ans de carrière à l’aide de cette compilation qui se veut, pour la première fois, complète. En effet, les précédentes compiles du quatuor devenu trio d’Athens, Georgia étaient éditées par l’un ou l’autre de leurs deux labels successifs, IRS et Warner. Part Lies … relie les deux périodes, avec treize extraits IRS et vingt-sept Warner, dont trois inédits.

Forcément, on parle ici d’une compile grand public récapitulative d’une carrière qui a débuté en 1982. Elle se devait donc de reprendre leurs plus grands succès (oui, y compris Shiny Happy People) et se concentrer sur les périodes les plus fructueuses du groupe en termes de succès commercial. On aura donc beaucoup d’extraits de GreenOut of Time et Automatic for the People, mais nettement moins des albums post-1992, dira-t-on. Mais chaque album du groupe est représenté, et si l’on pourra facilement chicaner sur l’absence/présence de l’un ou l’autre morceau, le tracklist semble assez satisfaisant.

L’écoute de l’album, structuré chronologiquement, permet aisément de suivre l’évolution du groupe. Leurs débuts « college rock », où les paroles de Michael Stipe étaient alors absolument incompréhensibles. Leur arrivée chez Warner, et ensuite l’accumulation progressive de hits : Losing My Religion, Shiny Happy People, Everybody Hurts, Man on the Moon. Leur installation dans le rock contemporain comme un des plus gros groupes du monde, et la sortie régulière d’albums qui ne feront plus trop parler d’eux, jusqu’au très musclé Accelerate et le tout dernier, Collapse Into Now. C’est d’ailleurs une des idées préconçues les plus solides sur R.E.M : qu’ils ne font plus rien de bon depuis dix, quinze voire vingt ans. S’il est vrai qu’ils ont connu une période creuse en ce qui concerne la qualité de leurs albums, ils ont à chaque fois réussi à sortir quelques popsongs fantastiques lors de leur troisième décennie, comme le sous-estimé Leaving New York, Imitation of Life ou encore The Great Beyond et Bad Day. Mais on retiendra surtout de R.E.M. cette faculté de créer des atmosphères souvent fort particulières, sans (presque) jamais céder aux modes. L’étrange, inquiétant et méconnu New Adventures in Hi-Fi en est un parfait exemple.

On pourrait aisément parler de chacun des quarante morceaux présents ici, mais analyser R.E.M est aussi futile que tenter de déchiffrer les paroles de Gardening at Night. R.E.M. est incontestablement un des groupes rock les plus importants de l’histoire. Alors, est-ce qu’il a toujours mérité son statut? Est-ce qu’il est un des meilleurs groupes depuis que Les Paul a créé la guitare qui porte son nom? R.E.M. n’a jamais vraiment poussé les limites de la composition musicale, a connu quelques périodes creuses, mais restera toujours, au moins, un bien bon groupe rock. Ceci en est son anthologie. Libre à chacun de pousser la découverte ou l’approfondissement dans les quinze albums studio du groupe, où on trouvera, effectivement, un peu de déchet, mais beaucoup de coeur. Farewell.

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Manic Street Preachers – National Treasures : The Complete Singles

Une compilation des singles des Manic Street Preachers ne pouvait qu’être à l’image du groupe : imparfaite, excessive et passionnante. Imparfaite, parce que même si elle est censée être complète, elle ne l’est pas : les deux premiers singles (Suicide Alley et New Art Riot) sont absents, ainsi que deux doubles faces A (Repeat et PCP). Enfin, on ne pourra que regretter l’absence d’extraits du fabuleux Journal for Plague Lovers, mais vu qu’aucun single n’en était extrait, cela se justifie. Excessif, parce qu’on a quand même trente-huit morceaux (Charts UK : 33 consécutifs dans le top 40, dont deux n°1 et quinze top 10) dont huit provenant de la période entourant leur premier album, Generation Terrorists. La littérature racontant l’histoire très troublée du groupe est abondante, on se concentrera donc le plus possible sur la musique. C’est alors qu’on arrive au troisième adjectif : passionnante.

En vingt ans de carrière, il n’y a pas grand chose que les Manics n’ont pas fait. Citons en vrac : déclarer que le groupe se séparera après avoir vendu dix millions d’exemplaires de leur premier album (ni l’un ni l’autre ne se produira), sortir un des albums les plus intenses, sombres et inflexibles du rock contemporain (The Holy Bible) puis perdre (littéralement) un membre du groupe et sortir ensuite un autre album (Everything Must Go) qui leur offrira un succès populaire qui semblait inimaginable un an auparavant. Quoi d’autre? Suivre ce disque d’un autre dans la même veine, choper deux premières places des charts anglais puis partir à Cuba, jouer devant Castro et créer un album long, complexe et tellement inégal que comparé à Know Your EnemyBe Here Now serait du Minor Threat. Le suivre d’une collection de « pop élégiaque », de « Holy Bible pour quarantenaires » qui sera en fait un album embarrassant de maladresse. Et enfin, retrouver un succès commercial de nouveau perdu pour mieux l’enfouir dans un album sans singles, produit par Steve Albini et aussi claustrophobe que The Holy Bible, pour finalement revenir avec « une dernière tentative de communication de masse ».

National Treasures suit chronologiquement ce chemin, des débuts surexcités et ambitieux imitant autant Guns ‘N Roses (Slash ‘n’ Burn) que les Clash (You Love Us) avec une première perle : Motorcycle Emptiness, un des classiques du rock anglais des années 90. Le second album (Gold Against The Soul) verra le groupe canaliser ses ardeurs au format radio, en produisant quatre singles alliant qualités commerciales à un son sans trop de compromis, et surtout, aux paroles vraiment différentes de ce que la Britpop de l’époque pouvait fournir. So far so very good, mais le troisième album ne rentrera plus du tout dans le format radio. Ce qui fait que les trois singles extraits de The Holy Bible sont bien loin d’être ses meilleurs morceaux. De toute façon, l’album est une oeuvre majeure qui ne peut pas être réduite à ce qui est présent ici, même si Faster est toujours aussi efficace.

Richey James Edwards disparaît sur les rives de la Severn, et les Manic Street Preachers décrochent leur premier mégahit (le toujours poignant A Design for Life), et deviennent un gros groupe. Les huit singles des albums Everything Must Go et This Is My Truth Tell Me Yours reflètent cette époque, mais avec un certain panache : If You Tolerate This Your Children Will Be Next est sans doute le seul n°1 évoquant la guerre civile espagnole en citant Woody Guthrie, Tsunami raconte une histoire sordide de viols et meurtres sur une musique qui aurait donné un hit à REM alors que Kevin Carter est le dernier single du groupe porté par des paroles de Richey (« The elephant is so ugly / He sleeps his head machetes his bed / Kevin Carter kaffir loves forever »). Mais comme toujours dans l’histoire du groupe, une action crée une réaction : The Masses Against the Classes, single hors album explose à 200 à l’heure le classicisme de This is My Truth, et l’album suivant, Know Your Enemy, marque le début de la troisième (au moins) période de la carrière des Manics : celle où on doit séparer nous-même le grain de l’ivraie. Parce que même si KYE comprend son lot de bons morceaux, ils n’ont pas vraiment été choisis comme single, Let Robeson Sing étant le plus pénible du lot.

On sait donc quoi faire pour la suite : on ignorera Lifeblood (le groupe lui-même l’a ignoré dès sa sortie, en ne reprenant que deux singles), on se dira que Your Love Alone Is Not Enough est « juste » une fantastique chanson pop, on regrettera que Jackie Collins Existential Question Time ne soit jamais officiellement sorti comme single, et on finira par penser que pour un dixième album, Postcards from a Young Man n’est pas mauvais. Même si, une fois de plus, les singles choisis sont discutables, tout comme le choix de l’inédit obligatoire, une reprise dispensable de The The.Naturellement, on n’est pas en présence d’un véritable best of : les morceaux ont été froidement choisis sur un seul critère, qui n’est pas celui de la qualité. Cependant, un véritable best of des Manics serait nécessairement imparfait : comment choisir parmi trois cent morceaux? Au moins, ici, on a l’avantage de l’objectivité, même si un second album de « deep cuts » aurait pu être intéressant et complémentaire. National Treasures et ses impressionantes contradictions doit être une porte ouverte vers un des plus intéressants groupes contemporains. Et pour l’amour de ce que vous aimez le plus, allez écouter The Holy Bible et Journal for Plague Lovers.

Spotify : Manic Street Preachers – National Treasures

Noel Gallagher’s High Flying Birds – Noel Gallagher’s High Flying Birds

Dix ans, au moins, qu’on l’attendait. Dix ans que son auteur en parlait, généralement comme menace destinée à botter les fesses de son ptit frère, quand Big Brother n’était pas satisfait de son niveau d’implication au sein d’Oasis. Finalement, le premier album solo de Noel Gallagher sort dans des circonstances particulières, vu qu’il n’a plus de groupe. Oasis n’est plus (enfin, jusque 2015), ils sont partis former Beady Eye (au succès, disons, relatif) et Noel se retrouve, bizarrement, avec pas mal de choses à prouver. Notamment, dans un pays ou le rock ‘n roll reste traité comme une compétition, prouver que son album est meilleur que celui du frangin. Comme souvent avec ce qui provient d’Oasis, la réponse n’est pas claire. Ce qui l’est nettement plus, c’est que cet album-ci n’est peut-être pas Definitely Maybe, mais ce n’est pas Standing on the Shoulder of Giants non plus.

Qui dit album solo dit, souvent, histoire intime et acoustique. Pas avec Noel. Everybody’s on the Run, le premier morceau de l’album comprend un choeur de 100 personnes (Abbey Road, of course), des effets sonores un peu partout, et on retrouvera des cordes, des cuivres, du piano ou des percussions un peu partout sur l’album. Ce qui n’est pas spécialement étonnant de la part de l’auteur de Be Here Now, mais qui détonne largement de l’approche nettement plus rock ‘n roll de Beady Eye. On reste donc en terrain très familier, voire même un peu trop. On ne se retrouve jamais surpris, les petites touches de « nouveaute », comme l’ambiance du single The Death of You and Me sont quand même très légères.

On retiendra trois choses de l’album. D’abord, Noel restera toujours un extraordinaire compositeur. Ses heures de gloires sont derrière lui, c’est évident : entre 1994 et 1996, il était absolument incapable d’écrire une mauvaise chanson. On l’avait écrit à l’époque, mais c’est d’autant plus vrai maintenant, la compile de faces B The Masterplan explose 90% des best of de fin de carrière qu’on retrouve aujourd’hui. Même si son talent s’est un peu dilué ses dernières années, il arrive toutefois à nous sortir des perles, comme les derniers excellents morceaux d’Oasis The Importance of Being Idle ou Falling Down. Ici, bonne surprise, on en retrouve quelques uns, des classiques à la Noel. Le single Death of You and Me déjà cité, mais aussi le remuant AKA… What a Life et surtout, surtout, If I Had a Gun. Il a beau avoir une progression d’accords directement tirée de Wonderwall, il reste facilement un des meilleurs morceaux écrits par Noel ces dix dernières années ; la première arrivée du refrain est absolument somptueuse.  Malheureusement, seule une petite moitié des morceaux d’un album pourtant court (dix pistes) sont vraiment mémorables. Pas si mal, mais peut mieux faire.

Ensuite, les morceaux connus depuis l’époque Oasis et repris ici ne comptent pas spécialement parmi les meilleurs. (I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine est aussi pénible que le titre, et le fameux Stop the Clocks (tellement fameux que le premier best of d’Oasis lui emprunte le nom) n’est pas bien terrible non plus, même s’il se termine par une note psyché qui est probablement là pour préparer le terrain du prochain album, une collaboration avec Amorphous Androgynous.

Enfin, il manque Liam. Pas partout : Noel a écrit certains morceaux autour de sa propre voix, mais il est très facile de deviner lesquelles étaient prévues pour son frère. Si Liam avait chanté Dream On ou Everybody’s on The Run, on aurait atteint une autre dimension. Mais non, pas de Liam, on doit donc se contenter de la voix tout à fait acceptable de Noel, mais qui n’est pas (toujours) celle qui était prévue pour ces morceaux.

Conséquences évidentes et somme toute assez prévisibles, Noel Gallagher’s High Flying Birds n’est pas l’album de l’année mais n’est pas non plus le nouveau Coldplay. Il n’est quand même probablement plus intéressant et mieux écrit que le Beady Eye, mais comme point de comparaison, on peut trouver mieux, et plus ambitieux : Noel Gallagher devrait pouvoir faire mieux, et va peut-être le faire avec le second album. En attendant l’évidente réunion d’Oasis, en 2015 ou avant.

Spotify : Noel Gallagher’s High Flying Birds

Playlist Spotify : 2011, troisième partie

Heureusement, la qualité des sorties de cette année est inversément proportionnelle avec le nombre de chroniques publiées. J’en profite pour sortir la playlist Spotify juillet-août-septembre, avec dix morceaux extraits d’autant d’albums que j’aimerais chroniquer (avec une bonne trentaine d’autres).

On commence avec un extrait live de la bande originale du film sur Pearl Jam, PJ20, et puis on a, pêle-mêle, Blink-182, Art Brut (ces paroles!), Wild Flag, Girls, Stephen Malkmus, EMA, Dum Dum Girls, Incubus et †††.

Comme d’habitude, la playlist est disponible sur Spotify, service de streaming légal toujours pas disponible officiellement en Belgique, mais bien en France et dans six autres pays d’Europe. Je vous tiendrai au courant de l’éventuelle disponibilité du service en Belgique (ainsi que celle de son concurrent Simfy), en attendant, il est possible d’utiliser un proxy ou un VPN comme l’excellent TunnelBear.

Pour suivre les playlists Music Box, passées, présentes et futures, cliquez le logo Spotify dans la colonne de droite 🙂

(NB : je voulais inclure aussi un extrait du Red Hot et de Rival Schools, mais pas dispo sur Spotify. Et j’ai préféré éviter Limp Bizkit, de rien 😉 )

Playlist Spotify : 2011, troisième partie

Pearl Jam Twenty – Le film

Plus tôt dans l’année, les Foo Fighters ont sorti un film, Back and Forth, qui accompagnait la sortié de l’album Wasting Light. Présenté de manière strictement chronologique, le film racontait simplement l’évolution du groupe, de l’époque où Dave Grohl enregistrait seul ses chansons dans l’ombre de Kurt Cobain jusqu’à leur statut actuel de stars mondiales. Mais le film ne cachait rien : l’histoire des Foo est entachée de changements de personnel, souvent de manière brutale ; de même, le batteur Taylor Hawkins fut en proie à de sérieux problèmes de drogue, qui l’ont poussé à l’overdose. Back and Forth en parle systématiquement, et n’hésite pas à faire intervenir chaque personne concernée (y compris les anciens membres) et à faire passer Dave Grohl, pourtant officiellement The Nicest Guy in Rock, pour un control freak parfois détestable. Bien que le film se terminait dans la joie et la bonne humeur, avec l’enregistrement de Wasting Light dans la piscine familiale des Grohl (ou presque), le film (et le groupe) n’a définitivement pas choisi la voie évidente de l’hagiographie.

Il serait probablement excessif de parler de Pearl Jam Twenty comme une hagiographie. Mais force est de constater, après deux heures d’un film très soigneusement monté, aux images d’archives souvent hallucinantes, que le réalisateur Cameron Crowe n’a jamais cherché à trop bousculer le groupe ou les téléspectateurs. Pearl Jam Twenty est un documentaire, certes très bon, mais dont le degré critique est proche du zéro absolu.

Pearl Jam Twenty était très attendu. Mis en boîte par un réalisateur phare d’Hollywood qui a connu, sur place, la naissance de Pearl Jam, il devait raconter l’histoire d’un groupe qui a tout connu. Des débuts déjà marqués par le malheur, un succès interplanétaire très rapide et mal vécu par certains membres du groupe, des tragédies individuelles et collectives ainsi qu’une seconde décennie nettement plus introspective, jusqu’à une certaine résurgence commerciale. Tout ceci se trouve dans le film. Une bonne partie du début est consacré à Pearl Jam avant Pearl Jam, à savoir quand Stone Gossard (guitare) et Jeff Ament (basse) étaient membres d’un groupe de glam rock alternatif mené par le flamboyant Andy Wood et appelé Mother Love Bone. Après l’overdose fatale à Wood Gossard et Ament (depuis rejoints par un autre guitariste nommé Mike McCready et aidés par le batteur de Soundgarden Matt Cameron) envoient une cassette instrumentale de trois titres à un chanteur/surfeur de San Diego via Chicago, et le reste est Histoire.

Et l’Histoire, on la voit se dérouler sous nos yeux, dans un montage rapide mais pas hystérique. Beaucoup d’images inédites et légendaires : le deuxième concert de Pearl Jam (alors appelé Mookie Blaylock) avec la seconde prestation publique d’Alive (596 suivront à ce jour). Les fans connaissaient l’existence d’un concert acoustique à Zürich, en 1992 où, selon le groupe, la scène était plus petite qu’une estrade de batterie : le film prouve que cette affirmation est correcte. On voit aussi un jeune Vedder sérieusement bourré insulter MTV dans une salle plein d’exécutifs artistiques lors de la présentation du film (de Cameron Crowe) Singles, ainsi qu’une compilation des sauts de Vedder dans le public, qui restent absolument ahurissants. Mais l’image d’archive la plus extraordinaire provient de la collection personnelle de l’ex-guitariste de Hole Eric Erlandson, qui ne l’avait jamais rendue publique auparavant.

Il faut savoir qu’à l’époque, MTV diffusait de la musique, et la presse musicale avait un réel pouvoir. Et donc, on s’amusait à créer une guerre infondée entre Nirvana (les punks, les vrais) et Pearl Jam (les vendus influencés par Van Halen). Cobain et Vedder étaient donc censés se détester, même s’ils ne se connaissaient pas vraiment (et s’appréciaient plutôt pas mal). Un jour, lors des MTV Video Music Awards 1992, Eric Clapton joue Tears in Heaven, et en dessous de la scène, Kurt Cobain et Eddie Vedder dansent, dans les bras l’un de l’autre. L’histoire était connue, mais on ne l’avait jamais vue. C’est chose faite, et c’est aussi le seul document connu à ce jour où les deux porte-drapeaux du (désolé) grunge se retrouvent ensemble.

Rien que pour cela, PJ20 vaut tout l’or du monde (ou en tout cas les 14€ du ticket de cinéma et les 60 dollars de l’édition spéciale dvd/blu-ray) pour les fans du groupe, ou n’importe qui un tant soit peu intéressé par l’histoire du mouvement. Malheureusement, on ne voit que peu d’interactions avec d’autres musiciens, probablement par maque de temps (le film aurait facilement pu durer six heures, on annonce d’ailleurs quatre heures de bonus sur le DVD). A part Chris Cornell, qui intervient souvent lors de la première partie, on aperçoit en vitesse Alice in Chains, mais c’est plus ou moins tout. C’est d’ailleurs une caractéristique du film, la vitesse à laquelle tout est décrit. A peine finie la longue introduction au groupe, tout défile, à la vitesse du narrateur de la chanson MFC, extraite de Yield. Le bipolaire Vs, l’ambitieux Vitalogy se partagent quelques minutes de temps d’écran, mais beaucoup plus que l’expérimental No Code, album adoré des fans mais définitivement mal aimé du groupe. Et pendant ce temps, on se pose une question dont on n’aura jamais vraiment la réponse : mais que se passe-t-il dans la tête du groupe? Qui est Pearl Jam?

On connaît les démons du groupe, les problèmes qui ont entaché leur première décennie. La personnalité parfois écrasante d’Eddie Vedder, leur obsession criante pour le respect de la vie privée (amateurs de détails croustillants, passez votre chemin, et le – superbe – livre-compagnon ne vous dira rien de plus), les addictions de McCready, pour ne citer que quelques exemples. On en parle, un peu, en passant, mais sans jamais s’y attarder, comme Back and Forth pouvait le faire. Un exemple assez parlant : on voit Pearl Jam jouer Do the Evolution, live en studio, en 1998. McCready est en très mauvais état. Il est bouffi, a pris dix ans dans la tronche et est encore plus mal sapé que Cobain au Unplugged. Quelques secondes après, McCready version 2010, en pleine forme (il fait des marathons, maintenant, figurez-vous), parle de « sa mauvaise période », en passant, alors que sa fille, qui ne devait pas avoir beaucoup plus d’un an, joue devant lui. Que les choses soient claires, loin de moi l’envie de voir McCready en pleine crise de dépendance alcoolique, mais je ne peux m’empêcher de penser que Crowe n’a pas voulu aller au fond des choses, peut-être pour ne pas choquer un groupe composé avant tous de ses amis.

Mais le point le plus étonnant concerne sans doute les batteurs. McCready compare Pearl Jam à Spinal Tap, et n’a pas tort : avant même que le premier album ne sorte, Pearl Jam avait déjà utilisé quatre batteurs, et en utilisera encore deux par la suite, même si le premier, Matt Cameron, se retrouve être le dernier. Jack Irons est parti pour raisons de santé, on le sait, mais l’histoire du premier batteur, Dave Abbruzzese, est nettement plus confuse. Il aurait été viré parce qu’il n’avait pas la même vision de la célébrité que le reste du groupe (autrement dit, alors que Vedder voulait se retrouver le plus loin possible des médias, Abbruzzese embrassait un mode de vie de rockstar). On dit même que Vedder l’a viré parce « qu’il était plus beau que lui ». La vérité, cela semble clair, ne sera sans doute jamais connue : Crowe ne lui a (probablement) pas donné la parole.

Malgré ces points d’ombre, Pearl Jam Twenty reste un documentaire passionnant, également lorsqu’il évoque la seconde décennie du groupe, au succès commercial très mitigé. Les albums BinauralRiot Act et Pearl Jam sont rapidement passés en revue, et on pourra être très surpris que pas un seul mot n’est dédié à ce qui reste, très étrangement, le morceau de Pearl Jam qui aura eu le plus grand succès commercial, Last Kiss. De toute façon, comme évoqué ci-dessus, Crowe aurait eu six heures de film et cela aurait quand même été trop court, et on pourra gloser pendant des heures sur les bienfaits et méfaits de l’édition du film : était-ce, par exemple, utile de montrer une longue audition de Gossard et Ament devant le sénat US lors de l’affaire Ticketmaster. La scène est souvent drôle (en fait, chaque scène avec Stone est drôle, Stone devrait avoir sa propre sitcom, si possible chez lui), mais elle a sans doute privé le film d’autres images émouvantes.

Ecrire une chronique sur un tel film est un exercice relativement futile, surtout quand l’auteur connaît beaucoup plus de choses qu’il devrait sur le monde de Pearl Jam. Il est très probable qu’un spectateur qui a perdu moins de temps sur MTV, à lire des magazines d’époque, ou à traîner dans des magasins de disques douteux à dépenser l’équivalent de 50€ pour un bootleg au son tout aussi douteux ne se posera pas le même genre de questions. Et si Crowe avait effectivement développé une partie un peu plus personnelle de la vie du groupe, d’autres passages en auraient nécessairement souffert. Je pense que les heures passées en salle d’édition ont du être particulièrement cruelles, et j’espère que le dvd/blu-ray pourra combler certains trous (mais pas ceux de la vie privée, on n’en saura absolument jamais rien).Oh, et tant que j’y suis : la musique, elle est vraiment, vraiment bien.

NB : après avoir écrit la chronique, j’ai appris qu’une édition spéciale du film, qui sortira le 25 octobre en dvd/blu-ray (exclusivement via pearljam.com) comprendra quatre heures de bonus, un cut spécial ne reprenant que les performances musicales du film ainsi qu’un documentaire inédit sur la principale force de Pearl Jam, son public.

NB2 : Pearl Jam Twenty, c’est aussi un livre passionnant, mais au même ton relativement détaché que le film. On y retrouve toutefois des images somptueuses ainsi que des essais intéressants sur chaque album du groupe. Il est d’ores et déjà disponible en version originale, et sera disponible fin octobre en version française aux éditions Autour du Livre.

NB3 : Pearl Jam Twenty, c’est aussi une bande originale passionnante, que je chroniquerai bientôt…

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