One Day As A Lion – One Day As A Lion

Il semble peu probable que la reformation actuelle de Rage Against The Machine donnera naissance à de nouveaux morceaux : selon le groupe, les anciens restent toujours aussi pertinents à l’heure actuelle. Ils n’ont sans doute pas tort, et il faut donc se tourner vers les projets (plus vraiment) parallèles. Tom Morello a son alter ego folk The Nightwatchman, et c’est maintenant Zack De la Rocha qui se lance dans l’aventure.

Un album solo de la part de l’agitateur en chef était attendu depuis longtemps, on parlait d’une collaboration avec DJ Shadow, qui n’aura finalement donné qu’un seul morceau, mis à disposition peu après le 11-Septembre. Zack s’est finalement allié avec le batteur ex-The Mars Volta Jon Theodore pour un projet nommé One Day As A Lion (de l’adage « better live one day as a lion than a thousand days as a lamb »), dont voici la première production, un EP cinq titres.

Deux grandes questions préalables : comment ODAAL va différer de RATM, et comment Zack va-t’il chanter. La réponse aux deux questions est similaire : One Day As A Lion n’est pas si différent. Zack rappe toujours dans son style agressif (à l’exception d’un peu de chant de type reggae), mais toujours aussi efficace : il reste un MC très percutant, tant au niveau texte que flow. Musicalement, la batterie diaboliquement précise de Theodore n’est accompagnée que de synthétiseurs, mais assez étrangement, on n’est pas trop éloigné de Rage.

Tom Morello, on le sait, a développé un son très particulier, du notamment à une technique peu orthodoxe et une utilisation inventive des pédales d’effet. C’est pour cela qu’une mention rappellant le « no synths » des premiers Queen se trouve dans les livrets du groupe : il est difficile de se rendre compte que ces sons étranges proviennent d’une six-cordes. Résultat pervers et inattendu, ici, on a des claviers, mais ils rappellent parfois les morceaux plus « electro » de Rage, comme Ashes In The Fall.

Il reste que l’EP est percutant, les cinq morceaux cinglant comme autant d’assauts sonores dans un monde qui a encore empiré depuis les dernières offensives de De la Rocha. Ce dernier allie puissance vocale aux synthés certes répétitifs mais denses et puissants : lorsqu’il répète « This is my last letter to you », on ressent intérieurement cette force terrible qui animait des brûlots comme Killing In The Name. L’avantage des EP, c’est qu’on n’a souvent pas l’occasion de se répéter, et en effet, l’intensité ne descend pas, jusqu’à la dernière note du morceau éponyme.

Si le projet se pérennise, il sera fort intéressant de voir comment une formule qui semble assez limitée (batterie/synthé/gorge) pourra s’étendre, en attendant, l’EP est plus que prometteur, et tend à démontrer qu’un nouvel album de Rage est dispensable, au contraire de la présence dans le monde musical de Zack De la Rocha.

Scars On Broadway – Scars On Broadway


Quand System Of A Down a sorti son double Mezmerize/Hypnotize, un élément s’est détaché immédiatement : la place prise par le guitariste Daron Malakian. Il était déjà le compositeur principal du groupe, et en tant que guitariste, il était aussi le principal compositeur, et donc responsable du son nouveau que SOAD a amené au mode du metal. Mais SOAD, c’était aussi la voix reconnaissable de Serj Tankian, et quand on s’est rendu compte que Malakian chantait autant, si pas plus, que Tankian, quelque chose ne tournait pas trop rond. De plus, le manque d’expérience (pour être sympa) de Malakian a sérieusement diminué l’impact de ces albums : en résumé, Malakian chantait trop, et mal.

Corollaire de tout cela, SOAD est parti en hiatus (genre At The Drive-In), Tankian sort un assez bon album solo, et c’est maintenant au tour de Daron Malakian de former son projet, aidé par le batteur de SOAD John Dolmayan. Scars On Broadway en est le – mauvais – nom, mais on commençait à avoir l’habitude des grosses limitations de Malakian niveau texte : le dernier SOAD ne volait pas très haut à ce point de vue-là, et ça ne s’arrange absolument pas ici. C’est dit, occupons-nous de la musique qui, de manière stupéfiante, ressemble… au dernier SOAD.

Non, vraiment : les quinze morceaux auraient tous pu se retrouver sur Mezmerize et Hypnotize. On dira peut-être qu’il y a un peu plus de claviers ici (Chemicals, le hammond de Kill Each Other/Live Forever), mais sinon, les changements de rythmes sont les mêmes, la guitare aussi (même si on se laisse parfois aller à des solos) et étrangement, Malakian s’essaie de temps en temps à des tankianismes vocaux. Là où Tankian, justement, ajoute pas mal d’élements de folklore arménien (ça vient de lui, donc), Malakian est plus carré. On regrettera justement le manque de variété de Scars On Broadway, dans les paroles (on pourrait parler d’autres choses que de drogues, de génocide et de suicide, une fois de temps en temps), mais aussi dans la musique. Certaines idées originales ne sont pas menées bien loin, comme le rythme faux-disco de Enemy, et certains morceaux sont trop mous (on se rappelle de Lonely Day? Mou comme ça).

Scars On Broadway fonctionne mieux que le dernier SOAD, sans doute parce que cette fois, on savait à quoi s’attendre. Malakian chante mieux, même si ce n’est pas son point fort, et maîtrise musicalement son sujet, certes sans trop de variations, mais il rappelle pourquoi System Of A Down fut un des groupes des plus innovateurs de ces dernières années. Il semble qu’on n’entendra plus parler de SOAD pour un petit bout de temps, surtout si Scars On Broadway connaît un certain succès. Tankian et Malakian ont, semble-t-il, trouvé leur voie, et il sera intéressant de voir comment ils vont envisager la suite de leurs carrières, séparément ou pas. En tout cas, chacun de leur côté, ils ne sont pas mal partis.

The Vines – Melodia

Quelques semaines après un best of arrive le quatrième album des Australiens, emmenés par l’instable Craig Nicholls. Depuis leurs fracassants débuts (la minute cinquante d’Highly Evolved), ils n’ont pas montré une grande variété de compositions : on a soit le rocker sous influence punk/grunge soit la ballade psychédélique type Rubber Soul sous champis. La seule chose qui varie est la qualité des morceaux, les trois albums étant chaque fois un peu moins bons. Heureusement, l’Asperger le plus célèbre du rock se rattrape sur Melodia.

Le début de l’album confirme le territoire : des morceaux qui ne dépassent souvent pas les deux minutes et qui se divisent entre les deux catégories décrites plus haut. Get Out est directement un classique du groupe, Manger rappelle Alice In Chains alors que AS III ou Orange Amber évoque George Harrison et donc l’autre face du groupe. Comme toujours, on peut facilement être irrité par la voix de Nicholls (et encore, sur album, on ne le voit pas), mais ce n’est pas vraiment un point négatif, il s’est nettement amélioré avec le temps. Cette dichotomie loud/quiet ne se dément pas jusqu’à la fin de l’album, créant l’effet de montagnes russes généralement associé aux albums des Vines. Mais l’important était que les morceaux tiennent la route, et c’est le cas : malgré les évidentes influences, Melodia est le meilleur album du groupe à ce jour.

CSS – Donkey

Second album pour le groupe brésilien (très) majoritairement féminin, probablement la seule formation de faire danser n’importe qui et n’importe quoi avec trois guitares. Donkey perd le caractère DIY amateur de Cansei De Ser Sexy, mais le remplace par une production parfaite (et toujours personnelle, puisque assurée par le bassiste Adriano Cinta) qui met en évidence les guitares crunchy et la voix éternellement adolescente de Lovefoxxx.

CSS fait donc pas mal de bruit, rappellant parfois Franz Ferdinand et leur obsession de faire danser sur des bases post-punk pas spécialement accessibles de prime abord. Donkey est parfois un fameux bordel sonore, mais c’est justement cette exubérance qui en fait sa force. Quand ce ne sont pas les trois guitares qui créent un impressionnant mur du son (Give Up, Rat Is Dead, Jager Yoga), ce sont des claviers retro qui rendent certains morceaux attachants sans être kitsch pour autant (Left Behind, irrésistible).

Mention spéciale à l’immense How I Became Paranoid, brûlot punk maniaque comprenant une ligne de claviers directement issues des pires heures des années 90. Mais ça marche, très bien même. I Fly cristallise la bizarrerie généralisée de l’album en racontant l’histoire de quelqu’un qui se transforme en mouche, et qui vit une vie de mouche. David Cronenberg serait fier du chaos sonore de la chose. Et pour des morceaux qui ne sont censés que faire danser, ils ne sont pas simplistes du tout, et montrent que CSS est un vrai groupe. C’est vrai qu’on peut regretter l’énergie DIY des débuts, mais c’est l’évolution choisie par le groupe.

Alliant énergie punk et volonté de fête généralisée, CSS sort facilement du carcan de groupes à danser (et qui a besoin de clips choquants pour vendre des mauvais disques), et ce serait une grosse erreur de les y enfermer. Donkey est un album sympathique et (un peu trop) bien foutu.

Beck – Modern Guilt

On peut ne pas l’apprécier, pour son oeuvre ou ses liens avec l’église de tomcruisologie, il est impossible ne ne pas admirer le fait que Beck Hansen semble totalement incapable de se répéter. Hits alternatifs (Loser, Sexxlaws), album acoustique mélancolique (Sea Change), bizarreries diverses et variées : Beck se renouvelle sans cesse, avec les risques et (demi-)échecs que cela provoque nécessairement.

Cette fois, il s’associe avec Danger Mouse, sommité underground derrière Dangerdoom (avec MC Doom) le Grey Album et Gnarls Barkley, entre maintes autres choses, pour un album assez morning after, sobre et très bien fichu. On retrouve les gimmicks propres à DM : des rythmes surf-rock, un beat caractéristique, du piano et une certaine brièveté : une trentaine de minutes et l’album est déjà fini : encore une fois, on ne peut que s’incliner devant Beck, qui a osé lui confier son son pour une mutation dont il a le secret.

Modern Guilt est sans doute l’album le plus discret de sa discographie. Il n’a jamais vraiment donné dans la superproduction, mais là on se trouve dans une lo-fi assez lo. On parlait de morceaux courts, mais dans leurs trois minutes respectives se passent plus de choses que dans un album habituel. Chemtrails est emmené par un sentiment psyché médicamenteux très sixties avant de se finir dans un solo de guitare trafiqué, Soul Of A Man possède une ligne de basse extrême et des guitares très crunchy, Youthless des violons qui agissent comme une basse, et on peut retrouver des discrets bidouillages electro un peu partout.

Parfois, la sous-production de Danger Mouse atteint l’excès : Walls est un morceau fabuleux, mais il est enterré sous des couches de filtres. De même, Profanity Prayers aurait pu être le plus gros hit de Beck depuis longtemps, mais l’élement le moins audible est… sa voix.

Malgré – ou grâce à – tout cela, Modern Guilt est un album fort intéressant, qui prend systématiquement la tangente, le chemin détourné, le réseau de mobilité douce. Beck prouve, si besoin était, qu’il reste un artiste à part entière, à la discographie peut-être inégale mais jamais répétitive.

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