Nine Inch Nails – Ghosts I-IV

On ne reviendra pas sur l’événement qui a entouré la sortie de cet album, dont l’existence était totalement inconnu il y a de ça une petite semaine. Ghosts I-IV, malgré son mode de distribution alternatif, est bel et bien le sixième album studio original de Nine Inch Nails, c’est d’ailleurs officiellement un Halo (chaque sortie officielle du groupe porte un numéro Halo, dans ce cas Halo 26).

Entièrement instrumental, il tiendra une place à part dans la discographie de Trent Reznor, mais ne doit pas être considéré comme une sortie mineure, car c’est loin d’êre le cas. Si on devait le placer quelque part dans la discographie de son auteur, ce serait assez près de The Fragile, double album ambitieux et étonnant de variété, les morceaux metallo-industriels succédant avec bonheur aux instrumentaux planants. C’est somme toute ce qu’on a ici. Comme d’habitude, Reznor a tout joué et composé, aidé par le fidèle Atticus Ross et quelques invités, dont Alessandro Cortini et Adrian Belew. Petite note au passage, les morceaux n’ont pas de titres, on y référera donc en tant que 1 Ghosts II, 7 Ghosts IV, etc.

Le début de l’album est placé sous la domination du piano. Reznor se la joue classique et ambient, autant influencé par Chopin que par Aphex Twin. L’ambiance générale est difficilement explicable, car elle est très volatile et ephémère : le calme du piano laisse place aux distortions parfois sévères (4 Ghosts I n’aurait pas été renié par Sonic Youth). Tout ici est sujet à variation : les rythmes, les instruments (du banjo chez NIN, qui l’eut cru), les durées des pistes (de deux à cinq minutes). Reznor a explicité sur son site le caractère cinématographique de l’oeuvre, on peut effectivement imaginer des paysages en mouvement, accompagnés par la bande originale de la promenade, de la rêverie. Un blu-ray animé est d’ailleurs compris dans l’édition spéciale de l’album.

Les morceaux sont donc assez schizophrènes, parfois dans la même minute. Tantôt mnimalistes, tantôt bruyants, ils ne laissent jamais rien au hasard, et explicitent encore un peu plus le génie de Trent Reznor. On trouve quelques surprises, comme un passage assez folk avec guitares slide ou un autre très speed., pour carrément atteindre le sublime, 28 Ghosts IV. Rien n’est à jeter, et tout peut être réutilisé : la licence Creative Commons sous laquelle l’album est sorti permet l’utilisation et le remixage illimité.

Non seulement Ghosts I-IV est le plus grand pas jamais effectué vers une transformation idéale du modèle de distribution/extortion actuel, mais c’est aussi la meilleure chose que Trent ait fait depuis The Fragile. Libre de toute contrainte, il a pu livrer une oeuvre passionnante, qui, et c’est déjà confirmé, connaîtra une suite. On l’attend avec impatience, tout comme son prochain album vocal (suite de Year Zero?).

Si d’aucuns ont été déçus, ou du moins préoccupés, par les deux derniers albums, Ghosts I-IV nous apporte le meilleur de Trent Reznor, et cimente sa place dans l’histoire de la musique contemporaine. Mais il pourrait avoir un rôle encore plus important dans les mois à venir, celui de pionnier non seulement artistique, mais aussi commercial. Il mérite le respect.

Trent Reznor vs The Record Industry, part III

Il avait prévenu. D’abord, lors de sa séparation peu amicale avec sa maison de disques Universal, ensuite, de manière plus sybilline, lors d’un message bloggé il y a deux semaines : ”two weeks”.

Lundi 3 mars était le jour de la concrétisation. Sans tambour ni trompette, Reznor annonce la disponibilité du nouvel album de Nine Inch Nails, Ghosts I-IV. On a dit que la sortie de In Rainbows allait révolutionner la manière dont la musique est vendue, ce fut en fait un gros pétard mouillé (mais un pas vers la bonne direction, quand même). Ce que Reznor a fait ici est nettement plus crédible et efficace. Petite description avant explication.

Ghosts I-IV, quadruple album instrumental (36 morceaux, un peu plus de deux heures), est disponible en cinq éditions, toutes via ghosts.nin.com.

Nous avons :

* Ghosts I, la première partie, en téléchargement gratuit et qualité excellente (pas seulement “un peu mieux qu’iTunes”, Jonny Greenwood). En plus de le mettre à disposition sur nin.com, Reznor l’a personnellement uploadé sur The Pirate Bay, mais aussi sur des trackers Bittorrent privés.

* Pour 5$ (avantage pour les Européens, tout ça, même si les frais d’envoi des versions physiques sont élevés), on peut télécharger les quatre parties, même qualité (FLAC, ALAC et mp3 320 kb/s) accompagné d’artwork digital complet et très soigné.

* Ajoutez 5$ et vous aurez en plus un double cd chez vous, à partir du 8 avril. Ca fait environ 7€ pour un double cd. Dommage que les frais d’envoi font plus que doubler le prix de vente.

* L’édition spéciale à 75€ consiste en un double cd (et le download immédiat), un dvd des morceaux en multipistes, permettant les remixes (on en reparle tout de suite), et un blu-ray de l’album accompagné en images.

* Enfin, l’édition limitée ultra luxueuse propose tout cela dans un superbe coffret avec en plus l’album en vinyl lourd, des lithographies exclusives, et signé par Reznor. Les 2500 exemplaires (à 300$) sont partis en quelques heures.

On pourra éternellement gloser sur la valeur des deux derniers packages, mais on ne dira pas que l’album n’est pas distribué au plus grand nombre. Contrairement à Radiohead, on peut avoir un vrai cd pour pas cher, et en attendant des mp3 (ou FLAC) d’excellent qualité.

De plus, le quaduple vinyl et double cd seront vendus en magasin à partir du 8 avril. Il sera intéressant de comparer les prix, et de voir si les revendeurs oseront maximiser leurs profits, déjà parfois étonnamment élevés. Il faut des moyens pour monter une telle opération, c’est évident. Reznor en a accumulé suffisamment pour se le permettre, il reste qu’il n’était pas obligé du tout de le faire : sa masse de fans aurait sans aucun problème claqué 20€ pour un nouvel album.

Il ne l’a pas fait, et a effectué un pas de géant vers la transformation de cette vieille machine dysfonctionnelle. Un tel contrôle de l’artiste sur son oeuvre permet aussi un modèle de distribution différent : on ne doit plus attendre le feu vert des exécutifs pour sortir un disque ; Reznor a déjà annoncé que Ghosts IV ne sera pas le dernier.

Encore un élément plus spécialisé, mais tout aussi important. Ghosts I-IV est rendu disponible via une licence particulière Creative Commons, permettant la distribution, l’échange et la copie de l’album ainsi que son altération dans des remixes, par exemple. En résumé, tant que vous ne vous faites pas passer pour son auteur, vous pouvez faire ce que vous voulez de l’album, y compris le diffuser en P2P sur Internet. C’est une première pour un artiste majeur.

On ne peut qu’espérer la prolifération de tels business models (pour être grossier), en attendant, Reznor mérite vos 10$ (au minimum), et les miens. Au minimum. L’album? Excellent, on en reparlera très vite.

The Gutter Twins – Saturnalia

Il aura fallu un bon paquet d’années avant la concrétisation sur disque des Gutter Twins, à savoir deux hommes qu’on ne présente plus (parce que si on le fait, ça prend une page) : Greg Dulli et Mark Lanegan. Dulli s’était fait plutôt discret ces derniers temps ; quant à Lanegan, et en plus d’assister fidèlement Queens Of The Stone Age, il a sorti en 2006 un sublime album avec Isobel Campbell, dont la suite est attendue cette année.

Saturnalia (déjà tout un programme) commence très fort, sans aucun temps d’adaptation, avec le fascinant The Station. Dense, inquiétant, il résume bien la suite. Lanegan et Dulli se partagent les voix, avec un équilibre subtil et terriblement efficace.

Très vite, on est plongé dans une impression d’éternité. L’album est comme suspendu dans le temps, n’appartenant à aucun genre, si ce n’est la personnalité des auteurs. Parfois, les morceaux sont dominés par les violons, alors qu’à d’autre moments, on jurerait retrouver les Screaming Trees. Une touche plus moderne arrive à la fin, avec des beats à la Radiohead post-OK Computer (Each To Each), même si le solo de guitare lorgne clairement vers les seventies.

Il est quasi inutile d’évoquer les performances vocales des deux hommes, tant on sait qu’elles ne peuvent être que sublimes. Lanegan et Dulli se partagent parfaitement le gâteau, sans aucune dominance. Simplement fantastique. De même, ils apportent ce caractère intemporel aux paroles, qui parlent d’amour (mais comme Nick Cave peut parfois le faire) au moyen de références bibliques et classiques (Seven Stories Underground s’inspirant de Dante).

Un album d’une classe immense, parce que très personnel, et carrément dangereux. Avec les carrières que ces deux hommes ont connu, ils auraient très bien pu se la jouer safe, un peu comme les Queens précités. Á l’inverse, Saturnalia est unique, et le restera forcément.

The Clash – London Calling (1979)

TheClashLondonCallingalbumcoverRéduire The Clash au mouvement punk de 76-77 serait une grave erreur. Sans aucune critique quant à leur influence respective, un morceau de Clash comporte plus d’idées que la carrière entière (courte, mais quand même) des Sex Pistols. London Calling, leur troisième album, est aussi leur plus célèbre, et le pivot de leur évolution.

Il débute par l’iconique morceau titre, un des tous grands classiques du punk et du rock en général. Mais c’est un des rares morceaux directs d’un album qui tire dans tous les sens, souvent avec une grande réussite. On connaît son rythme implacable, la voix de Joe Strummer, qui chante comme si sa vie en dépendait (une constante) et ses paroles. Personne ne défendra la working class comme lui, comme eux. Un groupe en qui on pouvait croire, notion totalement disparue de nos jours.

Musicalement, Clash s’éloigne d’un certain nihilisme prôné par d’autres formations de l’époque. Leurs racines sont clairement dans le rock ‘n roll classique (Brand New Cadillac) mais ajoutent, de manière innovatrice, beaucoup de cuivres, pavant le chemin pour un style musical toujours présent aujourd’hui (avec plus ou moins de réussite) : le ska. Rudy Can’t Fail, The Right Profile en sont d’excellents exemples. De même, on peut perçevoir des éléments reggae (Guns Of Brixton), qui iront plus tard jusqu’à constituer la majeure partie d’un (triple) album, Sandinista!.

Clash ne recule devant rien, quitte à surprendre, voire aliéner. L’album est fort long (dix-neuf morceaux) et fort varié, comme peuvent encore en témoigner le mélodique et réflexif Lost In The Supermarket ou The Card Cheat, où se cotoyent piano et trompette. Punk, peut-être, mais si peu réducteur. Le puissant Train In Vain conclut un album phare, monumental.

London Calling peut avoir des défauts, ils n’ont pas d’importance. Parce que son statut les transcende. Il est trop important, trop crucial dans l’histoire et la compréhension non seulement du rock, mais de la société elle-même, pour s’arrêter à ces aspects. Tout ça sans même évoquer la pochette.

Clampdown

Girls In Hawaii – Plan Your Escape

Beaucoup de bien a été dit de Girls In Hawaii, fer de lance d’une scène wallonne dont la médiatisation était digne du NME. Après une première campagne assez réussie, les voilà à l’heure du second album, et donc d’une certaine confirmation, voire d’un élargissement de leur public, ce qui pourrait effectivement se passer.

Plan Your Escape est un album frustrant à écouter, et à chroniquer. D’abord, parce qu’il est bon. Subtil, riche, il ferait presque (presque) oublier la disparition de Grandaddy, influence majeure et point de référence constant. Mais il est donc frustrant parce que ses petits défauts sont tellement proéminents qu’ils déforcent grandement un album qui aurait pu être excellent.

Premier, et plus important, point de discorde, tout ce qui concerne la voix. Je n’ai jamais considéré le fait de savoir chanter juste comme un problème, mais là… Le chanteur a tellement peu confiance en sa voix qu’elle est systématiquement enfouie, filtrée, déformée, à un tel point que c’en est franchement irritant. La lo-fi, c’est bien, les carences dissimulées, déjà nettement moins. Mais le pire, c’est quand on arrive à comprendre ce qu’il raconte, on le regrette amèrement, et encore, on ne parlera que peu du mauvais accent. Tout le monde ne sait pas chanter juste, ni chanter en bon anglais, mais tout le monde n’essaie pas.

C’est d’autant plus dommage que musicalement, l’album se tient. L’instrumentation est fort variée, et chacun de six membres apporte sa contribution via une myriade d’instruments. Oui, l’album est un peu long et assez peu rythmé, mais c’est le point de vue choisi par le groupe, qui est tout à fait respectable. On pourra quand même regretter le fait que les seize morceaux donnent, au fur et à mesure, un certain sentiment de déjà entendu. Grasshopper, l’instrumental Road To Luna et le final Plan Your Escape sont d’heureuses exceptions.

Doit-on mettre tout cela sur le compte du légendaire complexe d’infériorité des groupes wallons. Non, parce que musicalement, GIH n’a rien de wallon, les cloisonner dans un mouvement artificiel serait tout à fait ridicule. On espère – vraiment – que les défauts de l’album seront pensés et améliorés pour la suite, parce que Girls In Hawaii a toujours un gros potentiel. Á cause de ses défauts (voix et caractère répétitif), Plan Your Escape est une grande occasion manquée, mais un album très correct, fourmillant de bonnes idées.

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