En raccourci, Biffy Clyro est, sans ambages, un des meilleurs groupes rock contemporains, ayant influencé plus ou moins tout groupe plus ou moins metallo-avantgardo-postnimportequoi, à commencer par System of a Down, dont le double Mezmerize/Hypnotize devient tout de suite nettement moins original, quand on connaît le trio écossais. Après des débuts postgrunge intéressants, le dernier, Infinity Land, était simplement extraordinaire, d’une originalité sans faille. J’en avais parlé il y a plus de deux ans, apparemment. On pouvait légitimement se demander où le groupe allait aller, après tant de chemin vers l’inconnu. On a maintenant la réponse, et elle surprend.
Puzzle, sans être un mauvais album (loin de là) ne comprend pas de signatures modifiées constamment, des méandres de mélodies, des hurlements effrayants juste après un chant de miel. Ce qu’il comprend, ce sont des morceaux de rock alternatif, avec des vrais refrains, des guitares qui sont là où on les attend, des voix peut-être pas apaisantes, mais en tout cas presque – gasp – prêtes pour un passage radio. Et des cordes. Oui, des violons et tout, comme sur le premier morceau, Living Is A Problem Because Everything Dies. Mais on s’en fiche, en fait, parce que la nouvelle facette de Biffy est très impressionnante, comme s’ils n’avaient jamais fait que ça.
La majorité de l’album ne démentira pas ce principe, Saturday Superhouse est un des meilleurs singles (ça existe encore, des singles?) de l’année, Who’s Got A Match réussit à être (un peu) bizarre et terriblement catchy, avec quand même un passage presque hardcore. L’approche est différente, le résultat aussi, mais la qualité est là. Cela n’empêche évidemment pas la recherche et les petites trouvailles, comme la guitare qui suit les paroles (ou le contraire) de Now I’m Everyone, mais cette fois, ils ne construisent plus des morceaux entier autour de bizarreries. L’album se conclut sur l’expérimental (quand même) 9/15th, et le calme et splendide Machines.
Chaque groupe a besoin d’évolution, sous peine de devenir Oasis. Cela marche parfois bien (Arctic Monkeys, sous réserves), parfois modérément (Manic Street Preachers et la règle « un album sur deux »), parfois nettement moins (Idlewild). Dans le cas de Biffy, il ont grandi, tout en conservant la fougue et l’inventivité de leurs débuts. Ils restent, avec ces morceaux-ci ou les anciens, bien au dessus de la concurrence.
Après une dispute myspacienne avec Fred Durst, Borland a (semble-t il définitivement) claqué la porte de Limp Bizkit, pour se concentrer sur un projet solo qu’il prépare depuis de nombreuses années. Tout d’abord sous le pseudo Big Dumb Face, dont l’hilarant album Duke Lion Fights The Terror valait bien une écoute ; ensuite en tant que Eat The Day. Ce dernier projet n’a jamais vu le jour, à cause du fait que Borland n’a pas pu trouver un vocaliste qui convienne. Il a donc décidé de se charger lui-même des voix, et de fonder ce nouveau projet : Black Light Burns, signé sur le nouveau label de Ross Robinson, I AM : WOLFPACK.
Mesopotamia montre d’emblée que Borland n’a plus grand chose à voir avec son ancien groupe : au contraire, il semble tirer une partie de son inspiration chez Trent Reznor, comme on le verra encore plus loin. Étrangement, la voix de Borland est aussi comparable à Reznor, ce qui rend Animal assez étonnant, on se croirait presque sur un bon morceau de With Teeth, et ailleurs, on se prend à imaginer ce que serait Nine Inch Nails avec le retour des guitares.
Les talents de guitariste de Borland sont mis en évidence, mais ce n’est nullement un album pour guitariste. Ce sont des morceaux de groupe, et ce dernier est plus que compétent : il comprend quand même Danny Lohner et l’énorme Josh Freese, qui démolit encore tout sur son passage à la batterie. On peut trouver des rapports avec Limp Bizkit, ce qui est logique, Borland ayant été leur principal compositeur. Mais les riffs et breaks nu-metal (enfin, façon de parler) sont employés à bon escient, et pas par pure ambition commerciale. Mark, par exemple, aurait pu être utilisé sur Significant Other, même si l’autre abruti aurait tout ruiné avec son rap inepte. Mais la composante electro (voir Stop A Bullet) éloigne définitivement Borland de ses anciens travaux. L’album se termine sur des morceaux plus expérimentaux, mais tout aussi intéressants, jusqu’au quasi ambient Iodine Sky.
L’album est assez dense, comme si Wes Borland voulait truffer ses morceaux de sons divers et variés, et ainsi prouver ses talents en tant que songwriter et vocaliste. C’est fait, car il semble que Cruel Melody ressemble vraiment à Borland : tourné vers le futur, sans renier le passé. Et un guitariste qui sait chanter, c’est suffisamment rare pour être souligné. Cruel Melody est donc un début encourageant, même si un tout petit peu dérivatif, d’un artiste qui a choisi la voie la plus difficile, mais en ce faisant, pourrait en trouver une, de voix.
Nettement plus metal, nettement plus bruyant et pourtant très mélodique, Eat Me Drink Me prend par surprise, les guitares sont puissantes, passant facilement de riffs stoner à des solos classiques, avec une grosse composante industrielle, sans doute attribuable à son compère Tim Skold (ex-KMDFM). L’album ne s’attarde pas sur le caractère gothique de l’animal, ce qui devenait, à force, fatigant ; au contraire, seuls quelques claviers et violons rappellent un passé heureusement bien éloigné.
La voix de Manson reste toujours éraillée, et ceux qui ne la supportent pas ne l’apprécieront pas plus maintenant, mais on ne peut pas dire qu’il surchante, cette fois. Il l’utilise pour créer une atmosphère, un peu comme Robert Smith, dans un autre registre, même si les références à Cure sont légion. If I Was Your Vampire est heureusement bien meilleur que son titre, Red Carpet Grave sonne comme si Slash jouait une intro des Libertines avant de remplacer Tony Iommi, et They Say That Hell’s Not Hot est simplement metal, avec un jeu de guitare impressionnant. Les refrains sont mémorables, sans être pute pour autant, ça change, et tant mieux, comme on peut le remarquer dans Evidence.
Bizarrement, le single Heart-Shaped Glasses est en marge, en tant que morceau formaté radio. C’est aussi le moins bon, certainement moins intéressant que Are You The Rabbit, où Manson continue son obsession d’Alice avec des riffs, littéralement, d’enfer. Je pourrais carrément citer tous les autres titres, ce qui est une grand première pour un opus de MM, sans remplissage. Mutilation Is The Most Sincere Form Of Flattery (bon ok les titres, c’est toujours pas ça) allie rythme implacable et mantra ‘fuck you, fuck you, fuck you too’, et étrangement, on a l’impression que Manson le pense vraiment, et semble vouloir relancer une carrière jusqu’ici en déclin. Son apparence physique est aussi moins flamboyante qu’avant, sans doute un signe de refocalisation dans la musique plutôt que l’artifice.
Je n’aurais jamais cru écrire une critique positive d’un groupe qui, même au sommet de sa gloire créatrice, ne m’a jamais impressionné plus que ça. Mais je suis vaguement impressionné par Eat Me, Drink Me, comme quoi, tout arrive.