Black Sabbath – Paranoid (1970)

paranoidJ’aurais pu choisir indifféremment n’importe quel des quatre premiers albums du groupe, tant ils approchent tous de la perfection. Il est d’ailleurs excessivement rare de trouver quatre albums successifs aussi bons. Paranoid est le second, et est celui qui comprend leurs morceaux les plus reconnaissables, dont celui d’ouverture, War Pigs. Morceau ouvertement anti-guerre, son intro jammée suivi de sirènes est devenue légendaire. Légendaire aussi, la voix d’Ozzy Osbourne (le vrai, pas le vieux monsieur malade), et le rythme Black Sabbath, très heavy mais rarement rapide : le stoner rock est né. Il suffit d’écouter Songs For The Deaf, de Queens Of The Stone Age, et on comprend très vite d’où ils viennent, et où Dave Grohl a appris à jouer de la batterie.

La suite est encore plus extraordinaire, avec le fameux Paranoid, pourtant très atypique, par sa vitesse et sa brièveté; et Planet Caravan, morceau psychotropico-psychédélique assez intense. Iron Man clôture la première moitié de l’album, et on défie quiconque de trouver quatre morceaux d’un même album autant repris par la suite. C’est peut-être Iron Man qui est le morceau le plus reconnaissable de Black Sabbath, grâce à un riff immense, et, si je ne l’ai pas encore dit, légendaire.

La seconde moitié, même si elle n’apparaîtra pas dans Guitar Hero III, vaut le déplacement : Electric Funeral a un des riffs les plus étranges jamais composés, alors que Hand of Doom a peut-être donné son nom au doom metal. Le groupe a inventé un son, le genre de son qui révolutionne le monde, et crée des dizaines de genres et sous-genres. Et tout cela par hasard : Tony Iommi a simplement diminué la tension des cordes de sa guitare, pour faciliter le jeu de sa main meurtrie. Voilà le résultat.

Paranoid n’est pas seulement un des albums les plus importants de l’histoire du metal, il est aussi et surtout étonnamment actuel. Contrairement à beaucoup de précurseurs, il ne sonne ni daté ni brouillon, et on peut facilement comprendre l’adoration dont il est objet. Le groupe sortira encore deux albums fabuleux, avant de commencer une longue descente, évidemment aux enfers, qui amènent les membres du groupe à toujours subsister bon gré mal gré, année après année, jusqu’aujourd’hui. Mention spéciale tout de même à Ozzy Osbourne, jadis Prince des Ténèbres et aujourd’hui pantin très désarticulé. Henry Rollins le dit mieux que quiconque, quand il déclara un jour que Katrina (l’ouragan qui dévasta New Orleans) aurait du s’appeller « The First Four Sabbath Albums ».

The Rakes – Ten New Messages

Bloc Party, Kaiser Chiefs, bientôt Arctic Monkeys, et maintenant The Rakes : c’est toute la nouvelle garde Britrock qui sort un second album en ce début d’année. Avec des résultats jusqu’ici mitigés : Kaiser Chiefs n’est pas fort terrible et le Bloc Party divise on ne peut plus la critique. Pour The Rakes, le but est différent, vu qu’on ne peut pas dire qu’ils appartiennent vraiment à la première division, malgré un très bon premier album de post-punk socialement intelligent. De plus, on remarque très vite qu’ils n’ont pas choisi la voie de la répétition, évoluant vers un indie-rock assez simple, voire léger.

L’album commence bien, avec The World Was A Mess But The World Was Perfect, écrit à l’origine pour un défilé Dior et repris ici en version plus courte, aux influences new wave plutôt que punk. Le ton est donné, plus Depeche Mode que Gang of Four, The Rakes sortent 10 morceaux de bonne facture, mais assez facilement oubliables et digérables, malgré leur parfaite exécution.

C’est bien le problème de l’album : on ne trouve rien grand chose à lui reprocher, mais on ne l’écoutera pas souvent, ce qui n’est jamais un bon signe. Alan Donohoe fait des efforts pour s’individualiser en tant que frontman, en murmurant ses paroles à la Michael Stipe des débuts, mais on finit vite par se lasser. On retiendra quelques bons riffs, comme Time to Stop Talking ou Down With Moonlight, mais on ressort avec une impression de gaspillage, tout en espérant que le groupe se remettra en question pour la suite. Peut beaucoup mieux faire.

Deftones – White Pony (2000)

WhiteponyUn des premiers groupes nu-metal (avec Korn, qui a débuté à la même époque), Deftones est considéré comme un des plus gros groupes metal actuel (ce qui sera le seul jeu de mot de l’article). Saturday Night Wrist, leur cinquième et dernier album à ce jour confirmait ce fait avec classe. Mais c’est avec White Pony que le groupe a pu passer du statut de groupe metal underground à potentiel vers celui de grand groupe populaire et intéressant. Les deux premiers ne sont pas mauvais, très loin de là, mais ne montrait pas encore ce dont ils étaient capable, ces variations atmosphériques qui sont leur force et particularité.

Feiticeira, le morceau d’ouverture, ne donne pas dans la dentelle, avec son superriff comprimé et un Chino Moreno (voix) qui alterne entre cri primal et chant habité, une schizophrénie qui ne le quittera jamais. Personne d’autre n’est Chino Moreno, personnalité imprévisible (YouTube est plein d’extraits de concerts montrant un Chino complètement bourré, et faisant littéralement n’importe quoi), mais génial. Si l’on excepte peut-être son comparse de douleur introspective Jonathan Davis, personne dans le metal ne chante mieux les tréfonds de l’âme humaine, la difficulté d’exister, le tout avec une pureté et une authenticité remarquables. Et c’est clairement le point fort du groupe : oui, Deftones est un groupe metal, mais qui doit autant à The Cure et aux Smiths qu’à Slayer et Black Sabbath.

La suite immédiate alterne entre calme provisoire et violence non dissimulée. On peut facilement remarquer des influences ambient et new wave, ce qui n’était pas très commun dans le metal de l’époque, peu enclin à être influencé par cette période que certains esprits étroits jugent peu recommendables. Les paroles sont aussi un voyage peu reposant dans l’esprit de Chino Moreno, ou du ses personnages, la différence étant sans doute ténue. Musicalement, aucun des membres n’est à proprement parler un virtuose, mais le but est de créer une atmosphère propre, et pas une simple collection de morceaux. Le but est évidemment atteint, en grande partie grâce aux bidouillages sonores de Frank Delgado.

Teenager pousse cette recherche d’ambiance jusqu’à éliminer complètement la guitare, alors que Korea expose un Chino plus bipolaire que jamais. En parlant de bipolaire, que dire de l’exceptionnel The Passenger, duo somptueux avec Maynard James Keenan, frontman d’un des autres groupes metal inventifs contemporains, Tool. Suit l’encore plus étrange Change (In The House of Flies) – exemple de paroles : « I watched you change / Into a fly » – et l’album peut se clôturer calmement avec Pink Maggit, qui créa assez rapidement une controverse.

En effet, leur label, se rendant compte que l’album ne comptait aucun single potentiel, leur demanda – força – d’écrire un 7 Words, ou un My Own Summer. Et de manière assez flamboyante, Moreno décida d’écrire le morceau le plus facilement commercial de leur carrière. Basé sur les accords de Pink Maggit, Back To School voit Chino rapper à la rap-metal classique, créant un hit alternatif dispensable mais terriblement efficace. Mais même s’il est présent sur certaines ressorties de l’album, Back To School ne fait pas partie de White Pony.

La suite ne sera pas une promenade de santé pour le groupe, confronté aux problèmes personnels de Chino Moreno, dont les différentes addictions le rendent complètement ingérables. Après un album (Deftones) moyen, une compile de faces B et le projet parallèle de Moreno, le groupe a très douloureusement accouché de l’excellent Saturday Night Wrist, et aux dernières nouvelles, la tournée 2007 se déroule très bien.

On ne peut qu’espérer que Chino aille mieux, car son groupe, qui a décroché une place dans la panthéon du metal, peut aller encore bien plus loin. White Pony, bien que très importante, n’est qu’une étape dans la mission de Deftones, rendre le monde tolérable, via une musique organique, personnelle et enivrante.

The Stooges – The Weirdness

Évidemment, le monde n’avait pas besoin d’un nouvel album des Stooges, un des groupes les plus importants de l’histoire du rock. Leur premier album est sorti en 1969, et est largement considéré comme un précuseur du punk, grâce aux classiques No Fun ou I Wanna Be Your Dog. Deux albums suivirent, et ensuite le chanteur partit vivre une des plus extraordinaires vies d’abus en tous genres. Iggy Pop, l’Iguane, légende vivante et mystère de la science aura 60 ans le mois prochain, mais a toujours été capable de livrer des prestations scéniques délirantes, malheureusement gâchées par des albums généralement indignes de son talent.

Skull Ring, son album de 2003, le vit collaborer avec ses héritiers Green Day et Sum 41, mais aussi avec les frères Asheton, bassiste et guitariste des Stooges, intéressés par une tentative de reformation. L’album ne restera pas dans les annales, mais une tournée « Iggy and The Stooges » fut mise sur pied, et petit à petit,on est arrivé à ceci, The Weirdness, le premier album du groupe en trente ans.

On ne peut plus attendre que l’album réinvente la roue, mais on peut aussi craindre qu’il éclate l’héritage du groupe, danger des albums de reformation (Pixies en savent quelque chose). Soyons rassurés, The Weirdness est un bon album de rock. Et il l’est grâce à la qualité des dramatis personae : Iggy, égal à lui-même, Ron Asheton et ses doubles guitares incisives et bruyantes, Scott « Rock Action » Asheton dont la batterie connaît une nouvelle vie; et les nouveaux comparses : Mike Watt à la (discrète) basse, et surtout Steve Albini a l’enregistrement.

Albini était la personne parfaite pour le job, lui seul sait comment obtenir la pleine puissance des instruments, la simplicité de l’enregistrement. Lui seul a pu gêrer l’énergie brute du groupe et la transformer en morceaux tout à fait écoutables, et réécoutables. The Weirdness est aussi son album. De plus, comme toujours avec Albini, l’album a été enregistré live, sans post-production, et on l’entend, jusqu’à quelques petites erreurs et sons accidentaux sortant des guitares. Mais c’est ça le rock n roll, un reptile mort-vivant croonant « My idea of fun is killing everyone » jusqu’à plus soif, et des vieux types qui sont plus punk qu’une armée de Green Days et de Good Charlottes.

On regrettera juste que personne n’ait osé faire comprendre à Iggy que ses paroles étaient ridicules (et je les comprends); mais à part ça, il faudra le faire pour sortir un album plus authentique que The Weirdness cette année. Même si cela implique un retour de 30 ans en arrière.

Iron Maiden – The Number of the Beast (1982)

Iron_Maiden_-_The_Number_Of_The_BeastQuand il faut discuter du plus gros groupe metal, la réponse générale semble évidente. Metallica est connu de tous, au moins de nom, et sans doute grâce à un des deux lents boulets du Black Album. Mais quand il faut parler du plus grand, du plus fort, du meilleur groupe du putain de heavy metal du monde, deux mots résonnent, avec autant de force que l’instrument de torture qui a leur donné un nom, et avec aussi peu de pitié que l’ex-Première ministre anglaise qui l’a également porté. IRON fucking MAIDEN.

Iron Maiden c’est d’abord Bruce Dickinson, phénoménal chanteur, frontman charismatique, homme charitable (en tant que pilote d’avion de ligne, il participe assez souvent à des missions humanitaires) et ennemi de Sharon Osbourne. Et quiconque est ennemi de Sharon Osbourne mérite qu’on lui paie un verre, ou du moins qu’on écoute un de ses albums.

Et cet album, c’est son premier avec le groupe, premier d’une longue série, et classique intemporel du heavy metal. Iron Maiden a débuté quelques années plus tôt, avec deux albums, chantés par Paul Di’Anno, aux accents plus punk (fin des 70s oblige), mais c’est avec The Number of The Beast que leur empreinte allait marquer l’histoire. Il est tellement influencé la suite du genre, qu’il est difficile de vraiment en parler, disons donc simplement que pas de NotB = pas de metal en 2007.

De plus, il est important de dire que tout au long de leur carrière (qui approche les trente ans), Maiden a beaucoup évolué, parfois dans des terrains marécageux et pas toujours très recommendables. Les synthés, les morceaux épiques de 15 minutes, et – pire – la période période Blaze Bayley gagneraient à être oubliés. Même si The Number of The Beast est loin d’être leur seul bon album, et que leurs dernières sorties sont toujours recommendables, il faut avouer qu’il s’agit de leur sommet de pur heavy metal.

Il suffit, pour en être convaincu, de plonger au beau milieu du disque, avec le doublé The Number of The Beast / Run To The Hills, deux des morceaux metal les plus impressionnants, deux classiques parfaits du genre. Un sommet de guitare rythmique, de riffage insensé et de batterie heavy, et surtout une prestation magistrale de Dickinson, un des meilleurs vocalistes metal de l’histoire. De plus, les autres morceaux restent d’un très bon niveau, si l’on exclut les paroles parfois assez cliché (mais c’est une des caractéristiques du groupe, à prendre ou à laisser). Hallowed Be Thy Name clôture, avec des parties de synthés jouées par des vraies guitares, ce qui ne restera hélas pas le cas longtemps.

Á classer parmi les classiques du genre, et à faire écouter à tout le monde qui pourrait avoir un intérêt mineur pour le metal : cet album a créé des dizaines de groupes, a changé la vie de milliers de personnes, et continuera à le faire.

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