Queen – A Night at the Opera (1975)

queenEn 1975, Queen comptait déjà trois très bons albums, et n’avait plus qu’à sortir l’album classique, le chef d’oeuvre, celui qui allait les définir pour les décades à venir. A Night At The Opera, donc. Extrêmement varié, osé tout en restant assez accessible, ANATO reste, plus de trente ans après sa sortie, un objet curieux et très attirant.

Le début est assez violent, avec Death On Two Legs, attaque non déguisée contre le premier manager du groupe, accusé d’avoir volé le groupe (Queen a toujours été proche de ses sous, on y reviendra). Après cette tranche de hard rock menée par la voix indescriptible de Freddie Mercury, on ne saurait pas faire plus différent, avec Lazing On A Sunday Afternoon, typquement le genre de morceau que seul Mercury pouvait sortir sans être ridicule. Dans le genre ridicule, I’m In Love With My Car ose, parce qu’une chanson d’amour sur une bagnole, chantée par le batteur Roger Taylor (et sa voix encore plus haute que Freddie), faut le faire. Mais ça marche.

Pour faire encore plus varié, arrive ensuite une composition du bassiste John Deacon, le très doux You’re My Best Friend, pétri de bonnes intentions. Le cinquième morceau, écrit et chanté par le guitariste Brian May (qui passera le plus clair des années 90-00 à ridiculiser son groupe, mais bon), bat tous les records : ’39 raconte l’épopée d’astronautes, qui reviennent sur Terre en découvrant un continuum espace-temps différent. Ou quelque chose comme ça, May est docteur en astronomie, pas moi.

On peut déjà remarquer que les quatre membres contribuent séparément à l’écriture des morceaux, ce qui créera d’intenses dissensions et disputes en ce qui concerne les royalties. tout cela ne sera réglé qu’avec The Miracle (1989) où le groupe co-signe officiellement chaque composition. Retour à l’album, et retour au bon gros riff ac/dcien, avec Sweet Lady, puis un nouveau virage à 180°, Seaside Rendezvous et les envolées vocales incomparables de Freddie Mercury, qui joue avec sa voix un orchestre entier. The Prophet’s Song enfonce le clou, 8 minutes de pures bizarreries limite prog rock, et des multi-tracked vocals en veux-tu en voilà. Il manquait encore un morceau jazzy joué à l’ukulele, et c’est exactement ce qu’est Good Company. Ensuite, l’album se clôture tranquillement, avec un morceau très discret, appelé Bohemian Rhapsody.

Que dire sur Bohemian Rhapsody qui n’a pas encore été dit, et redit? Que c’est la preuve qu’un morceau peut être très complexe et pourtant connaître un gros succès commercial. Que le morceau est composé de six parties, toutes différentes et techniquement difficiles. Que le headbanging du solo de guitare est un des moments classiques du rock n roll. Que Queen tenait son morceau légendaire, son A Day in The Life, son Stairway To Heaven. En mieux. Juste une petite info, en passant : il a fallu trois semaines pour enregistrer les quelques secondes de la partie « Galileo ». Enfin, l’album se clôture, comme tous les concerts de Queen jusqu’à ce jour, par la réinterprétation du God Save The Queen.
Queen ne s’arrêta pas en si bon chemin, car ils continuèrent à sortir toute une série d’excellents albums, jusqu’à News Of The World. Ensuite, il faut pêcher deux ou trois morceaux par disque, mais Queen n’a jamais sorti d’album très mauvais, même le posthume Made in Heaven est assez correct. Évidemment, il faut apprécier le glissement du groupe du hard rock au rock à synthés plus commercial, mais même pour les puristes,la carrière de Queen est remplie d’excellents moments, qui les définissent comme un des plus grands de tous les temps, sans aucun doute.

Bloc Party – A Weekend In The City

Doit-on encore invoquer le fameux syndrome du deuxième album, celui où le groupe qui a bien réussi le premier est face à un choix : continuer dans la même veine ou évoluer, au risque de surprendre. La liste des artistes se trouvant dans chaque catégorie est très longue, et on se bornera donc ici à étudier le cas Bloc Party, dont l’excellent premier album retentit toujours dans pas mal d’oreilles aujourd’hui.

Une seule écoute, même distraite, suffit à répondre à la question : A Weekend In The City est tout, sauf une copie de Silent Alarm. Mis à part quelques passages, notamment les riffs nerveux de Hunting For Witches, il est difficile de trouver des points communs avec le précédent. L’album est plus sombre, plus introspectif, même si les paroles passent cette fois du général au particulier, c’est à dire Kele Okereke, jeune anglais d’origine nigérianne, et à la sexualité incertaine. Kele s’impose ici comme un songwriter de talent, dont la franchise presque gênante pourrait être comparée à Morrissey.

Dès le premier morceau, Kele fait porter sa voix très haut, et évoque la mémoire d’un personnage de Bret Easton Ellis, aux antipodes de sa propre personnalité. Il est d’ailleurs assez difficile d’interpréter les paroles sans faire de raccourcis probablement erronés, comme la chanson d’amour gay I Still Remember ou Where Is Home, l’interrogation d’un gosse sur ses origines ethniques. Musicalement, l’album est fort varié, mais nettement moins bruyant et rythmé que le précédent, et agrémenté de quelques touches électro, parfois maladroites, placés par le très bourrin producteur Jacknife Lee.

De même, la cohésion n’est pas le point fort de Weekend : il semble évident que deux ou trois morceaux ont été placés là en tant que singles potentiels, il faut dire que l’album est long (51 minutes pour 11 morceaux) et pas vraiment aisé d’accès. il n’est pas très marrant non plus, comme peut en témoigner SXRT, qui raconté le suicide d’un dépressif (« Tell my mother I’m sorry, and I loved her »).

A Weekend In The City est un album courageux, sans doute nécessaire pour la survie du groupe, et le développement de Kele Okereke, en tant que songwriter et être humain. On regrettera juste que tout cela soit au détriment de l’accessibilité. Malheureusement, malgré les points forts de cet album, il souffrira toujours de l’ombre de son prédécesseur, moins ambitieux mais mieux réalisé, et nettement mieux produit.

Klaxons – Myths Of The Near Future

Régulièrement, la presse anglaise, NME en tête, décide de lancer, plus ou moins artificiellement, un nouveau mouvement. Britpop, New Rock Revolution, j’en passe et des meilleurs, car c’est apparemment l’ère de la nu-rave, maintenant. Et comme chaque pseudo-mouvement a besoin d’un leader, ils ont choisi Klaxons.

Effectivement, si l’on se base sur leurs premiers singles, on retrouve un son dance qui n’avait plus été entendu depuis l’époque Prodigy/Chemical Brothers/Underworld, où les rockers pouvaient enfin écouter de l’électro sans être trop ridiculisés (merci, Trainspotting). Depuis, tout cela a évolué, jusqu’à ce que ces ados arrivent avec glow sticks, fringues fluos et sirènes. Gravity’s Rainbow et Magick sont les deux singles, d’une efficacité inouïe, deux des meilleurs de 2006, et préfiguraient une tuerie d’album, proche de The Fat Of The Land. Alors? Oui et non.

Oui, parce que les morceaux dance sont très bien fichus, basés sur un duo basse/batterie qui n’avait plus été aussi dominateur depuis Death From Above 1979, et agrémentés de trouvailles électro pas toujours très subtiles, mais qui remplissent clairement leur rôle : faire danser comme un maniaque, avec ou sans LSD. Et non, parce que Klaxons a superbement réussi à faire un croche-pied aux attentes, et à truffer l’album de morceaux pas rave pour un sou, tel le très indie-pop et excessivement catchy Golden Skans.

Cependant, ils faut reconnaître que ce sont les morceaux dance les plus impressionnants, et surtout les plus frais : Isle of Her, et son mantra répété par une voix dédoublée (une caractéristique majeure de Klaxons), la reprise du hit dance de Grace (écrit par Oakenfold) All Over Yet et les deux singles déjà mentionnés sont vraiment impressionnants, comme l’est également une bonne partie de l’album qui ne compte qu’un ou deux fillers.

L’album, dominé par les citations littéraires à tendance cyberpunk (Gibson, Rucker, Pynchon, Ballard s’y retrouvent) se clôture par Four Horsemen of 2012, qu’on pourrait décrire par Nirvana chanté par Mclusky, avec un robot à la batterie. On n’est certes pas face à un premier album quasi parfait, à la Arctic Monkeys, mais Myths Of The Near Future est un très bon album, qui a défié les attentes en sortant une collection de morceaux variée et impressionnante. J’espère qu’on reparlera de Klaxons dans le future, et pas que comme mythe.


Queens of the Stone Age – Songs for the Deaf (2002)

qotsaAucun album metal n’a dépassé la barre fixée par Songs for the Deaf, il y a déjà cinq ans. C’est aussi simple que ça. L’album arrive au niveau de la pure perfection, et restera pour toujours dans les annales du rock.

Comment y est-il arrivé? D’abord, grâce à ses membres : ex-Kyuss Josh Homme, figure majeure du stoner rock; Nick Oliveri, déséquilibré notoire, et ex-Dwarves et Kyuss; Mark Lanegan, ex-Screaming Trees et voix d’outre-tombe; enfin, en guest drummer, un certain Dave Grohl.
Avoir un tel line-up sur papier, c’est chouette, mais cela ne suffit pas, regardez Audioslave. Dès les premières secondes, les doutes s’estompent. Nick Oliveri, bassiste et exhibitionniste, offre ici sa gorge à contribution, pour un des morceaux les plus violents du groupe, avant que l’imparable single No One Knows déferle, avec ses solos (guitare et basse), ses différentes parties et son futur comme frustration majeure dans Guitar Hero.

Le niveau ne descendra jamais. First It Giveth est une leçon de riffs, tandis que A Song For The Dead montre Dave Grohl en démonstration, qui nous force à nous demander pourquoi il a arrêté la batterie full time : Songs For The Deaf est son meilleur album, aussi incroyable que cela peut sembler.

Les morceaux plus radio-friendly (Go With The Flow, Another Love Song) se lacent parfaitement avec d’autres, plus difficiles d’accès mais tout aussi mémorables (The Sky Is Falling, God Is In The Radio). De plus, Mark Lanegan nous gratifie de quelques exemples de sa voix phénoménale, offrant encore plus de variation à un album déjà très complet.

Songs For The Deaf doit s’écouter très fort, et très souvent. C’est un modèle, un des meilleurs albums de tous les temps. C’est le record du 100m de Florence Griffith-Joyner, qui tient toujours après 20 ans. Dans les deux cas, on ne sait pas ce qu’ils ont consommé durant leur exploit, mais ça marche super bien.

The Good, The Bad And The Queen

Ne vous trompez pas, ce groupe n’a en fait pas de nom, car ils sont trop vieux pour en avoir un, de l’aveu même du leader, chanteur et claviériste, un certain Damon Albarn. Á bientôt 40 ans, Albarn peut, et doit, déjà être considéré comme un des songwriters les plus importants de la musique britannique, ayant défini la Britpop avec Blur, et prouvé qu’on pouvait faire de la musique commerciale intelligente avec Gorillaz. TGTB&TQ, conçu à l’origine comme projet solo, est sans doute l’album le plus personnel, et sans doute le plus particulier de son longue carrière.

D’abord, un coup d’oeil sur les membres du groupe. Outre Albarn, on retrouve à la guitare l’ex-Verve, ex-Blur (il remplaça Coxon en tournée) et actuel Gorillaz Simon Tong; derrière les futs, le légendaire batteur afrobeat Tony Allen; et à la basse, le non moins légendaire Paul Simonon, The Clash. Le tout produit par Dangermouse, DJ avant garde qui a récemment connu le succès comme moitié de Gnarls Barkley. Impressionnante et étrange combinaison, mais qui fonctionne extrêmement bien.

Dès le début, on remarque que TGTB&TQ n’aura rien (ou presque) à voir avec Blur, Gorillaz, Clash ou autre, c’est un projet hautement personnel de Damon Albarn, qui, comme Parklife à l’époque, est fermement ancré dans son époque (guerres et calamités climatiques comprises) et lieu principal (la vie à Londres en 2007, qui est aussi le thème du nouveau Bloc Party). En conséquence, l’album est sombre, parfois oppressant, rugueux et sans trop de concessions. Ce qui n’empêchera pas quelques rayons de soleil, un peu comme ceux qui arrivent parfois à traverser le smog et éclairer les rues de Soho, un jour d’été comme un autre.

History Song, qui entame le disque, donne le ton : Allen ne se la jouera pas démonstratif, la basse de Simonon se bornera à baliser le chemin, et la guitare de Tong sera plutôt discrète. La voix d’Albarn, quant à elle, est éraillée, semble usée et fatiguée. Un des rayons de soleil mentionnés vient des claviers music-hall employés avec parcimonie et efficacité, comme dans l’intro du magnifique 80s Song, qui rappelle les meilleurs moments mélancoliques de Blur (ah, This Is A Low). Mais cela ne dure pas, et Albarn distille ses conseils, destinés à (sur)vivre ce maudit début de 21ème siècle (« Drink all day, ‘cos the country’s at war », ou encore « Move to the country, the town has told its tale »). Forcément, les thèmes sombres confinent les morceaux dans une certaine similitude, mais cet apparent manque de variété se révèle être un atout cohésif plutôt qu’un défaut.

Tout cela est servi dans une ambiance lo-fi, qui cadre parfaitement avec l’ambiance générale de l’album, Dangermouse ajoutant parfois une petite pointe éléctronique, mais à des années lumière de Gorillaz. Les amateurs de guitare crasse devront attendre le dernier morceau pour avoir quelque chose à mâcher (et encore), mais il serait stupide de leur reprocher : chaque seconde est bien remplie, chaque instrument parfaitement utilisé, et permet à The Good The Bad And The Queen d’être un album impressionnant, un des meilleurs de récente mémoire et bien plus que ça : un futur classique intemporel.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’Albarn arrive à ses fins, et attire Coxon pour que Blur réalise son album final. Une époque s’achèvera, mais la suite a déjà débuté.

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