Arctic Monkeys – Humbug

Les circonstances font qu’on ne peut pas passer à côté : le nouvel album de ceux qui sont peut-être le plus grand groupe anglais depuis Oasis sort en même temps que la séparation (?) de ces derniers. Passage de témoin? Non, parce que les années nous ont fait comprendre qu’Oasis s’est très vite essouflé. Le temps n’est pas encore là pour nous aider à juger les Singes de Sheffield, mais au même moment de leur carrière (le troisième album), ils éclipsent très facilement les frères mancuniens. Pour revenir 10 ans (12, même) en arrière, et terminer cette comparaison, le troisième album d’Oasis (Be Here Now) était extraordinairement attendu. La déception fut proportionnelle à l’attente. Il fallait clairement quelque chose pour qu’Arctic Monkeys passe outre ce piège, et sorte un troisième album qui cimente leur légende. C’est fait.

Humbug est un album exceptionnel à bien des égards. Là où un groupe à gros succès aurait pu simplement continuer à faire la même chose, plus ou moins bien (Oasis, mais plus près de nous Muse, Kaiser Chiefs, par exemple), mais ils ont sorti un album difficile, complexe, pas tellement commercial, mais absolument passionnant. On repense aux paroles du prophétique « Who The Fuck Are Arctic Monkeys », sorti entre leurs deux premiers albums : « don’t care if it’s marketing suicide, we won’t crack or compromise ». Marketing suicide, peut-être pas : Humbug est trop bon pour ça, mais l’absence de compromis est là, et se remarque d’entrée.

Les deux premiers morceaux des deux albums précédents étaient rapides d’entrée, et se caractérisaient par la vitesse d’exécution du chanteur Alex Turner. Ici, rien de tout ça, au contraire : Turner a appris que le silence pouvait être très pertinent. « If you can summon the strength – pause réflexive – tow me ». C’est une des conclusions qu’on tirera dans quelques paragraphes : Turner a terriblement évolué, comme chanteur mais aussi comme lyriciste. My Propeller, par exemple, est l’expression de la nouvelle passion de Turner pour les moteurs d’avion. Á moins que ce soit une longue métaphore sexuelle? Le morceau peut faire penser au projet parallèle (et excellent) de Turner, The Last Shadow Puppets, car il prouve une grande maturité d’écriture. C’est aussi un des trois morceaux produits par le fidèle James Ford, car le gros de l’album, on le sait, a été géré par un certain Joshua Homme.

Josh Homme. Figure légendaire du rock US, on ne doit plus vraiment le présenter, mais bon : guitariste des légendaires stoners Kyuss, puis frontman de Queens of the Stone Age (dont Songs for the Deaf, 2002, est peut-être le meilleur album rock des années 2000) et tout récemment membre de Them Crooked Vultures, « supergroupe » réunissant Dave Grohl et John Paul Jones, il a proposé aux Monkeys de venir essayer son studio en plein Mojave Desert. Le résultat dépasse tout attente, et même s’il est difficile de dire précisément ce que Homme a apporté au groupe, on peut ressentir à certains endroits un feeling QOTSA. Je ne serais d’ailleurs pas étonné d’apprendre que Homme y a placé quelques guitares, en plus de ses backing vocals inratables.

Crying Lightning, étonnant premier single, a donc été produit par Homme (avec son ingénieur du son attitré, le fantastique Alain Johannes, dont l’importance ne doit pas être sous-estimée), et montre un son étendu, une dynamique basse-batterie époustouflante et une histoire pleine de détails, comme Turner sait si bien les écrire. Dangerous Animals, qui suit, est peut-être un peu moins immédiat (même si l’album est clairement de ceux qui s’améliorent au fil des écoutes) à cause d’un refrain trop mécanique, mais montre à quel point le guitariste Jamie Cook a augmenté ses possibilités, et exprime une créativité hors pair. Arctic Monkeys, c’est un vrai groupe, avec quatre excellents musiciens. Qui l’eut cru?

Humbug est dense, nettement moins frénétique que Favourite Worst Nightmare, mais comporte quand même quelques morceaux lents à tomber par terre. Secret Door, le premier, commence calmement, avec la voix de Turner éloignée, sur un fond de guitares psyché, avant de devenir un hymne énorme, sensible et sensé, qui rappelle en même temps Ennio Morricone et Morrissey, Kyuss et … Oasis. Même si Turner utilise des mots compliqués avec trois syllabes. Quelques pistes plus loin, Cornerstone est moins anthémique (néologisme du jour) mais très émouvant. On suit le narrateur, qui passe de pub en pub en espérant retrouver son amour, et demandant à chaque fille qu’il croise s’il peut l’appeler du prénom de sa douce… La pathétique résolution de l’histoire la rend encore plus poignante. Juste une très belle chanson, intercalée entre plusieurs morceaux plus secs, Potion Approaching et Fire And The Thud

Il est probable que Mr Homme a fait plus que chuchoter le refrain, tant le morceau pourrait presque sortir d’un des deux derniers QOTSA. Mais malgré son clin d’oeil à Very Ape (Nirvana), il est loin d’être un plagiat ou morceau peu inspiré. Alors qu’il semble se répéter, il effectue un virage à 180 degrés, avec un bridge fait de « ooh-oohs » inquiétants, et d’une basse ronflante. Le « potion approaching… shield your eyes » de Turner est carrément inquiétant, et ensuite, le morceau repart à pleine vitesse, jusqu’à un coda improbable. Nous sommes alors à la moitié de l’album, et la sensation est double : non seulement, on est surpris, limite perdu, mais terriblement impressionné. Ce qui ne changera pas.

Fire And The Thud, quant à lui débute dans la même veine Morriconesque subtile, mais se change vite (après un solo très Homme) en un monstre à deux têtes avec Alison Mosshart qui apporte sa légendaire intensité et tension sexuelle. Il est encore est toujours question de tension, et de densité dans les trois dernières pistes de l’album. Dance Little Liar exprime une fois de plus la nouvelle subtilité du groupe, et se termine avec un jeu de guitare absolument époustouflant. Turner continue dans son registre calme, presque éthéré, et cela fonctionne très bien avec le feeling psychédélique qui confirme le relatif cliché de l’enregistrement dans le désert, avec Homme et ses plantes…

Pretty Visitors est de loin le morceau le plus rapide de l’album, mais ce n’est pas I Bet You Look Good on the Dancefloor pour autant, surtout si on tient en compte un break très très lourd (genre Sabbath, lourd comme ça). Témoignage ultime de l’excellence du batteur Matt Helders, Pretty Visitors voit aussi Turner s’essayer à des paroles plus obtuses, mais tellement catchy (« what came first, the chicken or the dickhead? »). Le dernier morceau de l’album était aussi très attendu, car il fallait suivre 505 ou A Certain Romance. Fatalement, les Monkeys ont fait le contraire de ce qu’on pouvait attendre, avec un morceau fantomatique, aux accents de fête foraine qui tourne assez mal. Lysergique, éthérée, ce genre de cliché fonctionne assez bien, pour un morceau réflexif, qui clôture un album court (autre leçon apprise : moins de morceaux = moins de chance de baisse de niveau), invraisemblablement fantastique et totalement inattendu.

On se verrait presque espérer que le groupe se sépare maintenant. Parce que franchement, que faire, maintenant? Rien que penser qu’il y a cinq ans, le groupe était inconnu est vertigineux. Leur progression est aussi improbable qu’impressionnante, mais comment vont-ils suivre Humbug, comment vont-ils faire là où tout le monde, ou presque, a échoué? C’est cette peur, ce danger constant, cette stressante impossbilité de prédire l’étape suivante qui rend le rock ‘n roll viscéral et attirant. Arctic Monkeys est un des seuls groupes encore capables de faire surgir cette étincelle qu’on pouvait croire éteinte depuis longtemps. Humbug prouve le contraire, et Arctic Monkeys continuera probablement à le prouver. Finalement, qu’on laisse les mauvais groupes se séparer : on a trop besoin des bons.

2 réflexions sur « Arctic Monkeys – Humbug »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.