Des concerts légendaires, il y en a eu quelques uns, des albums live aussi. La prestation de Nirvana au festival anglais de Reading, en 1992 peut maintenant prétendre à ces deux catégories. À ce moment, Nirvana était en pleine préparation d’In Utero, et la tournée européenne qui les emmena en Angleterre fut moins mouvementée que celle de l’année suivante, qui se termina par une overdose de Cobain à Rome. Résultat, ce concert, bootleggé à maintes reprises mais donc seulement officiellement sorti cette année, reprend l’intégralité de Nevermind (sauf Something In The Way), des extraits de Bleach et Incesticide, deux reprises (les classiques protogrunge The Money Will Roll Right In de Fang et D7 des Wipers) et des futurs morceaux d’In Utero, notamment Tourette’s et All Apologies. Le setlist est donc totalement irréprochable, débutant avec Breed et étalant classique sur classique, des morceaux qui ont gardé, presque vingt ans après, toute leur puissance et pertinence. On peut d’ailleurs remarquer le relatif manque de cohérence du setlist, qui alterne sans s’en soucier morceaux assez hard et d’autres plutôt lents, parfois en 5 minutes (About a Girl – Tourette’s – Polly). De même, Smells Like Teen Spirit est juste balancé en plein milieu, sans être mis en avant pour un sou.
Musicalement, on n’est pas censé s’attendre à ce que le groupe soit techniquement parfait, c’est bien une pure énergie punk qui les animait. Alors, oui, Cobain rate quelques notes, mais si quelqu’un retient cela de l’écoute de l’album, je le plains de toutes mes forces. Il en profite pour lancer quelques antisolos fantastiques ; même s’il est bon ton de critiquer Nirvana pour 36 raisons, c’est en fait futile et totalement stupide, Cobain était un génie, et comme tous les génies, il a effectivement volé quelques trucs à ses prédecesseurs (« Talent borrows, genius steals », disait Oscar Wilde). Novoselic et Grohl tiennent la baraque avec une section rythmique surpuissante et précise. Novoselic n’est plus vraiment actif dans le milieu musical (il est animateur social et politicien à Seattle) mais bien sûr, Dave Grohl allait devenir une icone à son tour, grâce au succès public des Foo Fighters (au départ son projet solo) et surtout son statut de batteur fantastique au sein de Queens of the Stone Age (Songs for the Deaf) et récemment Them Crooked Vultures.
Live at Reading est un témoignage fabuleux d’un groupe qui fut un des plus importants de l’histoire du rock, dont les influences se font toujours ressentir actuellement. Il souffre toutefois d’un défaut assez stupide : la durée du concert original (1h25) ne permettant pas de le caser sur un cd (et aurait été trop court pour un double), on a décidé de couper les interventions entre les morceaux, donnant l’impression (pas désagréable mais fausse) d’un concert sans pause, mais aussi créant quelques incohérences. Pire, leur tout premier single, Love Buzz, est carrément passé à la trappe. Même s’il n’existait sans doute pas de solution parfaite pour le cd, il est étonnant de constater que le concert complet n’est pas disponible en téléchargement légal, mais uniquement sur le DVD. Autrement dit, pour avoir légalement le concert complet, il faut acheter le dvd et passer un petit bout de temps (si l’on possède les compétences techniques) à extraire les pistes audio pour en faire, par exemple, des mp3. Et après, on s’étonne…