Quel phénomène, Arcade Fire. Un jour, ils seront peut-être dans la liste des plus grands artistes indie de tous les temps. Cette année, ils ont fait la quasi tête d’affiche de très gros festivals en Europe alors que l’album n’était même pas encore sorti, et quand il l’a été, il s’est directement retrouvé n°1 des ventes US. On pourra arguer sans cesse sur les raisons de ce succès, notamment sur le fait que le téléchargement de The Suburbs était très bon marché, cela ne change pas le fait : Arcade Fire, c’est du costaud. Comme souvent, le hype précède l’album, et il est difficile de garder un esprit ouvert après avoir lu quelques critiques dithyrambiques et souvent stupides, du genre « meilleur qu’OK Computer » (Mike Diver, BBC). On peut toujours essayer.
Seize pistes, soixante-quatre minutes pour un album qu’on peut vraiment qualifier de conceptuel : les Canadiens ne font pas dans la dentelle. Et commencent l’album indé le plus attendu de l’année par deux morceaux qui les placent exactement là où on pensait qu’ils seraient. Excellent refrain, montées en puissance, voix inimitable de Win Butler : The Suburbs et Ready to Start comptent directement parmi les plus grands morceaux du groupe, et on se met à espérer : et si le groupe pouvait retrouver le niveau inouï atteint sur les meilleurs moments de Funeral?
The Suburbs est effectivement un album concept, explicité dès le titre. Mais un album concept fin et intelligent, ce n’est pas American Idiot, non plus. C’est un voyage dans les faubourgs, mais aussi dans le passé. Un passé vu de manière mélancolique, à travers des yeux d’enfants : Ready to Start comprend le vers « all the kids have always known », qui renvoie directement au premier EP du groupe, Us Kids Know. Modern Man parle de gosses qui vont au centre-ville (hors des Suburbs, donc) et qui observent, un peu plus tard, les gens « modernes » (Rococo). Suburban War porte le concept à son paroxysme, exhortant une guerre contre les faubourgs, parce que, de toute façon, « the past won’t last ». Et puis, dans le passé (idéalisé), pas de crise financière, pas de businessmen qui boivent notre sang (Ready to Start). C’était donc mieux avant.
Tout cela est délivré avec la puissance d’un groupe à dix têtes (ou plus) comme peut parfois l’être Arcade Fire. Percussions et guitares multiples, les arrangements de cordes d’Owen Pallett et les voix de Butler et de Régine Chassagne, généralement assez discrète mais qui prend le surprenant Sprawl II (alias Arcade Fire goes Blondie) à son compte. Comme concept, cela marche du tonnerre, et certains morceaux sont effectivement grandioses sans être grandiloquents. Butler raconte des histoires, ce qui est assez rare, de nos jours. Mais comme on pouvait le craindre, l’album est trop long, et donc inégal. Pour un superbe We Used to Wait à la vidéo extraordinairement innovante, on a un morceau qui parle de simulateur de jeu d’échecs (Deep Blue), pour un très Springsteenesque City with No Children une face B de Queens of the Stone Age dont on se demande vraiment ce qu’elle y fait (Month of May). Qui aime bien châtie bien (c’est vraiment très, très con, comme proverbe, mais soit), mais il fallait quand même garder un minimum de raison et de bon sens, sinon l’album finira comme Be Here Now (Oasis, 1997 : critiques fabuleuses à sa sortie, nettement moins quelques mois après).
The Suburbs est très ambitieux, et n’arrive que partiellement à ses fins, surtout à cause d’une relative lourdeur d’exécution. Mais quand Arcade Fire décolle, ils volent plus haut que quiconque. Même si Funeral ne sera sans doute jamais égalé, ils restent un des groupes les plus passionnants du paysage musical contemporain, et occupent une place étonnante : celle de groupe indépendant de stade.
Spotify : malheureusement, Arcade Fire n’a pas licencié ses morceaux pour l’écoute sur Spotify.