Dans dix mois, on compilera les meilleurs albums de 2012, les surprises, les déceptions. Si Attack on Memory n’est pas dans le top 10, alors 2012 aura été une année exceptionnelle. L’album précédent de Dylan Baldi, Cloud Nothings, était déjà dans pas mal de listes l’an dernier, mais cette fois, il a atteint un tout autre niveau. Cloud Nothings était frais, lo-fi, pop, charmant et efficace. Mais Baldi avait d’autres ambitions, qui dépassaient largement le cadre trop structuré de la pop song dite facile. Alors, il s’est entouré de trois musiciens (il jouait de tout sur ses anciens morceaux), a engagé Steve Albini pour enregistrer un son viscéral, brut et forcément sans artifice, et voici le résultat.
Baldi semble tellement obsédé par montrer son évolution que l’album commence par deux morceaux qui n’ont rien à voir avec ses précédentes productions. No Future/No Past est une ouverture absolument parfaite, rappelant la morosité lancinante de certains morceaux de Nirvana en se terminant par une explosion sonore rappelant… d’autres morceaux de Nirvana. Il reprendra d’ailleurs le nihilisme qui caractérisait cet autre génie lofi un peu plus loin, sur No Sentiment (« No nostalgia / No sentiment »). Mais Baldi est loin d’être un plagiaire, il ne fait que revendiquer ses infuences. Wasted Days semble plus direct, mais après environ trois minutes, un long pont instrumental rappelle à l’auditeur que Cloud Nothings veut maintenant être un vrai groupe qui fait des chansons taillées pour la scène et plus pour la chambre à coucher de Baldi. Baldi qui termine en gueulant « I thought / I Would / Be more / Than this » avec une conviction poignante qui montre qu’il croit en ce qu’il fait, que son coeur est clairement au bon endroit. Wasted Days est leur Whirring, en mieux encore : que de chemin parcouru depuis Hey Cool Kid.
Après cette démonstration de force, on pourrait presque en rester là. Et Cloud Nothings (on va arrêter de ne parler que de Baldi, Cloud Nothings est un groupe, maintenant) tient à ne pas en faire trop, ce qui est une preuve de sagesse : Attack on Memory ne dure que 8 morceaux et 33 minutes, malgré le fait que Wasted Days prend le quart de la durée à lui seul. Fall In permet à l’auditeur de (re)trouver ses repères, avec une production plus lofi (enfin, c’est Albini, ce n’est pas non plus très glossy), on pourrait presque se retrouver sur l’album précédent. Mais même si Baldi a prouvé qu’il était un multi-instrumentiste talentueux, avoir un vrai groupe derrière lui permet de s’exprimer comme il le souhaite, dans ce cas en version pop, mais un peu plus loin en version Strokes : Stay Useless reprend une partie de Hard to Explain mais le transforme en quelque chose de nettement plus puissant et sauvage.
L’album ne souffre d’aucun temps mort, d’aucune faiblesse. Sa face B reprend les mêmes ingrédients : un peu de mélodie, pas mal de puissance et de nervosité, et beaucoup de talent. Baldi réussit quelque chose de rare : montrer qu’il peut faire pas mal de choses (ce qui n’était pas certain au départ) sans se dissiper, qu’il peut écrire de vraies chansons tout en gardant l’énergie qui caractérisait ses premières productions, même si on peut éventuellement regretter le charme bricolé du passé. Mais l’aspect le plus impressionnant d’Attack on Memory, c’est que même s’il s’agit sans nul doute d’un des albums de 2012, on sait, on sent qu’il peut faire encore mieux, encore plus fort. Nous assistons actuellement à la montée en puissance de quelqu’un qui sera peut-être un des musiciens/compositeurs les plus talentueux de la décennie. Et pour un genre musical qui est mort une bonne centaine de fois ces dix dernières années, c’est extrêmement excitant et prometteur. No Future/No Past? No Way.