Archives de catégorie : Music Box

Chroniques d’albums contemporains

Manic Street Preachers – Postcards from a Young Man

Nicholas Jones, alias Nicky Wire, est le bassiste des Manic Street Preachers et leur principal auteur. Il en est aussi le porte-parole, et depuis que le groupe existe, elle a été très bien portée, la parole. On pourrait écrire un bouquin rien qu’avec des extraits d’interviews, ou ses éclats de voix sur scène. Il avait déclaré, lors de la sortie de l’excellent Journal for Plague Lovers, que ce n’était pas vraiment le nouveau Manics, vu qu’il était entièrement construit à partir de paroles écrites par Richey Edwards, disparu il y a maintenant quinze ans. Postcards from a Young Man, par contre, est bien la suite de Send Away the Tigers. C’est aussi, et surtout, « leur dernière tentative de communication de masse ».

C’est tout Wire, ça : un côté sombre, farouchement indie et contestataire, et un autre populaire sans jamais être populiste. Leur ambition de départ, il est vrai, était de vendre le plus d’exemplaires possible de leur début Generation Terrorists (1992) avant de se séparer. Les Manics ont toujours fonctionné par réaction : le nihilisme de The Holy Bible suivi du rock ample de Everything Must Go, le gros succès commercial de This Is My Truth Tell Me Yours suivi de l’incohérent Know Your Enemy, lui-même suivi de l’insipide et impersonnel Lifeblood. Postcards, quant à lui, fait donc suite au sec Journal for Plague Lovers : on remplace Albini par un orchestre, en gros.

Et ils y ont mis le paquet : l’album est truffé de hits en puissance, de cordes, de choeurs gospels, et même de guest stars, avec John Cale (Velvet Underground et héros gallois), Duff McKagan (Guns ‘N Roses), et Ian McCulloch (Echo & The Bunnymen). Le plus fou, dans tout cela, c’est que les Manics sont probablement le seul groupe au monde à pouvoir y arriver tout en restant crédibles artistiquement, parce que, l’effet de surprise passé, Postcards est un bien bon album.

Evidemment, comme toujours avec les Gallois, il faut garder quelques clés d’écoute en tête. Par exemple, on ne doit pas être trop sarcastique en écoutant l’ouverture de l’album, qui est aussi le premier single : It’s Not War (Just The End of Love) est tellement catchy qu’il en est proche du pastiche, surtout quand James Dean Bradfield fait rimer « love » et « enough ». Le morceau-titre suit, hurle « hit single » et balance un choeur gospel, des cordes, une batterie militaire, du piano, et j’en passe. Bradfield est dans son élément, donnant libre cours à sa voix de ténor, qui, cette fois, n’est plus bridée par les mots avec plein de syllabes écrits par Edwards. Je me moque, certes, mais il faut le faire, pour écrire et jouer des trucs aussi bien foutus. Si U2 essayait seulement Some Kind of Nothingness, on leur balancerait à la gueule des shoes fair trade faites par des gosses chinois, mais ici, ça marche. Bradfield, McCulloch, et un choeur gospel? Il fallait le trouver, et c’est fait.

Hazelton Avenue, nommé d’après une artère de Toronto, aurait, selon Wire, le meilleur riff du groupe depuis Motorcycle Emptiness. Il est effectivement ultra-catchy, tant que personne ne remarque qu’il ressemble à It Ain’t Over Til It’s Over, en quand même plus classe. Une fois de plus, et c’est le cas de quasi chaque morceau de l’album, le refrain rentre dans la tête, ne semble pas faire beaucoup d’effet, jusqu’à ce qu’on se surprenne à le fredonner des heures après. Tout cela est très bien, mais est-ce que tout cela ne manque pas un peu de… rock? Parce que bon, ok, Bradfield sort quelques solos sympas de sa bonne vieille Gibson Les Paul blanche, mais on garde quasi le même tempo partout. Effectivement, ce n’est pas Lifeblood, mais Postcards est le second album le plus tranquille du groupe. Il faut attendre le sixième morceau, Auto-Intoxication, pour avoir un peu de menace, un peu de crasse dans un album fort propre. Dommage que le refrain assez faible en fait un des moments les moins mémorables de l’album, malgré une seconde moitié rappelant carrément les débuts du groupe.

La face B de l’album continue le thème hyper-mélodique qui avait juste été mis de côté pendant trois minutes : Golden Platitudes commence comme une ballade au piano et évolue vers… une ballade avec orchestre et choeurs, encore. Je n’ose même pas imaginer à combien de millions d’exemplaires l’album se serait vendu quand on achetait encore des disques. Mais comme les Manics n’ont jamais voulu faire simple, ils varient un peu les choses quand même : le tellement mélodique que ça fait peur I Think I Found It semble comprendre une mandole, alors que All We Make Is Entertainment est en même temps un aveu de force/faiblesse de la part du groupe et une critique féroce de la lente et pathétique mort du gouvernement Labour (« clearing house for hell », soit le gouvernement Cameron). Encore un gros hit potentiel, il allie riff puissant (cette fois, c’est vraiment leur meilleur riff depuis Motorcycle Emptiness), double voix, batterie experte, refrain immense et un solo comme Slash n’en fait plus. En parlant de Slash, Duff McKagan fait une apparition sur le très bon A Billion Balconies Facing The Sun, et si c’est pour cela que Bradfield sort le grand jeu, merci à lui.

Wire prend une fois de plus un morceau à son compte, l’assez anecdotique The Future Has Been Here 4 Ever avec en guest la trompette de Sean Moore, qui n’avait plus été entendue depuis Kevin Carter. Elle ne manquait pas trop, mais bon, vu qu’il fallait mettre un peu de tout sur l’album, pourquoi pas, surtout que Wire chante de mieux en mieux (oui, bon, ok). La suite, et fin, est nettement meilleure. Don’t Be Evil, qui partage son titre avec le slogan de Google, aurait mérité sa place sur Journal for Plague Lovers, grâce au venin dans la voix de Bradfield, et aux guitares abrasives sans pareil sur l’album. De plus, pas de choeur en vue, ou l’ombre d’un violon : le morceau fait plutôt penser à l’outtake de The Holy Bible Judge Yrself. L’album se termine donc bizarrement sur cette note différente, et pour une fois, sans morceau caché. Une fois de plus, les Manics font ce qu’ils veulent, quand ils veulent : on repassera pour la cohérence, mais on ne se plaindra pas non plus.

Postcards from a Young Man est d’abord un tour de force : rares sont les groupes aussi relevants et aussi percutants après dix albums, vingt ans et une carrière très, très mouvementées. Comme pour chacune des leurs sorties, on pourra gloser sans limite sur leurs choix artistiques, mais ils sont, une fois de plus, parfaitement assumés. On recommandera l’édition spéciale de l’album, qui comprend un second cd de démos sans orchestration, histoire d’être persuadé, si besoin en est, que les morceaux se suffisent à eux-même. Mais les Manic Street Preachers ont voulu assumer ce « last shot at mass communication », et il a atteint son but, triomphalement. Chapeau bas.

Spotify : Postcards from a Young Man (Special Edition)

Brandon Boyd – The Wild Trapeze

It’s evolution baby. Mouais, mais parfois, les groupes qui changent leur son le font juste par manque d’inspiration, ou par facilité commerciale. Incubus a commencé comme groupe funk-rock-punk-metal-tordu, avec Fungus Amongus (1995) et le juste un peu moins bizarre S.C.I.E.N.C.E. (1997). Leur dernier album, Light Grenades (2006), ne ressemblait absolument plus à ça, entre morceaux rock ramollis, pastiches de Police et ballades saccharinées pour séries TV d’ados mormons. Entre les deux, on peut voir une réelle évolution, et quelques très bon moments, dont le fantastique Make Yourself (1999).

Brandon Boyd a suivi le même chemin, de l’ado troublé aux dreads peu fraîches au trentenaire sex symbol pas trop malgré lui. Son album solo aurait pu être un truc produit par Timbaland, histoire de larguer définitivement ses copains de fumette pour connaître la gloire, la vraie, celle de Gwen Stefani quand elle a viré son groupe ska. Ben non, bizarrement. Brandon a tout fait tout seul, joué de tout, rameuté le producteur des Flaming Lips Dave Fridmann et monté la distortion à 11. Pas que l’album est le retour au « nu-metal » des débuts, juste qu’il a ce feeling lo-fi, comme si Boyd l’avait monté tout seul, dans sa chambre, avec des boîtes à oeufs mal collées au mur. Résultat : son meilleur album depuis Make Yourself.

L’album est tellement bizarrement enregistré qu’on a cru, lors de la sortie digitale, qu’il y avait eu un problème de mastering, à la Death Magnetic. Boyd a lui-même réagi et confirmé que ce son tordu était intentionnel, car il avait voulu arriver à l’opposé d’un album trop (bien) produit. Etonnant, mais cela marche, surtout que les mélodies ne sont jamais gratuitement détruites par ce procédé, le but n’était pas nécessairement de faire un album difficile d’accès. D’ailleurs, quelques unes des meilleures mélodies pondues par Boyd se trouvent ici : les refrains de Revenge of the Spectral Tiger ou A Night Without Cars auraient pu, dans un autre contexte, faire un plus gros tube que Drive. Mais non, Boyd les garde pour un album discret, et en profite pour taper des solos de guitare franchements tordus, histoire de ne pas faire si accessible que ça. Même chose pour le premier single, Runaway Train, qui part après une minute dans un trip tribal accompagné d’instruments bizarres probablement trouvés dans un fond de grenier quelque part à LA.

Reste que Courage and Control pourrait bien l’être quand même, ce tube, avec une mélodie parfaite et une voix à arracher des larmes au plus cynique de ses critiques. En fait, il y a plus d’accroches mélodiques dans ces 3″52 que dans les deux derniers albums d’Incubus. Brandon est peut-être le vrai talent du groupe, qui l’eût cru? Enfin All Eyes Avow est le truc le plus bordélique sorti du cerveau marijuané de Boyd depuis Take Me To Your Leader, et ça, c’est quand même quelque chose.

The Wild Trapeze fourmille d’idées, on pourrait même trouver que certains morceaux en ont trop : Boyd donne parfois l’impression d’être Michael Jackson chez Hamley’s, et veut toucher un peu à tout. De même, comme tout album solo, premier de surcroît, tout n’est pas du même niveau. Mais c’est son album, il en fait ce qu’il veut, et il a bien raison. Grâce à ça, le prochain album d’Incubus pourrait bien être excitant, et ça, c’est une sacrée surprise.

Best Coast – Crazy for You

Best new album chez Pitchfork, best new artist of the year pour le NME : Best Coast est définitivement la sensation indie de 2010, probablement aidé par la pochette d’album la plus cinglée d’une année qui en aura pourtant vu, des pochettes cinglées.

Alors, Best Coast, génie ou imposteur? Comme d’habitude, ni l’un ni l’autre… Best Coast, c’est l’oeuvre de Bethany Cosentino (qui n’a donc pas été bien loin pour nommer le groupe) et Bobb Bruno, rejoints par l’ex-batteuse de Vivian Girls Ali Koehler. Leur truc, c’est de l’indie pop assez lo fi, avec des influences surf plus ou moins marquées. Lo fi et assez simple, un beat stable, plein de fuzz dans les guitares et la voix claire, très claire, de Cosentino. Simple, aussi comme les paroles, qui sont plus ou moins toutes des variations sur l’adolescence, avec des rimes fabuleuses de type miss/kiss, crazy/lazy, home/phone, vous voyez le genre. Bethany semble passer ses journées à ne rien foutre, sauf fumer et caresser son chat, ce que son twitter semble confirmer.

Tout cela semble tellement naze, mais non, en fait. Pour une raison ou une autre, ça marche. Tout au long d’un album assez court, on se plaît à écouter Cosentino raconter candidement ses histoires dont tout le monde devrait se foutre (« I wish my cat could talk »?) en se gavant de cette pop sucrée trempée dans un bain de reverb. Inoffensif, certes (quoique, Honey fait presque peur, en étant deux fois plus lent que le reste de l’album), mais assez irrésistible. On retiendra, oh, presque tous les morceaux, de l’intro Nirvanesque de The End aux choeurs girl band 60s de When The Sun Don’t Shine en passant par les power chords crunchy de I Want To.

Crazy For You n’est peut-être pas une oeuvre de génie, et Pitchfork pousse probablement la hype trop loin en assurant que l’album de sera pas oublié pour des années à venir. Plus prosaïquement, je pense que Cosentino et consorts sont juste là au bon moment, et on n’avait pas besoin d’autre chose, là, maintenant. Crazy for You est juste un fantastique album pop.

Spotify : Best Coast – Crazy for You

Gorillaz – Plastic Beach

Depuis leurs débuts, en 2000, Gorillaz est passé du statut de projet parallèle de Damon Albarn à celui de mégastar internationale, tout ça en trois albums. Mieux que ça : Gorillaz aura finalement connu plus de succès que Blur, ce qui et assez incroyable, quand on y pense. En dix ans, le « groupe » aura aussi évolué, vers une sorte d’electro-hip-pop ultra-produit parsemé d’apparitions d’invités célèbres, ce qui contraste pas mal avec l’aspect relativement amateur du premier album.

Plastic Beach est l’album de la consécration pour Gorillaz, celui qui les emmène dans leur première tournée mondiale, celui qui réussit à caser sur une même plaque Lou Reed, Snoop Dogg, Bobby Womack ou encore les deux Clash survivants. C’est aussi leur plus synthétique, leur moins organique, mais il reste tout à fait intéressant et recommandable, même si un peu long et inégal. Censé être un album concept vaguement écolo, Plastic Beach (les déchets, c’pas bien) commence par une intro symphonique suivie d’un Snoop Dogg en roue libre, sans grand génie, comme un peu tout ce qu’il fait depuis dix ans, en somme. Albarn s’est mis aux beats minimalistes, et il arrive parfois à émuler les Neptunes dans leur grande période, qui commence elle aussi à dater. On le comprend bien vite, Plastic Beach sera très varié, limite fourre tout : le morceau suivant allie flute, cordes orientales (d’un orchestre libanais) et les rappeurs grime UK Kano et Bashy. White Flag est assez représentatif du concept, un morceau qui commence tranquille avant de muter en bête technoïde puissante, Empire Ants fera la même chose un peu plus loin. Mais le coup de génie d’Albarn, c’est un refrain instrumental à la flute, vraiment très cool.

Sinon, ça part dans tous les sens, surtout la première moitié de l’album. On retrouve des trucs assez commerciaux, comme Rhinestone Eyes (quatrième morceau de l’album, et seulement première intervention vocale majeure d’Albarn), Stylo, où Bobby Womack sort de sa retraite pour un refrain très soul, ou encore l’hyperpop mais quand même vraiment très bon On Melancholy Hill. Mais Albarn sait qu’il a toute liberté pour ajouter des bizarreries fulgurantes, comme Superfast Jellyfish avec De La Soul et le Super Furry Animal Gruff Rhys, un Lou Reed égal à lui-même (pensez ce que vous voulez) ou un excellent Mos Def. Mark E. Smith, quant à lui, se demande sans doute encore ce qu’il fout là, mais ça, il le fait depuis 80 ans. La découverte, c’est peut-être le groupe électropop suédois Little Dragon, emmené par une chanteuse d’origine japonaise, Yukimi Nagano. Ils apparaissent sur deux des meilleurs morceaux, la ballade-Beatles-qui-devient-truc-electro-énorme Empire Ants et le tranquille To Binge, où Nagano chante un superbe duo avec Albarn.

Seulement, on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est un peu trop. Trop long, trop synthétique, trop d’invités, et surtout, trop peu de personnalité. Comme évoqué plus haut, le morceau avec Mark E. Smith est franchement dispensable, mais ce n’est pas le pire. Albarn a réussi à réunir Paul Simonon et Mick Jones… et on ne les entend quasiment pas. De plus, le morceau en question est juste sympa, sans plus, et est finalement une grosse occasion gâchée. Enfin, l’album se termine avec deux morceaux dispensables, ce qui amplifie le sentiment de dilution d’un album qui aurait vraiment gagné à être plus concis.

Damon Albarn n’a pas raté grand chose dans sa carrière, et Plastic Beach est très loin d’être un mauvais album. Cependant, il semble qu’il pêche par un excès généralisé, même si le talent de songwriter d’Albarn réussit toujours à sauver chaque morceau de la médiocrité à laquelle il aurait du être promis. On dira donc que Gorillaz est la facette très grand publc d’Albarn, mais avec un twist toujours très intéressant. Et maintenant, que va-t’il faire? Blur? Mali Music 2? The Good, The Bad and The Queen? Un album solo? Quoiqu’il en soit, ce sera probablement passionnant.

En écoute sur Spotify : Gorillaz – Plastic Beach