Archives de catégorie : Chroniques

Serj Tankian – Elect The Dead

Quand un musicien célèbre sort un album solo, c’est souvent pour faire autre chose quand dans son groupe, ou alors pour se faire plus de fric. Dans le cas de Serj Tankian, vocaliste et agitateur en chef de System Of A Down, c’est ni l’un ni l’autre. Il est peu probable que l’album se vendra par millions – même si certains morceaux sont très catchy – et il est bien plus proche de SOAD qu’il devrait. Ceci dit, il vaut largement la peine de s’y attarder.

Effectivement, au départ, on reconnaît bien le style : c’est du pur quiet/LOUD à la SOAD avec influences d’Europe de l’est, mais sans Daron Malakian, le guitariste/co-frontman. Ce qui a deux conséquences : d’abord, on ne l’entend plus chanter, ce qui avait (selon moi) sérieusement pourri le dernier double album du groupe ; mais malheureusement, on n’a plus son sens du riff et son jeu de guitare original qui avait justement fait de SOAD un groupe si intéressant.

En partant de ce double principe, on sait ce qu’on va avoir dans Elect The Dead, surtout si on imagine que Tankian en profite pour exprimer ses habituelles opinions politiques (The Unthinking Majority). On s’attendait peut-être à plus de surprise, comme un morceau calme de bout en bout (on aura juste le morceau final), et pas seulement le cabaret bizarre Lie Lie Lie.

Elect The Dead est un bon album, ceci dit. Brillamment exécuté (Tankian joue de tout, mais assisté de John Dolmayan, Brain Mantia et Ler LaLonde), il ne dépareille pas du tout à côté de la discographie de System Of A Down. On aurait peut-être simplement aimé un peu plus de nouveauté, mais on ne peut pas toujours être trop exigeant.

The Hives – The Black and White Album

Contrairement à d’autres groupes issus de la mouvance nu-rock du début des 00’s, The Hives prennent leur temps entre deux albums, et tentent de se diversifier sans complètement changer leur son. Le nouvel album y arrive, comme le précédent (au titre encore plus mauvais, d’ailleurs). Le début est assez traditionnel : Tick Tick Boom est très gimmick, mais terriblement efficace, exactement comme les cinq Suèdois.

Les tentatives de nouveautés ont entre autres été aidées par Pharrell Williams, qui a produit l’exubérant Well All Right ainsi que T.H.E.H.I.V.E.S., nettement plus dans le style Pharrell, avec falsetto et tout. Cela ne marche pas trop, mais au moins ils auront essayé, et ces morceaux ne représentent qu’une petite partie d’un album majoritairement composé de rock qui fait taper du pied.

Et mis à part quelques fillers, c’est exactement ce que The Black And White Album fait, rien de révolutionnaire, mais un album qui fait du bien par ou il passe. Mention spéciale au chanteur Howlin’ Pelle Almquist, dont la voix a bien évolué et est nettement moins irritante que dans le passé. It Won’t Be Long pourrait par ailleurs être un fameux tube. Un bon disque, pas le son du futur, mais on peut l’avoir ailleurs, donc ce n’est pas grave.

Thrice – The Alchemy Index (Volumes 1 & 2 : Fire And Water)

On avait quitté Thrice il y a deux ans, dans une drôle de position. Après deux albums discrets mais très bon, le groupe avait explosé avec l’énorme The Artist In The Ambulance, monument de ce que certains magazines en quête d’étiquettes ont appelé extremo. Et donc, en 2005, ils ont sorti Vheissu, étrange album complexe et difficile à appréhender. Rien n’était simple sur cet album, et on pouvait se demander vers quelle direction allait se diriger le groupe. On a maintenant un début de réponse : pas une, mais quatre directions. The Alchemy Index est en effet un quadruple album, même si rien qu’en parler, c’est déjà complexe.

The Alchemy Index est un album concept centré sur les quatre élements. Chaque élément aura ses 6 morceaux réunis sur son propre disque, qui sera donc relativement court : on pourrait plutôt parler de quadruple EP. Pour compliquer les choses, le nouveau label du groupe a décidé de séparer la sortie : les volumes 1 et 2 maintenant, les 3 et 4 en avril 2008. Comme c’était le cas pour le dernier System Of A Down (Mezmerize/Hypnotize), il faudra attendre pour pouvoir apprécier l’album dans son entièreté, même si les quatre parties sont clairement séparées. Quand je vous parlais de complexité…

On va donc s’intéresser au feu en premier, et connaissant la puissance sonore et la violence dont le groupe peut faire preuve, on s’attendait à quelques déflagrations, qui manquaient d’ailleurs à Vheissu. Il est frai que The Messenger et The Arsonist sont très solides, flirtant carrément avec le hardcore. Mais Burn The Fleet est presque emo, Backdraft mou, Firebreather trop générique. Flame Deluge est le plus étrange du lot, avec des dynamiques schizophrènes effrayantes. On remarquera, à la seule lecture des titres, que le concept est profond, ce n’était pas simplement monter les amplis pour Fire et chanter dans un baignoire pour Water.

Water, donc, est encore plus étonnant, puisque Thrice montre un visage neuf, utilisant des touches électro qui vont fatalement ouvrir une comparaison avec Radiohead, surtout au niveau du mur du son remplissant l’espace. En fait, on y retrouve six morceaux franchement ennuyeux, malgré de nets efforts d’instrumentation, dont un piano souvent dominant. On sauvera l’instrumental dense Night Diving du lot.

Jusqu’ici, ce n’est pas vraiment terrible. Le concept est bien réalisé, mais pour faire un album, il faut des bons morceaux. On attendra donc la suite, mais vu qu’il est probable que Earth soit acoustique et Air atmosphérique, on peut avoir des doutes. Mais patience, on ne vend pas la peau de l’ours, et tout ça.

Radiohead – The Bends (1995)

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Radiohead est l’archétype même de l’artiste qui évolue constamment. Peu de groupes, peut-être aucun, ne l’a fait autant et aussi bien. En quatre articles, je vais tenter de décrire ce qu’ils ont fait en une dizaine d’années, pendant lesquelles ils sont devenus l’artiste le plus inspirateur depuis que Robert Johnson a rencontré Satan.

On passera le premier album, Pablo Honey. Il n’est certes pas du tout dénué de qualités, mais il pâtit de la présence de Creep, morceau emblématique et rejeté maintes fois par ses concepteurs. De plus, l’album suivant, The Bends est peut-être le plus grand album à guitares jamais réalisé. C’est d’ailleurs difficile à comprendre, quand on sait que le groupe a quasi eliminé toute guitare de l’album Kid A, mais il faut dire qu’après The Bends, il n’auraient pas pu continuer dans ce style : la perfection ne peut pas être améliorée.

L’album commence doucement, avec Planet Telex tout en délai de guitares, comme un Edge sous stéroïdes, et des couches de claviers, qui ne sont que la première étape de processus de mutation. Comme tous les morceaux de Radiohead, la base basse/guitare est très importante. Versatile, la paire Colin Greenwood/Phil Selway n’a que très peu d’égal, il faut chercher loin pour en trouver (Chancellor/Carey, peut-être). Mais ce sont les guitares qui fount tomber tout le monde. Thom Yorke, Ed O’Brien et Jonny Greenwood y participent tous trois, avec des talents et des rôles différents, Greenwood étant le manipulateur en chef, rôle qui ne fera que s’accroître avec le temps. The Bends, le morceau titre est simplement parfait, et plus loin, les différentes guitares de Just sont admirables, y compris un solo injouable et complètement étrange. Ces deux morceaux, avec le post-grunge Bones, forment l’épine dorsale bruyante de l’album, et en fait les derniers gros morceaux rock jamais composés par le groupe. Comme évoqué plus loin, ils en avaient fait le tour.

Le reste de l’album est remarquable : des morceaux d’une pureté totale comme High And Dry, (Nice Dream) ou Street Spirit (Fade Out) ont forcé la création de trois millions de groupes, dont Coldplay. Merci, les gars… My Iron Lung, qui est en fait sorti en EP pile entre les deux albums, se moque ouvertement du succès de Creep, en reprenant sa base mélodique et en ajoutant des paroles comme "This is the new song / Just like the old one / A total waste of time. Parce que Yorke fait dans l’humour noir, quand on arrive à percer le mystère de textes qui, c’est vrai, sont encore compréhensibles. De même, il chante très bien, et arrive à transporter tout un spectre d’émotions dans un seul couplet. Tout cela va aussi évoluer, on le verra.

 
On parlait de Coldplay tout à l’heure, mais Black Star, vers la fin de l’album, a crée Muse, exactement comme Tomorrow Never Knows a crée la musique électronique. Enfin, Street Spirit (Fade Out), qui clôture l’album, est une des plus belles ballades jamais écrites. Immerse your soul in love… Il faudra attendre douze ans, et le tout nouveau In Rainbows, pour que Radiohead retrouve ce type d’ambiance. Ce qui ne veut pas dire que les quatre albums suivants ne valent rien, bien au contraire : OK Computer sera encore plus important que celui-ci.

The Bends reste un album exceptionnel, d’un groupe exceptionnel. Même si on ne comprend pas, ou si on n’adhère pas à leurs changements de style à venir, la perfection (oui, perfection) de l’album est difficile à nier. C’est un des meilleurs albums jamais réalisés, surtout au point de vue guitaristique.

The Bends

Street Spirit (Fade Out)

Radiohead – In Rainbows

On va passer très vite au dessus du contexte qui entoure l’album, pour deux raisons : d’abord, parce qu’on a déjà entendu tout ce qu’il faut savoir, sur Music Box Off et ailleurs, ensuite, et surtout, on parle ici du nouvel album de Radiohead, le premier en quatre ans, et c’est tout ce qui compte maintenant. Première remarque : seulement dix morceaux. On en aura une dizaine de plus lors de la sortie du discbox, début décembre, mais en attendant, on peut trouver ça court, surtout que huit des dix morceaux ont déjà été joués en concerts, et sont donc largement disponibles.

15 Step ouvre l’album, et nous emmène en terrain connu, pour une fois, avec une intro toute en beats. Thom Yorke murmure des paroles cryptiques, mais les premières notes de guitares nous transportent très vite : même si il a fallu passer par Kid A pour arriver là, il n’aurait pas pu s’y trouver. Radiohead est de retour, et avec lui un son inimitable, difficile à décrire : Nigel Godrich et les cinq d’Oxford ont truffé les morceaux de bidouillages sonores en tous genres, sans négliger le silence et l’atmosphère générale, ce qui sépare Radiohead du reste du monde. Bodysnatchers est sans doute le morceau le plus « guitares » depuis OK Computer, évidemment sans y ressembler. sorte de cousin bruyant de The National Anthem (pour la basse), Bodysnatcher rocke, et Thom chante clairement, ce qui manquait, franchement. La batterie de Phil Selway est toujours aussi exceptionnelle de précision, et conduit le morceau vers un final apocalyptique (« I see they’re coming! ») en passant par un duel de guitares jouissif entre Ed O’Brien et Jonny Greenwood. Enfin, probablement, car avant de les voir en concert, il est difficile de savoir qui fait quoi.

Le premier morceau de magnificence totale arrive juste après. Nude, un vieux morceau prédatant OK Computer et joué quelques fois en concert sous d’autres appellations, dont Big Ideas (Don’t Get Any), est tout simplement beau. Beau comme le groupe n’a plus voulu en faire depuis Street Spirit (Fade Out). C’est d’ailleurs une des caractéristiques de bien nommé in Rainbows, peut-être l’album le plus positif du groupe depuis, depuis toujours, en fait. Certains passages sont assez sombres, mais l’impression générale est plus détendue. Surprenant, mais agréable. Nude est gentiment emmené par une basse chantonnante, et des guitares minimalistes avant que des cordes fassent envoler le morceau vers le milieu. Simplement, parfaitement, magnifique, y compris dans la voix : on l’avait oublié, mais Yorke est un très bon chanteur.

On pourrait écrire un paragraphe par morceau, car aussi cohérent puisse-t-il être, No Rainbows peut aussi s’écouter à petites doses. Weird Fishes/Arpeggi exemplifie Radiohead : beats de batterie, basse, guitares légères mais cette fois avec un espace aéré, qui permet au morceau de respirer. Forcément, un album comme ça, ça ne s’enregistre pas en trois minutes dans un garage, mais faut-il encore réussir dans la complexité. Ici, rien à redire.
All I Need est un autre bon exemple du retour de Thom Yorke chanteur, sa voix en crescendo faisant merveille sur une nappe de claviers et une basse qui pulse (Colin Greenwood est, avec son compère Selway, la base de Radiohead, c’est indéniable). Le milieu de l’album est assez posé, comme on l’entend sur Reckoner, ancien morceau complètement retravaillé avec, notamment, l’ajout de percussions. House Of Cards change la donne, et étonne avec son rythme limite reggae, ce qui fait que le morceau est étrangement détendu, et sonne encore moins comme le Radiohead qu’on pensait connaître. Videotape conclut l’album de manière phénoménale, quatre notes de piano qui ont le potentiel de hanter l’esprit de quiconque y prêtera une oreille distraite.

In Rainbows est un grand album. Il n’a pas le potentiel d’innovation de OK Computer ou Kid A, mais il occupe, comme les autres, une place à part dans la discographie du groupe : on ne peut pas dire qu’ils reviennent à un style, ils sont juste Radiohead, poussant encore plus loin leur créativité, après un Hail To The Thief peut-être un poil décevant. On appréciera l’étonnante ambiance positive de l’album, tout en attendant avec impatience les quelques nouveaux morceaux qui restent à entendre. Mais il est peu probable qu’un album surpassera In Rainbows cette année.